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— Et Dominin ? Est-ce aussi un…

— Non, monseigneur, c’est le vrai Dominin, et la vue de cette chose qui se faisait passer pour son père lui a détraqué le cerveau. Mais voyez-vous, c’était le Métamorphe qui l’avait incité à l’usurpation et l’on peut supposer qu’un autre Métamorphe aurait bientôt remplacé Dominin comme Coronal.

— Et les Métamorphes qui gardaient les machines de climatisation… n’obéissaient pas aux ordres de Dominin, mais à ceux du faux Roi ! C’était une révolution secrète, Deliamber ! Nullement une prise du pouvoir par le clan Barjazid, mais le début d’une rébellion, des Métamorphes !

— C’est ce que je crains, monseigneur.

Valentin regardait dans le vide.

— Bien des choses s’expliquent, maintenant. Et le désordre est plus grave que je ne pensais.

— Monseigneur, dit Sleet, il faut découvrir et détruire ceux qui se sont glissés parmi nous et parquer le reste d’entre eux à Piurifayne où ils ne pourront pas nous nuire !

— Doucement, ami, dit Valentin. Ta haine des Métamorphes est encore vivace, hein ?

— Elle n’est pas sans fondement !

— Oui, c’est possible. Eh bien, nous allons les démasquer et nous n’aurons plus de Métamorphes se faisant passer pour le Pontife ou la Dame ou même un palefrenier. Mais je pense aussi qu’il nous faut nous rapprocher de ce peuple et apaiser son courroux, faute de quoi Majipoor sera plongée dans une guerre perpétuelle.

Il se mit debout, agrafa son manteau et leva les bras.

— Amis, nous avons du travail devant nous, je le crains, et un travail de longue haleine. Mais d’abord, nous allons célébrer notre victoire ! Sleet, je te nomme chancelier des festivités de ma restauration, pour organiser le banquet, préparer un spectacle et lancer les invitations. Il faut que Majipoor sache que tout va bien, ou presque, et que Valentin est remonté sur son trône !

17

La salle du Trône de Confalume était la plus vaste et la plus magnifique des salles du Château, avec ses resplendissantes poutres dorées, ses superbes tapisseries et son plancher de bois de gurna poli des pics de Khyntor, une salle splendide et majestueuse dans laquelle avaient lieu les plus importantes cérémonies impériales. Mais la salle du Trône de Confalume avait rarement contemplé un spectacle comme celui qu’elle contemplait.

Tout en haut des nombreuses marches du Trône de Confalume siégeait lord Valentin, et à sa gauche, sur un trône presque aussi haut, se trouvait la Dame sa mère, resplendissante dans une robe toute blanche, et à sa droite, sur un trône de la même hauteur que celui de la Dame, se trouvait Hornkast, le porte-parole du Pontife, car Tyeveras avait envoyé ses regrets et Hornkast à sa place. Et, disposés devant eux et remplissant pratiquement la salle, se tenaient les ducs, les princes et les chevaliers du royaume, une assemblée comme l’on n’en avait vu réunie au même endroit depuis le règne de lord Confalume lui-même – les suzerains venus de l’autre extrémité de Zimroel, de Pidruid, de Tilomon et de Narabal, et le duc Ghayrog de Dulorn, et les maîtres de Piliplok et de Ni-moya et de cinquante autres cités de Zimroel, plus une centaine d’Alhanroel, sans compter les Cinquante Cités du Mont. Mais toute cette foule n’était pas uniquement composée de ducs et de princes, car il y avait également des gens plus humbles, Gorzval, le Skandar manchot, Cordeine qui avait été son gabier et Pandelon son menuisier ; et Vinorkis, le Hjort négociant en peaux de haigus ; Hissune, le garçon du Labyrinthe ; et Tisana, la vieille interprète des rêves de Falkynkip, et bien d’autres encore dont la condition n’était pas plus élevée, mêlés à ces grands seigneurs, le visage brillant d’une crainte révérencielle.

Valentin se leva, salua sa mère, rendit son salut à Hornkast et s’inclina quand les acclamations s’élevèrent : Vive le Coronal ! Quand le silence retomba, il dit d’une voix calme :

— Aujourd’hui, nous donnons une fête pour célébrer la restauration de l’État et le rétablissement de l’ordre. Nous avons prévu pour vous des réjouissances.

Il frappa dans ses mains et la musique commença ; des cors, des tambours, des pipeaux, une mélodie gaie et entraînante ; une douzaine de musiciens pénétrèrent dans la salle, Shanamir à leur tête. Derrière eux venaient les jongleurs, en costumes d’une incomparable beauté, des costumes dignes de grands princes : Carabella d’abord, le petit Sleet balafré aux cheveux blancs juste derrière elle, puis Zalzan Kavol, le Skandar bourru et velu, et les deux frères qui lui restaient. Ils portaient tout un attirail de jonglerie, des sabres, des poignards et des faucilles, des torches prêtes à être allumées, des œufs, des assiettes et des massues peintes de couleurs gaies, et bien d’autres objets. Lorsqu’ils atteignirent le centre de la pièce, ils se mirent en position, se faisant face en suivant les pointes d’une étoile imaginaire, les épaules droites, bien d’aplomb sur leurs jambes.

— Attendez, dit lord Valentin. Il reste encore une place.

Degré après degré il descendit du Trône de Confalume jusqu’à la troisième marche à partir du bas. Il adressa un sourire à la Dame, un clin d’œil au jeune Hissune et un signe de la main à Carabella qui lui lança un poignard. Il l’attrapa impeccablement et elle lui en lança un second, puis un troisième, et il commença à jongler sur les marches du trône, comme il avait promis de le faire il y avait bien longtemps déjà sur l’Île du Sommeil.

C’était le signal, et les jongleurs se mirent en action, et l’air commença à scintiller d’une multitude de curieux objets qui paraissaient animés d’une vie propre. Lord Valentin était persuadé que jamais, dans tout l’univers connu, on n’avait atteint à une telle perfection. Il jongla sur les degrés du trône pendant encore quelques instants, puis il descendit se joindre au groupe, hilare, rempli d’allégresse, échangeant torches et faucilles avec Sleet, les Skandars et Carabella.

— Comme au bon vieux temps ! cria Zalzan Kavol. Mais vous avez encore fait des progrès, monseigneur !

— C’est le public qui m’inspire, répondit lord Valentin.

— Et êtes-vous capable de jongler comme un Skandar ? demanda Zalzan Kavol. Tenez, monseigneur ! Attrapez ! Attrapez ! Attrapez ! Attrapez !

Zalzan Kavol paraissait cueillir en l’air des œufs, des assiettes et des massues, ses quatre bras tournoyant et happant sans cesse de nouveaux objets qu’il lançait vers lord Valentin qui, inlassablement, les recevait, jonglait avec et les relançait à Sleet ou à Carabella pendant que les acclamations de l’assistance – il ne s’agissait pas de simples flatteries, c’était sûr – résonnaient dans ses oreilles. Oui ! C’était cela, la vie ! Comme au bon vieux temps, oui, mais encore meilleur maintenant ! Il éclata de rire et attrapa un sabre étincelant et l’envoya très haut en l’air. Elidath avait estimé qu’il pouvait être incongru pour un Coronal de jongler devant les princes du royaume et Tunigorn partageait son sentiment, mais lord Valentin était passé outre à leurs objections, leur expliquant doucement et affectueusement qu’il ne se souciait guère du protocole. Et maintenant, il les voyait à leurs places d’honneur regarder bouche bée, stupéfaits de la qualité de cette fantastique démonstration.

Et pourtant, il savait que le moment était venu pour lui de se retirer. Il se débarrassa un par un des objets avec lesquels il jonglait et recula lentement. Quand il eut atteint la première marche du trône, il s’arrêta et fit signe à Carabella d’approcher.

— Viens, dit-il. Accompagne-moi là-haut, et maintenant devenons spectateurs.

Le sang lui monta au visage, mais sans hésiter elle se débarrassa des massues, des poignards et des œufs, et avança vers le trône. Valentin la prit par la main et ensemble ils gravirent les degrés.