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– Florimond ! Florimond !

Les pleurs s'apaisèrent un peu, puis une voix chuchota de l'intérieur :

– C'est toi, marquise des Anges ?

– Qui est là ?

– Moi, Linot. Jean-Pourri nous a emballés avec Flipot et d'autres.

– Florimond est avec vous ?

– Oui.

– Est-ce qu'il pleure ?

– Il pleurait, mais je lui ai dit que tu allais venir le chercher.

Elle comprit que le garçonnet se retournait pour mumurer gentiment :

– Tu vois, Flo, maman est là.

– Patientez, je vais vous faire sortir, promit Angélique.

Elle recula et examina la porte. Les serrures paraissaient solides. Mais le mur étant pourri, il y avait peut-être moyen de desceller les gonds. Des ongles, elle griffa dans les moellons. Alors elle entendit derrière elle un bruit étrange. C'était une sorte de gloussement, d'abord étouffé, qui peu à peu monta, monta, jusqu'à devenir UN RIRE. Angélique se retourna et, sur le seuil, elle aperçut le Grand Coësre.

*****

Le monstre se tenait affalé dans un chariot bas, posé sur quatre roues. Sans doute était-ce ainsi, en s'aidant de ses deux mains appuyées au sol, qu'il circulait dans les couloirs de son redoutable labyrinthe.

Du seuil de la pièce, il fixait sur la jeune femme son regard cruel. Et elle, paralysée par la terreur, elle reconnaissait l'apparition fantastique du cimetière des Saints-Innocents.

Il continuait de rire avec des gloussements et des hoquets immondes qui secouaient son buste infirme prolongé par ses deux petites jambes grêles et flasques. Puis, sans cesser de rire, il recommença de se déplacer. Fascinée, elle suivait du regard la marche du petit chariot grinçant. Il ne se dirigeait pas vers elle, mais obliquait à travers la pièce. Et, tout à coup, elle aperçut au mur un des gongs de cuivre comme elle en avait déjà remarqué dans les autres salles. Une barre de fer était posée à terre. Le Grand Coësre s'apprêtait à frapper sur le gong. Et, à cet appel, allaient se ruer, des profondeurs de la maison, vers Angélique, vers Florimond, tous les gueux, tous les bandits, tous les démons de cet enfer...

Les yeux de la bête égorgée devenaient vitreux.

– Oh ! tu l'as tué ! fit une voix.

Sur ce même seuil où tout à l'heure était apparu le Grand Coësre, il y avait une jeune fille, presque une fillette, au visage de madone.

Angélique regarda la lame de son poignard rouge de sang. Puis elle dit à voix basse :

– N'appelle pas ! Ou je vais être obligée de te tuer aussi.

– Oh ! non, je ne vais pas appeler. Je suis si contente que tu l'aies tué !

Elle s'approcha.

– Personne n'avait le courage de le tuer, murmura-t-elle. Tout le monde avait peur. Et, pourtant, ce n'était qu'un affreux petit homme.

Puis elle leva vers Angélique ses yeux noirs.

– Mais il faut te sauver vite, maintenant.

– Qui es-tu ?

– Je suis Rosine... La dernière femme du Grand Coësre.

Angélique glissa le poignard dans sa ceinture. Elle avança une main tremblante et la posa sur cette joue fraîche et rose.

– Rosine, aide-moi encore. Mon enfant est derrière cette porte. Jean-Pourri l'a enfermé là. IL FAUT que je le reprenne.

– La double clé de la porte est là, dit la fillette. Jean-Pourri la confie au Grand Coësre. Elle est dans son chariot.

Elle se pencha vers le tas immobile et répugnant. Angélique ne regardait pas. Rosine se redressa.

– La voilà, dit-elle.

Elle introduisit elle-même la clef dans les serrures, qui grincèrent. La porte s'ouvrit. Angélique se précipita à l'intérieur du cachot et saisit Florimond, que Linot tenait dans ses bras. L'enfant ne pleurait pas, ne criait pas, mais il était glacé et il étreignit si fort le cou de sa mère que celle-ci en perdit le souffle.

– Maintenant aide-moi à sortir d'ici, dit-elle à Rosine.

– Je ne peux pas vous emmener tous.

Elle s'arracha aux petites mains crasseuses, mais les deux gamins couraient derrière elle.

– Marquise des Anges ! Marquise des Anges, ne nous laisse pas !

Soudain, Rosine qui les avait entraînés vers un escalier, mit un doigt sur ses lèvres.

– Chut ! Quelqu'un monte.

Un pas lourd résonnait à l'étage au-dessous.

– Bavottant, l'idiot. Venez par là.

Et elle se mit à courir comme une folle. Angélique la suivit avec les deux enfants. Comme ils atteignaient la rue, une clameur inhumaine monta des profondeurs du palais du Grand Coësre. C'était Bavottant, l'idiot, rugissant sa douleur devant le cadavre du royal avorton qu'il avait si longtemps entouré de ses soins.

– Courons ! répétait Rosine.

Toutes deux, suivies des gamins haletants, enfilaient l'une après l'autre des ruelles obscures. Leurs pieds nus glissaient sur les pavés visqueux. Enfin, la jeune fille ralentit sa marche.

– Voici les lanternes, dit-elle. C'est la rue Saint-Martin.

– Il faut aller plus loin. On peut nous poursuivre.

– Bavottant ne sait pas parler. Personne ne comprendra ; peut-être même qu'on croira que c'est lui qui l'a tué. On mettra un autre Grand Coësre. Et moi je ne retournerai jamais là-bas. Je resterai avec toi, parce que tu l'as tué.

– Et si Jean-Pourri nous retrouve ? demanda Linot.

– Il ne vous retrouvera pas. Je vous défendrai, tous, dit Angélique. Rosine montra, dans le lointain de la rue, une clarté blême qui faisait pâlir les lanternes.

– Regarde, la nuit est finie.

– Oui, la nuit est finie, répéta Angélique farouchement.

*****

Le matin, à l'abbaye de Saint-Martin-des-Champs, on distribuait la soupe aux pauvres. Les grandes dames qui avaient assisté à la première messe aidaient les religieuses dans ce geste de charité.

Les pauvres, qui parfois n'avaient eu qu'un coin de borne pour sommeiller, trouvaient dans le grand réfectoire une détente passagère. On leur donnait à chacun une écuelle de bouillon chaud et un pain rond.

Ce fut là qu'Angélique vint échouer, portant Florimond et suivie de Rosine, de Linot et de Flipot. Ils étaient tous les cinq hagards et couverts de boue et d'ordures. On les fit entrer en file avec une horde de miséreux, et ils s'assirent sur les bancs devant des tables de bois.

Puis des servantes parurent portant des grandes bassines de bouillon. L'odeur était assez appétissante. Mais Angélique, avant de se rassasier, voulut d'abord faire boire Florimond.

Délicatement, elle approcha le bol des lèvres de l'enfant.