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« Je devine ce que tu veux », dit Hathawulf avec un sourire en coin.

Randwar passa une main dans sa crinière rouge. « Oui. Je veux Swanhild pour femme.

— Hum. Elle semble heureuse de ta présence.

— Nous sommes faits l’un pour l’autre ! » Randwar se maîtrisa. « Cela servirait tes intérêts. Je suis riche ; et des jachères attendent mon retour dans les terres des Greutungs. »

Rictus de Hathawulf. « Elles sont fort loin. Ici, nous pouvons nous serrer les coudes.

— Quantité de yeomen m’accueilleront avec joie. Tu ne perdrais pas un camarade, tu gagnerais un allié. »

Mais Hathawulf restait sur son quant-à-soi, si bien que Randwar lâcha en bredouillant : « De toute façon, c’est décidé. Nos deux cœurs l’exigent. Mieux vaut suivre la volonté de Weard.

— Tu as toujours été bouillant », dit le chef, restant affable bien que l’inquiétude le gagnât. « Tu sembles croire qu’un amour partagé suffit à assurer un bon mariage – ce qui préjuge mal de ta sagesse. Si on te laissait agir à ta guise, de quoi serais-tu capable ? »

Randwar poussa un hoquet. Avant qu’il ait eu le temps de s’emporter, Hathawulf lui posa une main sur l’épaule et poursuivit avec un sourire un peu triste : « Je ne souhaitais pas t’insulter. Je tiens seulement à ce que tu y réfléchisses à deux fois. Je sais que tu n’y es pas enclin, mais je te demande de faire un effort. Pour Swanhild. »

Randwar prouva qu’il savait tenir sa langue.

Lorsqu’ils furent de retour, Swanhild se précipita dans la cour. Elle agrippa le genou de son frère. Son impatience parla pour elle : « Oh ! Hathawulf, tu es d’accord, n’est-ce pas ? Tu as dit oui, je le sais ! Jamais je n’ai été aussi heureuse. »

C’est ainsi qu’un splendide mariage occupa Heorot cet automne. Pour Swanhild, l’absence du Vagabond fut la seule ombre au tableau. Elle était pourtant sûre qu’il bénirait leur union. Ne veillait-il pas sur sa famille ?

Entre-temps, Randwar avait dépêché des émissaires dans ses terres. Ils édifièrent une nouvelle demeure à l’emplacement de celle d’Embrica et engagèrent d’excellents serviteurs. Le jeune couple gagna ses pénates en grande pompe. Après avoir fait franchir à Swanhild un seuil où il avait répandu des rameaux de conifères pour implorer la bénédiction de Frija, Randwar organisa une fête pour toute la contrée, et ils se retrouvèrent chez eux.

Bientôt, en dépit de l’amour qu’il avait pour son épousée, il s’absenta de plus en plus, souvent pendant des jours. Il parcourait le pays des Greutungs pour mieux en connaître les habitants. Lorsqu’un homme lui semblait digne de confiance, il l’attirait à l’écart et leur conversation portait sur autre chose que le bétail, le commerce et les Huns.

Par une sombre journée précédant le solstice, alors que quelques flocons tombaient sur la terre gelée, les chiens se mirent à aboyer. S’emparant d’une lance, Randwar sortit pour voir ce qui se passait. Deux domestiques bien bâtis l’accompagnèrent, également armés. Mais lorsqu’il aperçut la haute silhouette qui entrait dans sa cour, il planta sa lance dans le sol et s’écria : « Salut ! Bienvenue ! »

Assurée qu’elle ne courait aucun danger, Swanhild se précipita sur le seuil. Sous son fichu d’épouse, ses yeux et ses cheveux lumineux tranchaient avec la grisaille qui envahissait toutes choses. La joie éclaira son visage. « Oh ! Vagabond, cher Vagabond ! Oui, bienvenue ! »

Il s’approcha et elle distingua ses traits sous l’ombre de son chapeau. Elle porta une main à sa bouche. « Comme tu sembles triste ! Que se passe-t-il ? Quel malheur est-il arrivé ?

— Je suis navré, répondit-il d’une voix pesante comme la pierre. Certaines choses doivent rester secrètes. Si je n’ai pas assisté à votre mariage, c’était de peur de gâcher votre joie. A présent... Eh bien, Randwar, j’ai parcouru une route douloureuse. Permets-moi de me reposer avant que nous n’en parlions. Buvons quelque chose de chaud et souvenons-nous des jours anciens. »

Ce soir-là, il retrouva un peu de son intérêt de jadis lorsqu’on lui chanta un lai portant sur la dernière campagne contre les Huns. En retour, il conta lui aussi de nouvelles histoires, mais avec moins d’entrain qu’auparavant, comme s’il devait se forcer. Swanhild soupira d’aise. « Comme il me tarde que mes enfants puissent t’entendre », dit-elle, bien qu’elle ne fût point encore grosse. Elle s’effara quelque peu de le voir grimacer.

Le lendemain, il parut avec Randwar. Tous deux passèrent des heures à discuter. Voici ce que Greutung rapporta à sa femme :

« Il m’a mis en garde contre Ermanaric, qui n’a cessé de nous haïr. Nous nous trouvons ici dans le domaine du roi, et notre force est incertaine alors que notre richesse est fort tentante. Il souhaitait que nous partions d’ici pour aller loin, très loin – chez les Goths d’Occident, pour être précis –, et cela sans tarder. Il n’en est pas question, bien entendu. Qui que soit le Vagabond, le droit et l’honneur passent avant lui. Il sait que j’ai déjà proposé à nos voisins de nous unir contre le roi, afin de mieux lutter contre ses abus et, si nécessaire, les combattre. C’est pure folie à l’en croire, car jamais ces entreprises ne pourront rester secrètes.

— Qu’as-tu répondu à cela ? demanda-t-elle en réprimant un frisson.

— Que les Goths libres ont le droit de s’ouvrir le cœur. Et je lui ai rappelé que mes parents adoptifs criaient toujours vengeance. Si les dieux refusent de faire justice, c’est aux hommes d’agir.

— Tu devrais l’écouter. Il en sait plus que nous en saurons jamais.

— Je n’ai pas l’intention de me précipiter. J’attendrai que se présente ma chance. Cela seul pourrait suffire. Il arrive parfois qu’un homme meure avant son heure ; si un tel sort peut échoir à un homme bon comme Tharasmund, pourquoi un être maléfique comme Ermanaric serait-il épargné ? Non, ma chérie, jamais nous ne quitterons ces terres qui sont nôtres, car elles appartiennent à nos fils à venir. Par conséquent, nous devons être prêts à les défendre, n’est-ce pas ? » Randwar attira Swanhild contre lui. « Viens, fit-il en riant, faisons le nécessaire pour faire venir ces enfants ! »

Le Vagabond ne put le faire fléchir et, au bout de quelques jours, il lui fit ses adieux. « Quand te reverrons-nous ? s’enquit Swanhild sur le seuil.

— Je crois que...» Il chancela. « Je ne peux pas... Oh ! comme tu ressembles à Jorith ! » Il l’étreignit, l’embrassa, la lâcha et s’en fut. Tous furent choqués de l’entendre pleurer.

Mais il afficha une contenance de fer une fois chez les Teurings. On l’y vit souvent au cours des mois qui suivirent, non seulement à Heorot mais aussi parmi les yeomen, les marchands itinérants, les paysans, les ouvriers et les marins.

En dépit de son prestige, il ne trouva que peu de Goths pour accepter de suivre ses exhortations. Il les pressait de renforcer leurs liens avec l’Occident, et pas seulement pour favoriser les échanges commerciaux. En cas de malheur – une invasion de Huns, par exemple –, ils sauraient où se réfugier. Qu’ils envoient donc l’été prochain des hommes et des marchandises à Frithigern, qui en garantirait la sécurité ; qu’ils préparent des bateaux, des chariots, de la nourriture et du matériel ; et qu’ils s’efforcent d’en savoir davantage sur les terres les séparant des Wisigoths, afin de les traverser sans encombre.