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La réponse lui fut donnée d’une voix caverneuse, inhumaine, impitoyable. « Frères, voici votre destin. Affrontez-le bravement et vos noms vivront éternellement.

» Ermanaric, ton heure n’est pas encore venue. Fais sortir tes hommes par l’arrière et prends les Teurings à revers.

» Allez, vous tous, allez où Weard vous mène. »

Et il n’était plus là.

Hathawulf et Solbern restaient pétrifiés.

Quoique meurtri et sanguinolent, Ermanaric trouva la force de lancer : « Courage ! Repoussez l’ennemi – ceux qui le peuvent, sortez par-derrière, faites le tour du bâtiment – écoutez la parole de Wodan ! »

Les hommes de sa garde rapprochée furent les premiers à comprendre. Poussant un cri de joie, ils fondirent sur leurs adversaires. Ceux-ci battirent en retraite, se retrouvant au cœur de la mêlée. Solbern resta sur le carreau, baignant dans son sang.

Un groupe d’hommes s’engouffra dans la poterne. Contournant l’édifice au pas de course, ils se retrouvèrent devant l’entrée.

La plupart des Teurings avaient gagné l’intérieur. Les Greutungs massacrèrent ceux qui s’attardaient dans la cour. Quand ils n’avaient pas d’armes, ils arrachaient les pavés pour les lapider. La lune leur faisait cadeau de son éclat.

Puis les guerriers hurlants nettoyèrent le vestibule. Ils purent alors s’armer de pied en cap, et ils fondirent sur les agresseurs.

Le combat fut sans pitié. Se sachant condamnés à mort, les Teurungs luttèrent jusqu’au dernier. Hathawulf tua tant de guerriers qu’il édifia un mur avec leurs cadavres. Lorsqu’il succomba, rares étaient les survivants en mesure de s’en réjouir.

Le roi aurait péri lui aussi, si ses hommes ne s’étaient pas empressés de panser ses plaies. Il était à peine conscient lorsqu’on le fit sortir d’une salle désormais peuplée de morts.

1935

Laurie ! Laurie !

372

Avec le matin vint la pluie. Portée sur les ailes d’un vent ululant, aussi dure et froide que la grêle, elle cachait toutes choses autour du village, comme si le reste du monde avait été emporté. Ses rugissements résonnaient dans les couloirs déserts de Heorot.

Il régnait là une obscurité aux relents de néant. Les feux avaient beau brûler, les lampes s’illuminer, les ombres demeuraient toutes-puissantes. L’air était acre.

Ils étaient trois au centre de la grande salle. Pas question de s’asseoir pour parler d’un tel sujet. De leurs lèvres sortait une haleine blanche.

« Massacrés ? bredouilla Alawin. Jusqu’au dernier ? »

Le Vagabond acquiesça. « Oui, répéta-t-il, mais les Greutungs porteront le deuil tout autant que les Teurings. Ermanaric a survécu, mais il est fort dolent et pleure deux de ses fils. »

Ulrica lui jeta un regard acéré. « Si cela s’est produit la nuit dernière, ce n’est pas une monture terrestre que tu as chevauchée pour nous porter la nouvelle.

— Tu sais qui je suis, répondit-il.

— Vraiment ? » Elle leva vers lui des doigts crochus. Sa voix se fit stridente. « Si tu es bien Wodan, alors quel dieu lamentable est-ce là, qui n’a pu ni voulu aider mes fils en cette heure décisive !

— Holà, holà ! » fit Alawin en implorant le Vagabond du regard.

Ce dernier répondit à voix basse : « Je partage ton deuil. Mais la volonté de Weard est inflexible. Quand te parviendra le récit de cette nuit, tu entendras dire que j’étais sur les lieux, et même que c’est moi qui ai sauvé Ermanaric. Sache que les dieux eux-mêmes ne peuvent rien contre le temps. J’ai fait ce que j’étais destiné à faire. Rappelle-toi qu’en affrontant le destin qui était le leur, Hathawulf et Solbern ont réaffirmé l’honneur de leur maison et se sont fait un nom qui vivra aussi longtemps que vivra leur race.

— Mais Ermanaric demeure sur cette terre, cracha Ulrica. Alawin, c’est toi désormais qui es dépositaire du devoir de vengeance.

— Non ! fit le Vagabond. Sa tâche est tout autre. Son devoir est de sauver le sang de la lignée, la vie du clan. C’est pour cela que je suis ici. »

Il se tourna vers le jeune homme, qui ouvrait de grands yeux. « Alawin, reprit-il, je possède un savoir de l’avenir qui m’est un fardeau. Mais je puis parfois éviter le malheur grâce à lui. Écoute-moi bien, car c’est la dernière fois que tu m’entendras.

— Vagabond, non ! » s’écria Alawin. Ulrica laissa échapper un sifflement.

Le Gris leva la main qui n’empoignait pas sa lance. « L’hiver pèsera bientôt sur toi, mais le printemps puis l’été le suivront. L’arbre de ta lignée a perdu ses feuilles, mais ses racines demeurent vigoureuses et il reverdira – à moins qu’une hache ne l’abatte.

» Écoute. Si marri soit-il, Ermanaric voudra éradiquer ta maison une bonne fois pour toutes. Tu ne peux lever une armée aussi puissante que la sienne. Si tu restes ici, tu mourras.

» Réfléchis. Tu es prêt à migrer en Occident, où les Wisigoths t’accueilleront avec joie. D’autant plus qu’Athanaric a subi de lourdes pertes en affrontant les Huns sur les berges du Dniestr ; ils ont besoin de nouvelles âmes pleines de vigueur. Il te suffit de quelques jours pour monter cette expédition. Lorsqu’ils viendront ici, les hommes d’Ermanaric ne trouveront que les cendres de cet édifice, que tu détruiras pour le frustrer et pour qu’il serve de bûcher funèbre en l’honneur de tes frères.

» Tu ne t’enfuis pas. Non, tu pars te forger un avenir. Alawin, tu es à présent le dépositaire du sang de tes pères. Conserve-le précieusement. »

La colère déformait le visage d’Ulrica. « Oui, tu as toujours su user de paroles mielleuses, gronda-t-elle. Ignore sa duplicité, Alawin. Sois ferme. Venge mes fils – les fils de Tharasmund. »

Le jeune homme déglutit avec difficulté. « Veux-tu vraiment... que je parte... et que je laisse vivre... l’assassin de Swanhild, de Randwar, de Hathawulf, de Solbern ? bredouilla-t-il.

— Tu ne dois point rester, répondit le Vagabond d’un air grave. Si tu restes ici, tu sacrifieras la dernière des vies qu’a engendrées ton père – tu l’offriras au roi, ainsi que celles du fils de Hathawulf, de son épouse et de ta propre mère. Il n’est point déshonorant de battre en retraite devant une force supérieure en nombre.

— Oui... je pourrai lever une armée parmi les Wisigoths...

— Tu n’en auras pas besoin. Écoute. Dans moins de trois ans, tu recevras d’Ermanaric des nouvelles qui te mettront en joie. La justice des dieux s’imposera à lui. Je t’en donne ma parole.

— Et que vaut-elle donc ? » glapit Ulrica.

Alawin reprit son souffle, bomba le torse, réfléchit quelques instants et dit d’une voix ferme : « Silence, marâtre. Je suis l’homme de la maison. Nous suivrons le conseil du Vagabond. »

L’enfant qu’il était encore perça un moment. « Oh ! sire, père... nous ne te reverrons donc plus ? Ne nous abandonne pas !

— Je le dois, répondit le Gris. Cela t’est nécessaire. » Vivement : « Oui, mieux vaut que je parte sans tarder. Bonne route. Oui, bonne route, pour toujours. »

Il s’enfonça parmi les ombres, franchit le seuil, disparut dans la pluie et le vent.

43

Çà et là, à diverses époques, la Patrouille a créé des centres de vacances pour ses agents. Parmi eux figure Hawaï avant la venue des Polynésiens. Bien que son existence s’étende sur plusieurs millénaires, c’est par un coup de chance que Laurie et moi avons pu y louer un bungalow pendant un mois. Encore que je soupçonne Manse Everard de nous avoir pistonnés.

Il n’a pas abordé le sujet quand il nous a rendu visite, alors que notre séjour touchait à sa fin. Affable comme il pouvait l’être, il est allé surfer et pique-niquer en notre compagnie, puis il a attaqué le dîner préparé par Laurie avec l’enthousiasme qu’il méritait. Ce n’est qu’après qu’il a abordé les événements passés et à venir.