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Le voilà assis là, lui, le puissant, estropié de la main et du pied, incapable d’agir à présent que l’ennemi avait traversé le fleuve et massacré l’armée censée le retenir. Il aurait dû élaborer une stratégie, donner des ordres, haranguer son peuple. Tout n’était pas perdu, à condition qu’ils aient un chef. Mais le roi avait la tête vide.

Non, pas tout à fait. Les morts se bousculaient dans son crâne, tous ceux qui étaient tombés aux côtés de Hathawulf et de Solbern, la fine fleur des Goths d’Orient. S’ils avaient encore été de ce monde, ensemble ils auraient repoussé les Huns, Ermanaric à leur tête. Mais Ermanaric avait péri lors de ce même massacre. Ne restait à sa place qu’un mutilé, à l’esprit rongé par une douleur incessante.

Il ne pouvait plus rien pour son royaume hormis y renoncer, en espérant que l’aîné de ses fils survivants se montrerait digne du trône, et victorieux au combat. Ermanaric montra les dents aux étoiles. Cet espoir était vain, il ne le savait que trop bien. Les Ostrogoths étaient voués à la défaite, au pillage, à la boucherie, à la servitude. S’ils recouvraient un jour la liberté, ce serait bien après qu’il aurait pourri sous terre.

Tel serait le sort de sa chair – mais qu’adviendrait-il de son esprit ? Qu’est-ce qui l’attendait dans l’au-delà ?

Il dégaina son poignard. L’acier accrocha la lueur des étoiles et celle des éclairs. Un temps il trembla dans sa main. Le vent le railla.

« Suffit ! » s’écria-t-il. Écartant sa barbe de sa main libre, il porta la pointe sous sa mâchoire. Comme de sa propre volonté, son regard se tourna à nouveau vers le Chariot. Un éclat blanc, fugace... un lambeau de nuage, ou Swanhild courant derrière le Vagabond ? Ermanaric rassembla tout ce qu’il lui restait de courage. Il planta le poignard et se trancha la gorge.

Le sang jaillit à gros bouillons. Il chancela et tomba sur le toit. Le tonnerre fut la dernière chose qu’il entendit. On eût dit les sabots des chevaux qui apportaient à l’Occident la nuit noire des Huns.