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— Fais de beaux rêves, dit le garçon.

— Fais de beaux rêves, répondit Valentin en se débarrassant de ses bottes.

Puis il se dépouilla à son tour de ses vêtements et se laissa tomber à côté de Shanamir. Des cris lointains retentissaient dans ses oreilles, ou peut-être dans son esprit, il fut étonné de sentir à quel point il était las. Il pourrait y avoir des rêves cette nuit, oui, et il allait les guetter attentivement pour pouvoir les passer au crible, et leur trouver une interprétation, mais d’abord il y aurait un sommeil profond, le sommeil de celui qui est totalement épuisé. Et le matin ? Une nouvelle journée. Et Tout pouvait arriver. Tout.

4

Il y eut un rêve, bien entendu, vers le milieu de la nuit. Valentin se plaça à une certaine distance de lui et le regarda se déployer, comme on le lui avait appris depuis son enfance. Les rêves étaient chargés de signification, car il s’agissait de messages envoyés par les Puissances qui gouvernaient le monde et sur lesquels chacun devait régler sa vie. On ne les méconnaissait qu’à ses risques et périls, car ils étaient des manifestations de la vérité la plus profonde. Valentin se vit en train de traverser une vaste plaine pourpre sous un sinistre ciel pourpre et un énorme soleil ambré. Il était seul et son visage était tiré et son regard tendu. Pendant qu’il marchait, de hideuses fissures s’ouvraient dans le sol, des crevasses béantes qui étaient orange vif à l’intérieur et d’où surgissaient des choses, semblables à des jouets d’enfant jaillissant d’une boîte, et qui riaient hystériquement à son passage avant de se retirer promptement dans les fissures lorsqu’elles se refermaient.

Ce fut tout. Donc pas un rêve complet, puisqu’il n’avait pas d’histoire, pas de combinaison de conflits et de solution. Ce n’était qu’une image, une scène étrange, une portion d’un tableau d’ensemble qui ne lui avait pas encore été révélé. Il était même incapable de dire s’il s’agissait d’un message envoyé par la Dame, la bienheureuse Dame de l’Île du Sommeil ou par le malveillant Roi des Rêves. À demi éveillé, il médita quelque temps là-dessus puis décida finalement de ne pas approfondir le sujet plus avant. Il se sentait curieusement à la dérive, coupé de son moi profond : c’était comme s’il n’avait pas même existé l’avant-veille. Et il n’avait même plus accès à la sagesse des rêves. Il se rendormit et son sommeil fut interrompu seulement par le léger crépitement d’une averse qui tomba brièvement mais bruyamment. Il n’eut pas conscience de faire d’autres rêves. La lumière matinale le réveilla une lumière chaude, vert doré, qui pénétrait par l’autre extrémité du long dortoir. La porte était ouverte. Shanamir n’était nulle part dans la pièce. Valentin était seul, à l’exception de deux dormeurs qui ronflaient un peu plus loin.

Valentin se leva, s’étira, assouplit ses bras et ses jambes et s’habilla. Il se lava dans un lavabo fixé au mur et sortit dans la cour. Il se sentait alerte, plein d’énergie, et prêt pour tout ce que cette journée pouvait apporter. L’air matinal était lourd d’humidité mais chaud et vif, et le brouillard de la nuit précédente s’était totalement dissipé. Du ciel clair tombait la chaleur éprouvante d’un soleil estival. Dans la cour, poussaient trois grandes plantes grimpantes, une contre chaque mur, aux troncs ligneux et noueux plus larges qu’une poitrine d’homme et aux feuilles vernissées en forme de pelle et d’un bronze profond alors que les nouvelles pousses étaient rouge vif. La plante était couverte de fleurs d’un jaune criard qui ressemblaient à de petites trompettes, mais elle portait aussi des fruits mûrs, de lourdes baies bleu et blanc luisantes de gouttes d’humidité. Valentin en cueillit hardiment une et la mangea. C’était sucré, mais âpre aussi, et capiteux comme un vin très jeune. Il en mangea une autre et tendit le bras pour en prendre une troisième mais se ravisa.

Il fit le tour de la cour et alla jeter un coup d’œil dans les écuries où il vit les montures de Shanamir en train de mâchonner paisiblement de la paille hachée, mais pas trace de Shanamir. Il était peut-être parti s’occuper de ses affaires. Il continua autour du bâtiment, et une odeur de poisson grillé parvint jusqu’à lui et lui fit ressentir les titillations d’une faim soudaine. Il poussa une porte branlante et se trouva dans une cuisine où un petit homme à l’air las préparait le petit déjeuner pour une demi-douzaine de pensionnaires de plusieurs races. Le cuisinier jeta un regard indifférent à Valentin.

— Est-il trop tard pour manger ? demanda doucement Valentin.

— Prenez un siège. Poisson et bière, trente pesants.

Il trouva une pièce d’une demi-couronne et la posa sur le fourneau. Le cuisinier poussa de la menue monnaie dans sa direction et jeta un autre filet sur sa plaque. Valentin alla s’asseoir contre le mur. Plusieurs personnes se levèrent pour partir et l’une d’elles, une jeune femme souple et élancée, aux cheveux bruns coupés court, s’arrêta près de lui.

— La bière est dans ce pichet, dit-elle. Ici, chacun se sert.

— Merci, répondit Valentin, mais elle avait déjà franchi la porte.

Il s’en versa une pleine chope… un liquide lourd et piquant qui collait contre son palais. Quelques instants plus tard, il avait son poisson, croustillant et savoureux. Il le dévora.

— Un autre ? demanda-t-il au cuisinier qui lui jeta un regard peu amène mais s’exécuta.

Pendant qu’il mangeait, Valentin réalisa que l’un des pensionnaires de la table voisine – un Hjort trapu, au visage bouffi, le teint terreux et la peau grenue, avec de gros yeux protubérants – le dévisageait avec insistance. Cette curieuse inspection mit Valentin mal à l’aise. Après un certain temps, il regarda le Hjort bien en face, et ce dernier cilla et détourna précipitamment les yeux.

Un peu plus tard, le Hjort se retourna vers Valentin et lui demanda :

— Vous venez juste d’arriver, n’est-ce pas ?

— Hier soir.

— Vous restez longtemps ?

— Au moins pendant toute la durée du festival, répondit Valentin.

Il y avait indiscutablement chez ce Hjort quelque chose qui lui déplaisait instinctivement. Peut-être était-ce seulement son aspect, car Valentin trouvait que les Hjorts étaient des créatures sans attrait, grossières et boursouflées. Mais il savait que ce jugement était cruel. Les Hjorts n’étaient pas responsables de leur apparence physique et ils considéraient probablement les humains comme tout aussi déplaisants, des êtres pâles et étiques, dont la peau lisse était répugnante.

C’était peut-être aussi l’intrusion dans sa vie privée qui le gênait, les regards insistants, les questions. Ou peut-être simplement la manière dont le Hjort avait agrémenté les grains charnus de sa peau d’un pigment orange. Quoi qu’il en fût, il en ressentait un malaise et une inquiétude.

Mais il se sentait légèrement coupable pour ces préventions et n’avait nul désir de se montrer insociable. Pour se racheter, il gratifia le Hjort d’un sourire tiède et lui dit :

— Je m’appelle Valentin. Je suis de Ni-moya.

— Cela fait un bon bout de chemin, répondit le Hjort en continuant à mastiquer bruyamment.

— Vous êtes de la région ?

— Un peu au sud de Pidruid. Mon nom est Vinorkis. Commerce de peaux de haigus.

Le Hjort découpait minutieusement sa nourriture. Après un certain temps, il reporta son attention sur Valentin, laissant ses gros yeux vitreux se poser fixement sur son visage.

— Vous voyagez avec le garçon ?

— Pas vraiment. Je l’ai rencontré sur la route de Pidruid. Le Hjort hocha la tête.

— Vous rentrez à Ni-moya après le festival ?