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– Tas une clope, mon frère? a murmuré mon voisin.

J'ai jeté un coup d'œil sur mon frère (un tueur de la pire espèce), puis vers la salle pour voir si aucune mandale ne lui arrivait sur la gueule, non, et j'ai fouillé comme j'ai pu dans mon manteau pour en sortir mes cigarettes et mon briquet. Visiblement bien plus expérimenté, plus à l'aise que moi menottes aux poignets (quelques heures de vol derrière lui), il s'en est allumé une et a remis le paquet et le briquet dans ma poche. C'est à ce moment qu'une mandale surgie de l'autre bout de la pièce comme une fusée lui est arrivée sur la gueule, Je n'aurais pas aimé la prendre. Le type qui avait bondi vers nous faisait peur à voir.

– Vous avez pas le droit de me frapper!

– Et toi Mohamed, ou Rachid, t'as le droit de fermer ta gueule et c'est tout.

– Vous pouvez pas…

– Ta gueule!

(Ce type effrayant est probablement un flic, me suis-je dit.)

– On fume pas ici, a repris le flic. Tu le sais très bien. Bon, puisque je suis là, viens, tu vas me raconter ta vie.

Tout en disant cela, il lui a saisi l'avant-bras pour l'inciter à se lever. À ce moment, mon frère a commis une petite maladresse: il a esquissé un léger mouvement de recul, comme pour faire comprendre qu'il était assez grand pour se lever tout seul.

Je crois savoir que le fonctionnaire de police, en général, n'accepte pas le principe de la rébellion. Celui-ci n'échappait pas à la règle. Il a empoigné Mohamed ou Rachid d'une main par les menottes, de l'autre par les cheveux, et l'a soulevé du banc comme on arrache une mauvaise herbe, tchac. Puis il a essayé de le conduire jusqu'à un bureau, à travers la salle où paradaient les pauvres flics-majorettes. Mais ce couillon de Mohamed ou Rachid s'est mis à se débattre comme un beau diable – ce qu'il ne faut jamais faire.

– Lâchez-moi! Vous avez pas le droit! Je veux un avocat! Lâchez-moi!

– C'est pas la peine de te fatiguer à crier, ici personne ne peut t'entendre.

En fin de compte, ce flic n'était pas dénué d'humour. Mais Mohamed ou Rachid, lui, ne semblait pas d'humeur à plaisanter. Manifestement sur les nerfs, il a même un peu perdu les pédales.

– Lâche-moi! Je veux un avocat, enculé!

Enculé, moi, j'aurais évité. Car je suis malin. C'est mal passé, encuîé. Adieu le flegme britannique de notre fonctionnaire. Il a répondu, sur le même ton, qu'il allait lui apprendre la politesse, connard, qu'il n'avait droit à rien, que la garde à vue était faite pour ça – toutes ces explications en le frappant sur la tête et en lui donnant de bons coups de genou dans les reins. Désagréable à regarder. Deux collègues aussi nerveux sont venus en renfort et mon pauvre frère, qui hurlait et se démenait de plus belle, a disparu sous les coups dans un bureau.

Mon vieux chauve, n'ayant rien raté de la scène, a sans doute compris que l'endroit obéissait à des lois hiérarchiques bien précises et que ceux qui se trouvaient sur le banc, menottes aux poignets, n'appartenaient pas au camp des dominants. Il s'est mis à m'injurier à voix un peu plus haute. J'étais de la vermine, il pouvait y aller.

– Tu croyais que tu allais pouvoir t'en tirer comme ça? Dis? Tu crois qu'il n'y a pas de police, dans ce pays? Espèce de voyou, tu vois où ça te mène? Tu sais ce qui t'attend? (C'était lui qui posait les questions, visiblement.) Je suis dans le quartier depuis soixante ans, crétin. Tu vas en baver, fais-moi confiance. Ordure. Je connais le commissaire. Ça te cloue le bec, ça, hein? Je vais te faire passer le restant de tes jours en taule, fils de pute!

Il exagère, là.

– Calmez-vous, grand-père, a fait distraitement un inspecteur sans lever les yeux de sa machine.

Le vieux a hoché la tête d'un air entendu (ce qui devait signifier à peu près: «O.K., collègue, O.K., je contrôle») et, après un moment de silence docile, a repris sa litanie délirante sans que l'inspecteur ne se fatigue plus à intervenir. Quand il a déclaré qu'il m'avait bien repéré, depuis quelques semaines, rôdant sournoisement autour de sa boutique, j'ai pensé qu'il était temps, malgré la cinglante punition que j'encourais, de tenter un mot de défense.

– Écoutez, vous savez parfaitement que j'ai essayé de vous aider.

Cette fois, le flic à la machine a relevé la tête.

– Tais-toi.

Un marginal, celui-ci, un poli. Une forte tête. Il a regardé longuement le vieux con cramoisi (qui tremblait d'indignation) d'un œil perplexe, semblant enfin comprendre qu'il y avait là, au milieu de la grande salle, sur une chaise, un mégalomane névrotique pris à la gorge par une violente crise de paranoïa. Mais, bon, il a enfoncé une nouvelle touche sur sa machine. Pas de temps à perdre avec ces broutilles. Je ne me sentais plus très à l'aise.

C'est à ce moment qu'un être humain, avec tout ce que ces deux mots comportent de touchant et de merveilleux, un être humain sublime et merveilleux a fait irruption dans le commissariat, hors d'haleine et merveilleux.

6

C'était mon voisin. Celui qui avait assisté à mon arrestation. Ah le brave homme, l'ami de la vérité, le bouclier des innocents, il avait couru jusque-là, le marathonien de la bonne justice pour tous, le fils d'Aide Humanitaire et de Secours Catholique. C'était mon témoin.

Rouge comme un dément, donc, en nage malgré le froid, hoquetant, haletant, les yeux hors de la tête (c'était presque inquiétant – ils auraient pu tout aussi bien le cribler de balles, par réflexe), il s'est adressé au premier bureau près de la porte.

– Écoutez… Écoutez, il n'a rien fait. J'en suis sûr. C'est… Je sais que… Je suis sûr que… Attendez…

Dans ses efforts pour enrayer au plus vite le redoutable mécanisme de l'erreur judiciaire, le brave homme s'embrouillait, s'étouffait sous les yeux ébahis de gendarmes et voleurs qui ne comprenaient ni de qui il parlait, ni de quoi il était sûr (et sous les miens, d'yeux, vibrants d'espoir et d'encouragements («Vas-y, petit, vas-y!»). Lorsqu'il m'a désigné du doigt en reprenant son souffle, tous les visages se sont tournés vers moi, tous ces visages d'une laideur épouvantable. On s'intéressait à moi, mais enfin, bon. Non, je n'étais pas à l'aise.

– Je suis sûr qu'il n'a rien fait, je le connais très bien, c'est mon voisin…

– MAIS ARRÊTEZ-LE, CELUI-LÀ AUSSI!

– Bon, tu vas fermer ta gueule, Pépé, a grogné un inspecteur. Tu commences à nous les casser.

(Miel à mes oreilles…)

– Venez, a dit un autre flic au vieux, ne restez pas là, suivez-moi, je vais prendre votre déposition.

Le vieux s'est levé avec beaucoup de circonspection et l'a suivi vers une pièce voisine, en jetant autour de lui des regards angoissés, comme s'il se demandait soudain si tous ces gars en uniforme, dont il ne se méfiait pas jusqu'alors, ne faisaient pas eux aussi partie du complot.

– Tu vas payer, ne t'inquiète pas, m'a-t-il lancé avant d'être emmené par le flic.

Là-dessus, on a prié mon témoin de se mêler de ses oignons et de foutre le camp. Comme il insistait, en faisant remarquer à juste titre que c'était une honte d'entendre des choses pareilles, on lui a laissé le choix entre la fuite et la garde à vue. Sur un nouveau clin d'œil confiant de ma part (car je trouvais qu'il avait déjà beaucoup fait pour moi et craignais qu'il n'ait à le regretter), il a opté à contrecœur pour la fuite.

Je ne savais vraiment plus que penser. Ma confiance en la justice et en mon ange gardien (Oscar, il faudra que j'en parle) s'étiolait au fil des minutes. Pour qu'un témoin (qui n'avait rien vu, mais personne n'était censé le savoir) soit négligé de la sorte, récusé aussi malhonnêtement, il fallait vraiment qu'ils aient envie de me coffrer coûte que coûte, de me lyncher en douce, à l'abri du monde et des médias. (D'un autre côté, je les comprenais: il faut reconnaître que mon homme, échevelé bafouilleur écarlate, n'offrait pas toutes les garanties de fiabilité en matière de témoignage, et ne pas le prendre au sérieux ne relevait pas complètement de l'aberration.) Mais disons que la tournure globale des choses, cette notion de tournure, me tracassait vaguement.