Выбрать главу

Elle est revenue avec deux scotch-citron bien tassés et m’a effleuré le front des lèvres avant de prendre place dans un fauteuil en face de moi. « Sois le bienvenu. Tu es toujours le bienvenu. » Nous avons levé nos verres et bu.

Elle a attendu en silence le temps que je sois prêt.

J’ai lâché d’une traite : « Hamther est né.

— Qui ça ?

— Hamther. Son frère Sorli et lui ont péri en voulant venger leur sœur.

— Je sais, a-t-elle murmuré. Oh ! Cari, mon chéri.

— Le premier fils de Tharasmund et d’Ulrica. Il s’appelle en fait Hathawulf, mais il est facile de voir comment ce nom a pu donner celui de Hamther à mesure que l’histoire était colportée au fil des siècles. Et ils comptent donner à leur prochain fils le nom de Solbern. Et le moment correspond. Ce seront tous deux des jeunes adultes quand...» Je n’ai pas pu continuer.

Elle s’est penchée vers moi, me rappelant à la réalité d’une caresse de sa main.

Puis elle a repris, un peu sèchement : « Tu n’es pas obligé de t’imposer cela. N’est-ce pas, Cari ?

— Hein ? » J’étais si étonné que j’en ai oublié ma peine l’espace d’un instant. « Bien sûr que si. C’est mon travail, mon devoir.

— Ton travail consiste à déterminer ce que les gens ont mis dans leurs contes et leurs chants. Pas à vivre leurs faits et gestes. Saute une étape, mon chéri. Débrouille-toi pour que... Hathawulf soit mort la prochaine fois que tu reviendras parmi eux.

— Non ! »

Me rendant compte que j’avais crié, j’ai bu une lampée d’alcool pour me réconforter, puis je l’ai regardée droit dans les yeux et j’ai répondu posément : « J’y ai pensé. Crois-moi. Et je ne peux pas. Je ne peux pas les abandonner.

— Ni les aider. Tout ceci est prédestiné.

— Nous ignorons ce qui se passera... ce qui s’est passé. Et comment je pourrais... Non, Laurie, je t’en prie, cessons de parler de cela. »

Soupir. « Je peux comprendre tes sentiments. Tu les as accompagnés pendant des générations, tu les as vus grandir, vivre, souffrir et mourir ; mais pour toi, cela a duré moins longtemps. » Elle s’est abstenue d’ajouter : Pour toi, Jorith est un souvenir encore vif. « Oui, fais ce que tu dois faire, Cari, pendant que tu le peux. »

Les mots me manquaient, car je percevais sa souffrance.

Elle a eu un sourire hésitant. « Pour le moment, tu es en permission. Oublie un peu ton travail. Aujourd’hui, je suis allée acheter un petit arbre de Noël. Ça te dirait qu’on le décore ce soir, une fois qu’on aura savouré un dîner de gourmets ? »

« Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté...»

348–366

Athanaric, roi des Goths d’Occident, détestait le Christ. Outre qu’il était attaché aux dieux de ses pères, il voyait en l’Église un agent de l’Empire. Qu’elle accroisse son influence parmi les siens, raisonnait-il, et ils finiraient par se prosterner devant les Romains. Par conséquent, il dressa ses hommes contre elle, empêcha les familles de chrétiens assassinés d’obtenir réparation et, pour finir, promulgua une loi conçue pour les faire massacrer à la moindre provocation. Ou du moins le pensait-il. Les Goths baptisés, qui étaient de plus en plus nombreux, se rapprochèrent et décidèrent de laisser le Seigneur décider de l’issue de la crise.

L’évêque Ulfilas critiqua leur position. Si les martyrs devenaient des saints, il fallait des fidèles bien vivants pour répandre la Bonne Parole. Il demanda à Constantin d’autoriser ses ouailles à gagner la Mésie, ce que l’Empereur lui accorda. Il leur fit traverser le Danube et ils s’établirent dans les monts Balkans. Les guerriers d’hier devinrent un peuple de fermiers et de bergers des plus paisibles.

Lorsque cette nouvelle parvint à Heorot, Ulrica éclata de rire. « Mon père est débarrassé d’eux ! »

Elle s’était réjouie trop vite. Durant les trente années suivantes, Ulfilas poursuivit son œuvre. Tous les chrétiens wisigoths ne l’avaient pas suivi. Certains étaient restés au nord du Danube, parmi lesquels des chefs suffisamment puissants pour assurer la protection des leurs. On leur envoya des missionnaires, dont le zèle porta ses fruits. Pour contrer les persécutions d’Athanaric, les convertis se cherchèrent leur propre chef. Ce rôle échut à Frithigern, un membre de la maison royale. Bien que les deux factions n’en vinssent jamais à la guerre ouverte, les affrontements ne manquèrent pas. Plus jeune que son rival, bientôt plus riche que lui du fait de ses échanges avec les Romains, Frithigern poussa de nombreux Goths d’Occident à entrer dans le sein de l’Église, une conversion leur paraissant des plus profitables.

Les Ostrogoths étaient peu touchés par cette évolution. Le nombre de chrétiens parmi eux augmenta, mais lentement et sans que cela pose problème. Le roi Ermanaric ne se souciait ni des dieux ni de l’autre monde. Il était trop affairé à s’emparer des fruits de celui-ci.

Il guerroyait dans toute l’Europe de l’Est. Les Hérules furent défaits au prix de plusieurs campagnes. Ceux qui refusèrent de se soumettre migrèrent vers l’Occident pour rejoindre des peuples auxquels ils étaient apparentés. Les Estes et les Wendes se révélèrent des proies faciles. Mais Ermanaric et ses troupes poussèrent plus au nord, par-delà les terres que son père considérait comme siennes. Au bout du compte, le domaine reconnaissant son autorité s’étendit de l’Elbe à l’embouchure du Dniepr.

Tharasmund gagna gloire et butin au service du roi. Mais il n’appréciait guère la cruauté de celui-ci. Lors des assemblées, il défendait souvent les droits des autres tribus en plus de la sienne. Ermanaric ne pouvait que se rendre à ses arguments, fût-ce à contrecœur. Les Teurings étaient encore trop puissants pour qu’il s’en fasse des ennemis. D’autant plus que nombre de Goths auraient hésité à affronter une maison dont l’étrange fondateur se manifestait encore de temps à autre.

Le Vagabond était présent lorsqu’on donna son nom à Solbern, le troisième fils de Tharasmund et d’Ulrica. Le deuxième était mort en bas âge, mais Solbern, à l’instar de son frère, grandit en force et en beauté. Ensuite, ils eurent une fille, qu’ils nommèrent Swanhild. Le Vagabond était à nouveau là pour la cérémonie, mais il ne s’attarda point et on ne le revit plus durant des années. Swanhild devint une fort belle enfant, d’une nature douce et joyeuse.

Ulrica porta trois autres enfants. Aucun d’eux ne vécut très longtemps. Tharasmund s’absentait souvent pour guerroyer, commercer, solliciter le conseil d’hommes avisés, gouverner le destin des Teurings. À son retour, il couchait le plus souvent avec Erelieva, la concubine qu’il avait prise peu après la naissance de Swanhild.

Ce n’était ni une esclave ni une miséreuse, mais la fille d’un yeoman prospère. Elle aussi descendait de Winnithar et de Salvalindis, du côté de sa mère. Tharasmund avait fait sa connaissance lors d’une des tournées annuelles qu’il effectuait parmi les tribus afin de recueillir leurs avis et leurs doléances. Il prolongea cette étape-là, et on les vit très souvent ensemble. Plus tard, il lui envoya des messagers pour l’inviter à le rejoindre. Ces derniers offrirent à ses parents des présents de qualité, ainsi que la promesse d’une alliance honorable entre les deux familles. Cette offre n’était pas de celles que l’on refuse, et, comme la jeune femme était consentante, elle repartit avec les hommes de Tharasmund.

Celui-ci tint parole et la chérit. Lorsqu’elle lui donna un fils, Alawin, il organisa une fête aussi somptueuse que celles données en l’honneur de Hathawulf et de Solbern. Elle n’eut que peu d’enfants par la suite, qui tous moururent en bas âge, mais il lui conserva son amour.