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— Est-ce possible ? demanda-t-il finalement. Une telle sorcellerie est-elle possible ?

— Nous chevauchions ensemble dans la forêt d’arbres nains au-dessous d’Amblemorn, dit Valentin. Jamais je n’ai ressenti une telle douleur que ce jour-là. Souviens-toi, tu as pris l’os des deux mains, tu l’as remis en place et tu as crié comme si c’était ta propre jambe.

— Comment pourriez-vous être au courant de cela ?

— Et puis tous ces mois que j’ai passés assis, rongé par l’inaction, pendant que Tunigorn, Stasilaine et toi parcouriez le Mont sans moi. Et cette claudication qui m’est toujours restée, même après ma guérison.

Valentin éclata de rire.

— Dominin me l’a dérobée quand il s’est approprié mon corps. Qui se serait attendu à une telle faveur de la part de quelqu’un de son espèce ?

Elidath avait l’air d’un somnambule. Il secoua la tête, comme pour chasser un rêve.

— C’est de la sorcellerie, dit-il.

— Oui. Et je suis bien Valentin !

— Valentin est au château. Je l’ai vu hier encore, il m’a souhaité bonne chance et m’a parlé du bon vieux temps, des plaisirs que nous avons partagés…

— Ce sont des souvenirs volés. Elidath. Il fouille dans mon cerveau et en ressort des scènes du passé qui y sont enfouies. N’as-tu rien remarqué d’étrange dans son attitude depuis plus d’un an ?

Valentin plongea son regard dans celui d’Elidath, et l’autre détourna les yeux, comme s’il craignait quelque nouvelle sorcellerie.

— N’as-tu pas trouvé depuis quelque temps ton Valentin curieusement distant, renfermé et mystérieux Elidath ?

— Si, mais j’ai cru… que c’étaient les responsabilités de sa charge qui le rendaient ainsi.

— Alors, tu as remarqué une différence ! Un changement !

— Léger, oui. Une certaine froideur… une distance une réserve…

— Et pourtant tu refuses de me reconnaître ?

— Valentin ? murmura Elidath, ayant encore de la peine à le croire. C’est toi, c’est bien toi, sous cette étrange apparence ?

— Personne d’autre. Et c’est celui qui est dans le château qui t’a trompé, et le monde entier avec toi.

— Tout cela est tellement bizarre !

— Allez, viens m’embrasser, et cesse de bougonner, Elidath !

Avec un sourire épanoui, Valentin s’avança vers Elidath, l’attira vers lui et l’étreignit comme on peut étreindre un ami. Mais l’autre se raidit. Son corps était dur comme du bois. Au bout d’un moment, il repoussa Valentin et recula d’un pas en frissonnant.

— Tu n’as rien à craindre de moi, Elidath.

— Tu me demandes beaucoup. De croire à une telle…

— Crois-le.

— Je le crois, au moins à demi. La chaleur de ton regard… ton sourire… ces choses dont tu te souviens…

— Il faut le croire entièrement, insista Valentin avec passion. La Dame, ma mère, te transmet toute son affection, Elidath. Tu la reverras, au Château, le jour où nous organiserons des réjouissances pour célébrer ma restauration. Ordonne à tes troupes de faire demi-tour, très cher ami, et joins-toi à nous pour marcher sur le Château.

Un conflit intérieur se peignait sur le visage d’Elidath. Ses lèvres tremblaient, un muscle de sa joue tressaillait violemment. Il restait face à Valentin en silence.

— C’est peut-être de la folie, dit-il finalement, mais j’accepte de te reconnaître comme celui que tu prétends être.

— Elidath !

— Et je me joindrai à toi, et que le Divin te protège si tu m’as abusé !

— Je te promets que tu n’auras pas à le regretter. Elidath hocha lentement la tête.

— Je vais envoyer des messagers à Tunigorn…

— Où est-il ?

— Il tient le défilé de Peritole pour résister à la poussée de tes troupes que nous attendions. Stasilaine est là-bas aussi. J’étais amer d’avoir le commandement dans la plaine, car je croyais rater toute l’action. Oh, Valentin ! est-ce vraiment toi ? Avec ces cheveux dorés et cette expression d’innocence sur le visage ?

— Oui, le vrai Valentin. Celui qui a filé en douce à High Morpin quand nous avions dix ans, en empruntant la roulotte de Voriax pour aller faire des tours de manège toute la journée et la moitié de la nuit, et qui a eu la même punition que toi…

— Des croûtes de pain de stajja rassis pendant trois jours, c’est vrai…

— Et Stasilaine nous avait apporté en catimini un plat de viande, et il s’était fait prendre, et le lendemain, il avait mangé du pain rassis comme nous…

— J’avais oublié ça. Et te souviens-tu que Voriax nous avait fait astiquer la roulotte partout où elle avait des taches de boue ?…

— Elidath !

— Valentin !

Ils éclatèrent de rire et se bourrèrent joyeusement les épaules de coups de poing. Puis le front d’Elidath s’assombrit et il demanda :

— Mais où étais-tu passé ? Que t’est-il arrivé pendant toute cette année ? As-tu souffert, Valentin ? As-tu…

— C’est une très longue histoire, répondit Valentin avec gravité, et ce n’est pas le lieu pour la raconter. Nous devons arrêter cette bataille, Elidath. D’innocents citoyens sont en train de mourir à cause de Dominin Barjazid, et nous ne pouvons tolérer cela. Rallie tes troupes et fais-leur faire volte-face.

— Dans cette pagaille, ce ne sera pas facile.

— Donne tes ordres. Préviens les autres commandants. Nous devons arrêter ce massacre. Et puis, Elidath, accompagne-nous jusqu’à Bombifale et, après High Morpin, jusqu’au Château.

11

Valentin regagna son flotteur et Elidath disparut dans les lignes confuses des défenseurs. Valentin apprit par Ermanar que pendant cet entretien avec Elidath ses troupes avaient énormément progressé, restant en formation triangulaire serrée et s’enfonçant loin dans la plaine, jetant l’armée pléthorique mais informe du faux Coronal dans un désarroi presque total. Et la vague continuait d’avancer, bousculant des troupes désemparées qui n’avaient plus ni la volonté ni le désir de s’y opposer. Privés du commandement d’Elidath et de sa formidable présence sur le champ de bataille, les défenseurs étaient abattus et désorganisés.

Mais c’était ce tumulte et ce désordre indescriptibles régnant chez les défenseurs qui rendaient presque impossible l’arrêt de cette bataille devenue sans objet. Avec des centaines de milliers de guerriers qui se déplaçaient sur la plaine de Bombifale en flots désordonnés et des milliers d’autres qui accouraient du défilé à mesure que la nouvelle de l’attaque de Valentin se répandait, il n’y avait aucun moyen d’exercer un commandement sur toute cette masse. Valentin vit l’étendard à la constellation d’Elidath flotter au cœur de la mêlée, au milieu du champ de bataille, et comprit qu’il était en train d’essayer de se mettre en contact avec les autres officiers pour les informer du retournement de la situation ; mais il était impossible de reprendre l’armée en main et des soldats perdaient inutilement la vie. Chaque perte causait une souffrance à Valentin.

Mais il ne pouvait rien y faire. Il fit signe à Ermanar de continuer à aller de l’avant.

Pendant l’heure suivante, il se produisit dans la bataille une étrange métamorphose. Les troupes de Valentin continuaient à enfoncer les rangs de l’ennemi pratiquement sans opposition, mais une seconde phalange emmenée par Elidath avançait maintenant vers l’est, parallèlement à elles et avec une égale facilité. Le reste de l’armée gigantesque qui avait occupé toute la plaine était divisée et en pleine confusion, au point de se battre contre elle-même, se subdivisant en groupuscules qui s’accrochaient en vociférant à de minuscules portions de terrain et repoussaient quiconque en approchait.