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— Pourrons-nous atteindre le Château à temps pour arrêter cela ?

— Ce sera juste, monseigneur, répondit le Vroon, le visage sombre, le front barré d’un pli d’anxiété.

Valentin fit arrêter son véhicule et convoqua ses officiers. Il vit que le flotteur d’Elidath était déjà en train de traverser la plaine en diagonale, devançant la convocation. Elidath avait, à l’évidence, remarqué de son côté qu’il se passait quelque chose d’anormal. En descendant de son véhicule, Valentin frissonna au premier contact de l’air – bien que ce frisson fût dû plus à l’appréhension qu’au froid, car le rafraîchissement de la température était encore à peine perceptible. C’était pourtant de mauvais augure. Elidath accourut vers lui. Il faisait triste mine.

— Monseigneur, s’écria-t-il en montrant le ciel qui s’obscurcissait, ce fou est en train de commettre le pire !

— Je sais. Nous avons aussi observé le changement.

— Tunigorn nous suit de près, maintenant, et Stasilaine arrive par la route de Banglecode. Il faut nous diriger vers le Château aussi rapidement que possible.

— Crois-tu que nous aurons le temps ? demanda Valentin.

Elidath réussit à esquisser un sourire.

— Il ne faudra pas musarder en route. Ce sera le voyage retour le plus rapide que j’aie jamais effectué.

Sleet, Carabella, Lisamon Hultin, Asenhart, Ermanar, tous étaient rassemblés, l’air totalement désorienté. Ces étrangers au Mont du Château avaient peut-être remarqué le changement de temps, mais ils n’en avaient pas tiré les conclusions d’Elidath. Ils regardaient alternativement Valentin et Elidath, inquiets, troublés, sachant que quelque chose clochait, mais incapables d’en comprendre la nature. Valentin leur expliqua rapidement la situation. Leur air embarrassé fit place à l’incrédulité, au saisissement, à la fureur, à la consternation.

— Il n’y aura pas de halte à Bombifale, dit Valentin. Nous allons droit sur le Château, par la route de High Morpin, et nous ne nous arrêterons sous aucun prétexte avant d’y être arrivés.

Il se tourna vers Ermanar.

— Je suppose qu’il faut envisager la possibilité que nos forces soient gagnées par la panique. Il faut éviter cela à tout prix. Assurez à vos troupes que nous n’en sortirons sains et saufs que si nous atteignons le Château à temps, que la panique serait fatale et que la rapidité d’action est notre seul espoir. Compris ? La vie d’un milliard de gens dépend maintenant de la vitesse à laquelle nous nous déplacerons… la vie d’un milliard de gens, sans compter la nôtre.

12

Ce n’était pas la joyeuse ascension du Mont que Valentin avait imaginée. Après la victoire de la plaine de Bombifale, il s’était senti allégé d’un grand poids, car il ne voyait plus aucun autre obstacle se dresser entre lui et son but. Il s’était représenté un trajet serein jusqu’aux Cités Intérieures, un banquet triomphal à Bombifale pendant que le Barjazid tremblait là-haut d’horrible appréhension, et puis l’apogée de l’entrée au Château, l’arrestation de l’usurpateur, la proclamation de la restauration, le tout se déroulant avec une grandeur inéluctable. Mais cette plaisante chimère était anéantie. Ils gravissaient le Mont avec une hâte désespérée et le ciel s’assombrissait d’instant en instant, et le vent qui soufflait du sommet se faisait de plus en plus impétueux, et l’air devenait âpre et piquant. Comment interprétaient-ils ces changements, à Bombifale, à Peritole et à Banglecode, et plus haut, à Haianx et à High Morpin, et dans le Château lui-même ? Ils réalisaient certainement que quelque chose d’effroyable était en train de se produire, alors que toute la riante contrée du Mont du Château souffrait sous ces rafales glacées et qu’un doux après-midi se transformait en une mystérieuse nuit. Comprenaient-ils le sort affreux qui les attendait ? Et les habitants du Château – étaient-ils en train d’essayer frénétiquement d’atteindre les machines de climatisation que leur Coronal fou avait arrêtées, ou bien l’usurpateur les avait-il fait enfermer sous bonne garde pour que la mort puisse frapper tout le monde sans distinction ?

Bombifale était maintenant tout proche. Valentin regrettait de passer sans s’y arrêter, car la bataille avait été rude et ses gens étaient épuisés ; mais s’ils s’accordaient maintenant du repos à Bombifale, ce serait un repos éternel. Ils poursuivaient donc leur ascension dans la nuit qui commençait à tomber. Malgré la rapidité à laquelle ils avançaient, ils n’allaient pas assez vite au gré de Valentin qui imaginait les foules terrifiées se rassemblant sur les grand-places des villes – des cohues grouillantes de gens terrorisés, pleurant, se tournant les uns vers les autres, regardant le ciel et hurlant : « Lord Valentin, sauvez-nous ! », sans même savoir que l’homme brun à qui ils adressaient leurs supplications était l’instrument de leur destruction. Il voyait en esprit les habitants du Mont du Château s’élancer par millions sur les routes, pris de panique, entreprenant un exode tragique et désespéré, un effort d’une inutile frénésie pour prendre la mort de vitesse. Valentin se représentait aussi des vagues d’air glacé et pénétrant glissant le long des pentes, léchant les plantes d’une parfaite symétrie de la Barrière de Tolingar, gelant les oiseaux de pierre de Furible, noircissant les élégants jardins de Stee et de Minimool, transformant les canaux de Hoikmar en plaques de glace. Huit mille ans d’efforts pour ce miracle qu’était le Mont du Château et tout pouvait être détruit en un clin d’œil par la folie d’un traître au cœur de marbre.

Valentin avait l’impression de pouvoir toucher Bombifale en tendant le bras. Ses remparts et ses tours, d’une déchirante beauté, lui faisaient signe d’approcher. Mais il avançait et avançait toujours, faisant diligence sur la route escarpée pavée de blocs anciens de pierre rouge. Le flotteur d’Elidath était juste à côté de lui sur sa gauche, celui de Carabella sur sa droite, et derrière venaient Sleet, Zalzan Kavol, Ermanar, Lisamon Hultin et toutes les troupes qui s’étaient accumulées au cours du long voyage. Tous suivaient leur seigneur avec précipitation, sans comprendre la ruine qui allait s’abattre sur le monde, mais conscients de vivre un moment d’apocalypse où le mal était sur le point de triompher et où seuls le courage, le courage et la hâte, pouvaient lui interdire la victoire.

En avant ! Valentin serrait les poings et tentait par la seule force de sa volonté de faire grimper son véhicule plus vite. Deliamber, à côté de lui, l’exhortait au calme et à la patience. Mais comment ? Comment, alors que l’air même du Mont du Château perdait une à une ses molécules et qu’une profonde nuit s’installait ?

— Regardez, dit Valentin. Ces arbres qui bordent la route – ceux qui portent les fleurs pourpre et or. Ce sont des halatingas, plantés il y a quatre siècles. Un festival est organisé à High Morpin à l’époque de leur floraison et des milliers de gens dansent sur la route au-dessous des arbres. Et voyez, voyez ! Les feuilles commencent déjà à se recroqueviller et noircissent sur les bords. Elles n’ont jamais connu de température si basse et le froid ne fait que commencer. Qu’adviendra-t-il d’elles dans huit heures ? Et qu’adviendra-t-il des gens qui aimaient danser sous les arbres ? Si un simple refroidissement dessèche les feuilles, Deliamber, qu’en sera-t-il avec une vraie gelée, et de la neige ? De la neige, sur le Mont du Château ! De la neige, et il y aura pire que de la neige, quand l’air aura disparu, quand tout sera dénudé sous les étoiles. Deliamber…