Выбрать главу

Il envoya ensuite un second rêve, aussi serein et confiant que celui de Dominin Barjazid avait été âpre et hostile. Il envoya un rêve d’absolution, de pardon total. Il montra à Dominin Barjazid un port, une flotte de vaisseaux de Suvrael attendant pour le ramener sur les terres de son père, et même un grand défilé, Valentin et Barjazid côte à côte sur un char, descendant vers le front de mer pour les cérémonies de l’embarquement, debout ensemble sur le quai, se faisant leurs adieux en riant, deux bons ennemis qui s’étaient affrontés avec toute la puissance dont ils disposaient et qui se séparaient en bons termes.

De Dominin Barjazid arriva en réponse un rêve de mort et de destruction, de haine, d’abomination et de mépris.

Valentin secoua lentement et lourdement la tête, essayant de la nettoyer de tout le poison qui y était déversé. Une troisième fois il rassembla ses forces et prépara un message à destination de son ennemi. Il ne voulait pas encore s’abaisser au niveau de Barjazid, il espérait encore le submerger de chaleur et de douceur, bien que n’importe qui d’autre eût estimé que c’était de la folie de seulement faire cette tentative. Valentin ferma les yeux et concentra toutes ses pensées sur le bandeau d’argent.

— Monseigneur ?

C’était une voix féminine qui brisait sa concentration juste au moment où il allait entrer en transe.

L’interruption fut pénible et douloureuse. Valentin pivota sur lui-même, enflammé d’une fureur inhabituelle, tellement surpris qu’il lui fallut un certain temps avant de reconnaître Carabella, et elle s’écarta de lui en tremblant, momentanément effrayée.

— Monseigneur… reprit-elle d’une toute petite voix. Je ne savais pas…

Il lutta pour se maîtriser.

— Qu’y a-t-il ?

— Nous… nous avons trouvé un moyen d’ouvrir une porte.

Valentin ferma les yeux et sentit son corps rigide se détendre sous l’effet du soulagement. Il sourit et l’attira vers lui, et la tint serrée quelques instants en tremblant pendant que la tension l’abandonnait. Puis il lui dit :

— Emmène-moi !

Elle le mena le long de corridors tendus d’antiques draperies et garnis d’épais tapis râpés. Elle se déplaçait avec un sens de l’orientation étonnant pour quelqu’un qui n’avait jamais parcouru les lieux auparavant. Ils atteignirent un secteur des chambres impériales dont Valentin ne se souvenait pas, une entrée de service située au-delà de la salle du trône, un endroit simple et humble. Sleet, juché sur les épaules de Zalzan Kavol avait la partie supérieure du corps profondément engagée à l’intérieur d’une sorte de vasistas et se penchait pour effectuer de délicates manipulations sur le côté ultérieur d’une petite porte.

— Nous avons déjà ouvert trois portes de cette manière, dit Carabella, et maintenant Sleet s’attaque à la quatrième.

Sleet sortit la tête et regarda autour de lui, sale, couvert de poussière, merveilleusement content de lui-même.

— C’est ouvert, monseigneur.

— Bien joué.

— Nous allons entrer le chercher, gronda Zalzan Kavol. Le voulez-vous en trois morceaux ou en cinq, monseigneur ?

— Non, dit Valentin. C’est moi qui vais entrer. Seul.

— Vous, monseigneur ? demanda Zalzan Kavol d’un ton incrédule.

— Seul ? dit Carabella.

— Monseigneur, je vous interdis !… s’écria Sleet, l’air outragé.

Puis il s’arrêta, confondu par le sacrilège de ses paroles.

— Soyez sans crainte, dit doucement Valentin. C’est quelque chose que je dois faire sans aide. Sleet, écarte-toi. Zalzan Kavol… Carabella, reculez. Je vous ordonne de ne pas entrer avant que je vous appelle.

Ils échangèrent des regards interdits. Carabella commença à dire quelque chose, hésita et se tut. La balafre de Sleet palpitait et rougeoyait. Zalzan Kavol émettait de curieux grognements et balançait avec impuissance ses quatre bras. Valentin ouvrit la porte et franchit le seuil.

Il se trouvait dans une sorte de vestibule, peut-être quelque passage desservant les cuisines, qu’un Coronal avait bien peu de chances de connaître. Il le suivit avec circonspection et déboucha dans un hall aux riches brocarts qu’après un moment de désorientation il reconnut comme le vestiaire. Derrière se trouvait l’Oratoire de Dekkeret qui menait au Prétoire de lord Prestimion, une grande salle voûtée aux splendides fenêtres de verre dépoli et aux magnifiques chandeliers fabriqués par les meilleurs artisans de Ni-moya. Ensuite se trouvait la salle du trône où la sublime magnificence du Trône de Confalume éclipsait tout le reste. C’était quelque part dans cette suite que Valentin trouverait Dominin Barjazid.

Il s’avança dans le vestiaire. Il était vide et avait l’air de ne pas avoir été utilisé depuis des mois. Le rideau de l’arche de pierre de l’Oratoire de Dekkeret était tiré. Valentin jeta un coup d’œil, ne vit personne et poursuivit son chemin le long du couloir incurvé, décoré de brillants ornements de mosaïque vert et or, qui desservait le prétoire.

Il prit une longue inspiration et posa les mains sur la porte du prétoire qu’il ouvrit à la volée.

Il crut au début que ce vaste espace était également vide. Un seul des grands chandeliers était allumé et, placé à l’autre extrémité de la salle, il ne jetait qu’une lueur diffuse. Valentin regarda à gauche et à droite, le long des rangs de bancs de bois poli, devant les alcôves aux rideaux tirés où l’on permettait aux ducs et aux princes de se dérober aux regards pendant le prononcé de la sentence, en direction du lit de justice du Coronal…

Et il vit une silhouette revêtue de la robe impériale qui se tenait dans l’ombre à la table du conseil, sous le lit de justice.

15

De tous les moments étranges qu’il avait connus pendant sa période d’exil, c’était le plus étrange qu’il vivait maintenant : se tenir à moins de trente mètres de celui qui avait ce qui naguère était son visage. À deux reprises déjà, Valentin avait vu le faux Coronal, le jour du festival de Pidruid, et il s’était senti souillé et vidé de son énergie quand il avait levé les yeux sur lui, sans savoir pourquoi. Et maintenant, dans la semi-obscurité, il contemplait un homme grand et robuste, au regard farouche et à la barbe noire, le lord Valentin d’antan, le port altier, loin de trembler ou de se faire tout petit, qui le regardait bien en face d’un air froid, calme et menaçant. Est-ce à cela que je ressemblais ? se demanda Valentin. Si sinistre, si glacial, si rébarbatif ? Il supposa que durant tous ces mois où Dominin Barjazid avait été en possession de son corps, la noirceur de l’âme de l’usurpateur avait déteint sur le visage et donné aux traits du Coronal cette expression morbide et haineuse. Valentin s’était accoutumé à son nouveau visage, aimable et radieux, et maintenant, devant celui qui avait été le sien pendant tant d’années, il n’éprouvait nul désir de le reprendre.

— J’ai fait de vous un beau garçon, n’est-ce pas ? demanda Dominin Barjazid.

— Mais vous avez perdu au change, répondit cordialement Valentin. Pourquoi cet air renfrogné, Dominin ? Ce visage était autrefois bien connu pour son sourire.

— Vous souriiez trop, Valentin. Vous étiez trop doux, trop simple, vous aviez l’âme trop légère pour régner.

— Est-ce l’image que vous aviez de moi ?

— J’étais loin d’être le seul. Vous êtes devenu un jongleur itinérant, ces temps-ci, si j’ai bien compris.