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Leurs visages s’affaissèrent, reflétant le même air triste. On aurait presque pu les prendre pour des jumelles de La Calla.

— On est obligées ? demanda l’une d’elles.

— Oui ! insista Susannah.

— Grand merci-sai, que vos journées soient longues et vos nuits plaisantes, fit la seconde.

Des larmes lui roulaient sur les joues. Son amie se mit à pleurer elle aussi.

— Oubliez que vous m’avez vue ! leur lança Susannah tandis qu’elles s’éloignaient.

Elle les suivit d’un regard anxieux jusqu’à la 2e Avenue, où elles bifurquèrent vers les quartiers chics, puis reporta son attention sur Mats van Wyck.

— Vous aussi, secouez-vous, Mats. Bougez votre graisse jusqu’à l’hôtel, et réservez une chambre. Dites-leur que votre amie Susannah ne va pas tarder à débarquer.

— Que veut dire « bougez votre graisse » ? Je ne comprends…

— Ça veut dire « et qu’ça saute ».

Elle lui rendit son portefeuille, moins le liquide, regrettant de n’avoir pas pu regarder plus longuement ces cartes en plastique, car elle se demandait comment on pouvait en avoir autant.

— Une fois que vous aurez réglé cette histoire de chambre, retournez là où vous alliez. Et oubliez que vous m’avez vue.

Alors, comme les gamines en uniforme vert, Mats se mit à sangloter.

— Je dois aussi oublier la skölpadda ?

— Oui.

Susannah se remémora un hypnotiseur qu’elle avait vu dans une émission de télé quelconque, peut-être même le Ed Sullivan Show.

— Plus de tortue, mais vous vous sentirez bien pour le reste de la journée, vous m’entendez ? Comme si vous aviez…

Un million de dollars ne devait pas représenter tant que ça pour lui, et pour ce qu’elle en avait vu, un million de couronnes n’aurait pas suffi à lui offrir une coupe de cheveux.

— Vous allez vous sentir comme l’ambassadeur de Suède lui-même. Et vous arrêterez de vous inquiéter pour le jules de votre femme. Qu’il aille au diable, d’accord ?

— Yah, qu’il aille au tiaple ! s’écria Mats, et bien qu’il fût toujours en train de pleurer, un sourire perçait maintenant à travers ses larmes.

Ce sourire avait quelque chose de divinement enfantin. Quelque chose qui rendit soudain Susannah triste et joyeuse à la fois. Elle voulait faire plus pour Mats van Wyck, si elle le pouvait.

— Et pour vos intestins…

— Yah ?

— Comme sur des roulettes, jusqu’à la fin de vos jours, fit Susannah, relevant la tortue devant les yeux de l’homme. Quelle est votre heure, en général, Mats ?

— Je vais chuste après le petit déjeuner.

— Alors c’est là que ça se passera. Jusqu’à la fin de vos jours. Sauf si vous êtes très occupé. En retard pour un rendez-vous, par exemple. Vous n’aurez qu’à dire… hmmm… Maturin, et l’envie vous passera jusqu’au lendemain.

— Maturin.

— C’est ça. Maintenant allez-y.

— Je ne peux pas emporter la skölpadda ?

— Non, vous ne pouvez pas. Allez-y, maintenant.

Il s’éloigna, puis s’arrêta et se retourna vers elle. Il avait les joues humides, mais son visage exprimait plutôt l’espièglerie, et une pointe de sournoiserie.

— Peut-être que je devrais la prendre, dit-il. Peut-être qu’elle m’appartient de droit.

J’aime’ais bien voi’ça, sale ’culé d’cul blanc, répondit Detta en pensée, mais Susannah — qui se sentait de plus en plus responsable de ce trio de barjots, au moins pour l’instant — la fit taire.

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça, mon ami ? Dites-le-moi, je vous prie.

Le regard demeura sournois.

Essaie pas d’embrouiller un embrouilleur, disait ce regard. Enfin, c’est ce que lisait Susannah, en tout cas.

— Mats, Maturin, dit-il. Maturin, Mats. Vous voyez ?

Susannah voyait, oui. Elle allait lui dire que ce n’était là qu’une coïncidence, puis elle se rappela Calla, Callahan.

— Je vois, mais la skölpadda n’est pas à vous. Ni à moi, d’ailleurs.

— À qui, alors ?

D’une voix plaintive. Acquis.

Et avant que son conscient ait pu l’arrêter (ou la censurer, au moins), Susannah se vit en train de dire toute la vérité, celle connue de son cœur et de son âme :

— Elle appartient à la Tour, sai. À la Tour Sombre. Et c’est là que je la rapporterai, si le ka le veut.

— Que les dieux vous accompagnent, dame-sai.

— Vous aussi, Mats. Que vos journées soient longues et vos nuits plaisantes.

Elle regarda le diplomate suédois s’éloigner, puis baissa les yeux vers la tortue miniature et dit :

— Voilà qui n’était pas commun, mon vieux pote Mats.

Mia ne se souciait guère de la tortue. Elle n’avait qu’une seule préoccupation.

Dans cet hôtel, dit-elle, il y aura un téléphone ?

TROIS

Susannah-Mia mit la tortue dans la poche de son jean et se força à attendre vingt minutes sur le banc du parc. Elle en passa la plus grande partie à admirer ses jambes toutes neuves (quel que fût leur propriétaire, elles étaient ravissantes) et à gigoter ses nouveaux doigts de pied dans ses nouvelles chaussures

(volées).

Elle ferma aussi les yeux, essayant de convoquer la salle de contrôle du Dogan. D’autres diodes d’alerte s’étaient allumées entre-temps, et en sous-sol, les machines vibraient de plus en plus fort, pourtant l’aiguille du cadran Susannah-Mio avait à peine pénétré dans le jaune. Des fissures étaient apparues au sol, comme elle l’avait prévu, mais jusque-là rien de très sérieux. La situation n’était pas des plus reluisantes, mais elle se dit qu’ils pourraient s’en accommoder, pour le moment.

Qu’est-ce que tu attends ? s’impatienta Mia. Pourquoi reste-t-on assises ici ?

Je laisse au Suédois la possibilité de se charger de notre petite course à l’hôtel, et ensuite de déguerpir, répondit Susannah.

Et lorsqu’elle estima qu’elle lui avait laissé assez de temps, elle réunit ses sacs, se leva, traversa la 2e Avenue et se mit à descendre la 46e Rue en direction de l’hôtel Plaza-Park.

QUATRE

Le grand hall était baigné de la belle lumière de l’après-midi, que reflétaient les angles de verre vert. Jamais Susannah n’avait vu de pièce aussi splendide — en dehors de Saint-Patrick, bien sûr — mais elle avait aussi quelque chose d’étrange, de décalé.

C’est parce que c’est l’avenir, se dit-elle.

Dieu sait que les signes sautaient aux yeux. Les voitures paraissaient plus petites, et complètement différentes. La plupart des jeunes femmes qu’elles croisaient se promenaient le ventre à l’air, et on voyait les bretelles de leur soutien-gorge. Susannah dut voir le phénomène se répéter cinq ou six fois le long de la 46e Rue avant de se convaincre qu’il s’agissait là d’un effet de mode bizarre, et non d’une négligence. De son temps, une femme qui aurait exposé sa bretelle (ou encore un centimètre carré de combinaison qui allait voir du pays, comme on disait) se serait précipitée dans les toilettes publiques les plus proches pour tout remettre en place, et au pas de charge. Quant à montrer un ventre nu…