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— Aucun châtiment ? demanda Shanamir, l’air perplexe.

— Pas au sens où tu l’entends, non.

— Vous allez le remettre en liberté pour qu’il continue ses méfaits ?

— Non plus, répondit Valentin. Mais il nous faut d’abord mettre la main sur lui, et ensuite nous verrons quel sort lui réserver.

Encore une demi-heure – qui lui parut interminable – et Valentin atteignit le cœur du Château, l’enceinte des chambres impériales, qui, sans être la plus ancienne, était récemment le saint des saints. Les premiers Coronals y avaient installé leurs salles de gouvernement – remplacées depuis longtemps par les salles plus belles et plus imposantes des grands souverains du dernier millénaire –, et l’enceinte constituait maintenant un siège du pouvoir grandiose et éblouissant, à l’écart de l’enchevêtrement du reste du Château. Les plus importantes cérémonies officielles avaient lieu dans ces splendides chambres aux hautes voûtes. Mais maintenant, une seule misérable créature était terrée derrière les massives portes anciennes, protégée par de solides verrous ornementés, d’une taille colossale et d’une lourde signification symbolique.

— Des gaz toxiques, dit Lisamon Hultin. Il suffira d’insuffler du gaz à travers les murs pour qu’il tombe raide mort quel que soit l’endroit où il se trouve.

— Oui ! Oui ! s’écria Zalzan Kavol en acquiesçant vigoureusement de la tête. Vous voyez, un petit tuyau que l’on ferait passer dans ces lézardes… pour tuer les poissons à Piliplok, ils utilisent un gaz qui ferait bien l’affaire pour…

— Non, dit Valentin. Il ressortira vivant.

— Comment faire, monseigneur ? demanda Carabella.

— Nous pourrions enfoncer les portes, gronda Zalzan Kavol.

— Détruire les portes de lord Prestimion dont la fabrication a demandé trente ans ? demanda Tunigorn. Tout cela pour déloger une canaille ? Monseigneur, cette idée de gaz toxique ne me parait pas si stupide. Nous ne devrions pas perdre de temps à…

— Nous devons veiller à ne pas nous conduire comme des barbares, le coupa Valentin. Il n’y aura pas d’empoisonnement ici.

Il prit la main de Carabella et celle de Sleet, et les leva.

— Vous êtes des jongleurs aux doigts agiles. Vous aussi, Zalzan Kavol. N’avez-vous jamais utilisé ces doigts pour autre chose ?

— Pour crocheter des serrures, monseigneur ? demanda Sleet.

— Oui, ce genre de choses. Il y a de nombreuses entrées à ces chambres, et elles ne sont peut-être pas toutes verrouillées. Allez, essayez de trouver un moyen d’y pénétrer. Et pendant ce temps, j’essaierai autre chose.

Il s’avança jusqu’à l’énorme porte dorée, deux fois plus haute que le plus grand des Skandars, ornée jusqu’au moindre centimètre carré de sculptures en haut relief du règne de lord Prestimion et de son célèbre prédécesseur lord Confalume. Il posa les mains sur les lourdes poignées de bronze, comme s’il avait voulu ouvrir la porte d’une seule et furieuse poussée.

Valentin resta un long moment dans cette position, chassant de son esprit toute la tension qui l’environnait. Il essayait de se transporter jusqu’à la zone de calme au centre de son âme ; mais un terrible obstacle l’en empêcha.

Il fut pris soudain d’une haine incommensurable pour Dominin Barjazid.

Derrière cette porte monumentale se trouvait l’homme qui l’avait chassé de son trône, qui avait fait de lui un infortuné vagabond, qui avait régné inconsidérément et injustement en son nom et – pire que tout, absolument monstrueux et impardonnable – qui avait choisi d’anéantir un milliard d’innocents sans soupçons quand il s’était aperçu que ses machinations avaient échoué.

C’était pour cela que Valentin haïssait Dominin Barjazid. Pour cela qu’il brûlait de le détruire.

Accroché aux poignées de la porte, des images violentes et cruelles assaillirent son esprit. Il vit Dominin Barjazid écorché vif, baignant dans son sang, poussant des hurlements qui s’entendaient jusqu’à Pidruid. Il vit Dominin Barjazid cloué à un arbre avec des flèches barbelées. Il vit Dominin Barjazid écrasé sous une grêle de pierres. Il vit…

Valentin tremblait sous l’effet de la violence de sa rage. Mais l’on n’écorchait pas vif ses ennemis dans une société civilisée, on ne donnait pas libre cours à sa fureur… pas même contre un Dominin Barjazid. Comment, se demanda Valentin, puis-je revendiquer le droit de régner sur une planète si je ne suis même pas capable de contrôler mes propres émotions ? Il savait qu’aussi longtemps que cette rage lui dévasterait l’âme, il ne serait pas digne de régner, pas plus que Dominin Barjazid lui-même. Il lui fallait la vaincre. Ce martèlement dans ses tempes, les battements de son cœur, cette soif sauvage de vengeance… il devait se purger de tout cela avant de s’occuper de Dominin Barjazid.

Valentin commença à lutter. Il détendit les muscles contractés de son dos et de ses épaules, emplit ses poumons de l’air froid et vif et, petit à petit, sentit la tension se retirer de son corps. Il fouilla son âme où le brûlant désir de vengeance s’était si brusquement allumé et y fit place nette. Et alors seulement il put se transporter à l’endroit paisible au centre de son être et y rester, si bien qu’il avait la sensation d’être seul dans le Château, seul avec Dominin Barjazid quelque part de l’autre côté de la porte, rien qu’eux deux, séparés par cette unique barrière. Valentin savait que la domination de soi-même était la plus belle des victoires et que tout le reste devait suivre.

Il s’en remit au pouvoir du bandeau d’argent de la Dame, sa mère, et se laissa glisser dans l’état de transe. Puis il projeta la force de son esprit vers son ennemi.

Ce ne fut pas un rêve de vengeance et de châtiment que Valentin envoya. Cela aurait été trop clair, trop mesquin, trop facile. Il envoya un rêve bienveillant, un rêve d’affection et d’amitié, de tristesse pour ce qui s’était passé. Dominin Barjazid ne pouvait qu’être étonné par un tel message. Valentin lui montra l’éblouissante et resplendissante ville des plaisirs de High Morpin et eux deux marchant côte à côte sur l’Avenue des Nues, discutant affablement, souriant, examinant les différences qui les séparaient, essayant d’apaiser les frictions et les craintes. C’était une manière risquée d’entrer en contact avec Dominin Barjazid, car si ce dernier choisissait de mal interpréter les mobiles de Valentin, il s’exposait à la dérision et au mépris. Pourtant il n’y avait aucun espoir de venir à bout de lui par des menaces ou des flambées de rage et la manière douce pouvait réussir. C’était un rêve qui demandait d’énormes réserves de cœur, car il fallait être naïf pour s’imaginer que Barjazid pouvait être séduit par des apparences, et si l’amour qui rayonnait de Valentin n’était pas sincère et n’était pas perçu ainsi, le rêve était une absurdité. Valentin n’aurait jamais cru pouvoir trouver en lui de l’amour pour cet homme qui avait fait tant de mal. Mais il en trouva ; il le projeta à travers la porte monumentale.

Quand il eut terminé, il s’accrocha aux poignées de la porte, récupéra ses forces et attendit une réaction de l’intérieur.

De manière tout à fait inattendue, ce fut un message qui lui parvint : une puissante décharge d’énergie mentale, surprenante et dévastatrice, qui sortit des chambres impériales avec la furie du vent brûlant de Suvrael. Valentin sentit le souffle ardent du refus moqueur de Dominin Barjazid. Barjazid ne voulait ni affection ni amitié. Il lui envoyait de la défiance, de la haine, de la colère, du mépris : une déclaration de guerre perpétuelle.

L’impact fut brutal. Comment se faisait-il, se demanda Valentin, que le Barjazid fût capable d’émettre des messages ? Sans doute quelque machine de son père, quelque sorcellerie du Roi des Rêves. Il comprit qu’il aurait dû s’attendre à quelque chose de ce genre. Mais cela n’avait pas d’importance. Valentin résista à la force aride du rêve que Dominin Barjazid projetait vers lui.