Выбрать главу

De mensonge en mensonge, d'idée en idée, d'audace en audace, elle arriverait à se sauver, à sauver ses enfants. Elle en était sûre !

Chapitre 18

Le lendemain matin, Angélique se leva aux premières lueurs de l'aube et ce fut elle qui réveilla Barbe, Rosine et les enfants.

– Allons, debout, compagnons ! N'oublions pas que des dames viennent nous voir pour le repas de Confrérie. Il s'agit de leur en mettre plein les mirettes.

Flipot grogna un peu.

– Pourquoi c'est toujours nous qu'on travaille ? demanda-t-il. Pourquoi ce fainéant de David y roupille encore et qu'y ne descend aux cuisines que quand le feu est allumé, la marmite chaude et toute la salle balayée ? Tu devrais bien lui secouer les puces, marquise !

– Attention, les mions, je ne suis plus marquise des Anges, et vous n'êtes plus des gueux. Pour l'instant, nous sommes des domestiques, des servantes et des commis. Et, bientôt, nous deviendrons des bourgeois.

– Ben m..., alors ! dit Flipot. Moi, j'aime pas les bourgeois. Les bourgeois, on leur coupe la bourse, on leur prend leur manteau. J'veux pas devenir un bourgeois.

– Et comment qu'on va t'appeler si tu n'es plus la marquise des Anges ? demanda Linot.

– Appelez-moi : madame, et dites-moi : vous.

– Rien que ça ! gouailla Flipot.

Angélique lui envoya une taloche qui lui fit comprendre que la vie redevenait sérieuse. Tandis qu'il pleurnichait, elle vérifia la tenue des deux gamins. Ils étaient revêtus des hardes de pauvres envoyées par la comtesse de Soissons, reprisées et laides, mais propres et décentes. De plus, ils avaient de gros souliers solides, cloutés dans lesquels ils paraissaient fort empruntés, mais qui les préserveraient du froid tout l'hiver.

– Flipot, tu vas m'accompagner avec David au marché. Linot, tu feras ce que te dira Barbe. Tu iras chercher de l'eau, du bois, etc. Rosine surveillera les petits et les broches à la cuisine.

Tout triste, Flipot soupira :

– C'est pas amusant, ce nouveau métier. Comme mendigot et coupe-bourse, on mène la vie des gens de la haute. Un jour, on a plein d'argent : on mange à en crever et on boit à se noyer. Un autre jour, il y a plus rien. Alors, pour ne pas avoir faim, on se met dans un coin et on dort tant qu'on veut. Ici, c'est toujours trimer et manger du bouilli.

– Si tu veux retourner chez le Grand Coësre, je ne te retiens pas.

Les deux enfants protestèrent.

– Oh ! non. D'ailleurs, maintenant on n'a plus le droit. On se ferait estourbir. Couic !...

Angélique soupira.

– C'est l'aventure qui vous manque, mes petiots. Je vous comprends. Mais aussi, il y a la potence au bout. Tandis que, par ce chemin-ci, nous serons peut-être moins riches, mais nous deviendrons des personnages considérés. Allez, ouste !

Toute la petite troupe dévala bruyamment l'escalier.

À l'un des étages, Angélique fit halte, tambourina à la porte de la chambre du jeune Chaillou et finit par entrer.

– Debout, apprenti !

L'adolescent dressa au bord de son drap un visage ahuri.

– Debout, David Chaillou ! répéta gaiement Angélique. N'oublie pas qu'à partir d'aujourd'hui tu es un célèbre cuisinier, dont tout Paris va réclamer les recettes.

*****

Maître Bourjus, bousculé, geignant, ému malgré lui et galvanisé par l'autorité d'Angélique, consentit à lui remettre une bourse assez bien garnie.

– Si vous avez peur que je vous vole, vous pouvez me suivre aux Halles, lui dit-elle, mais vous feriez mieux de rester ici pour préparer chapons, dindons, canards et rôtis. Comprenez que les dames, qui vont se présenter tout à l'heure, veulent se trouver dans un cadre qui leur inspire confiance. Une « montre » vide ou garnie de volailles poussiéreuses, une salle noire et puant le vieux tabac, un air de pauvreté et de gêne, voilà qui ne tente pas les gens décidés à faire bonne chère. J'aurais beau leur promettre le menu le plus exceptionnel, elles ne me croiraient pas.

– Mais que vas-tu acheter ce matin, puisque le choix de ces personnes n'est pas encore décidé ?

– Je vais acheter le décor.

– Le... quoi ?

– Tout ce qu'il faut pour que votre rôtisserie prenne un aspect alléchant : lapins, poissons, charcuterie, fruits, beaux légumes.

– Mais je ne suis pas traiteur ! se lamenta le gros homme. Je suis ROTISSEUR. Tu veux me faire poursuivre par les corporations des queux-cuisiniers-porte-chappe et des pâtissiers ?

– Que voulez-vous qu'ils vous fassent ?

– Les femmes ne comprendront jamais rien à ces questions sérieuses, gémit maître Bourjus en levant ses bras courts vers le plafond. Les jurés de ces corporations vont m'intenter un procès, me traîner en justice. Bref, tu veux me ruiner !

– Vous l'êtes déjà, lui assena Angélique. Vous n'avez donc rien à perdre à essayer autre chose et à vous secouer un peu. Mettez vos volailles en train et ensuite allez faire un tour au port de la Grève. J'ai entendu un crieur de vin annoncer un bel arrivage de barriques de Bourgogne et de Champagne.

Place du Pilori, Angélique fit ses achats en essayant de ne pas trop se faire voler. David compliquait les choses en ne cessant de répéter :

– C'est bien trop beau ! C'est bien trop cher. Qu'est-ce que mon oncle va dire ?...

– Fada ! finit-elle par lui lancer. Tu n'as pas honte, toi, un gars du Sud, de voir les choses petitement comme un avare au cœur gelé ! Ne me dis plus que tu es de Toulouse.

– Si, je suis de Toulouse, protesta le marmiton, piqué au vif. Mon père était M. Chaillou. Ce nom ne vous dit rien ?

– Non. Que faisait-il au juste, ton père ?

Le grand David parut déçu comme un enfant à qui on a retiré son bonbon.

– Mais vous le savez bien, voyons ! Le grand épicier, place de la Garonne ! Le seul qui eût des herbes exotiques pour parfumer les plats !

« Dans ce temps-là, je ne faisais pas mon marché moi-même », pensa Angélique.

– Il avait rapporté beaucoup de choses inconnues de ses voyages, ayant été cuisinier sur les vaisseaux du roi, reprit David. Vous savez bien... C'est lui qui voulait lancer le chocolat à Toulouse.

Angélique fit un effort pour extraire de sa mémoire un incident que le mot chocolat lui rappelait. Oui, on avait parlé de cela dans les salons. La protestation d'une dame toulousaine lui revint. Et elle dit :

– Le chocolat ?... Mais c'est une boisson d'Indien !

David parut très troublé, car les avis d'Angélique prenaient déjà pour lui une importance démesurée.

Il se rapprocha d'elle et lui dit que, pour la convaincre de l'excellence des idées de monsieur son père, il allait lui confier un secret qu'il n'avait encore communiqué à personne, pas même à son oncle.

Il assura que son père, grand voyageur dans son jeune temps, avait goûté le chocolat des différents pays étrangers où on le fabriquait avec des graines importées du Mexique. Ainsi en Espagne, en Italie, et jusqu'en Pologne, il avait pu se persuader de l'excellence du nouveau produit, qui était de goût agréable et possédait d'excellentes qualités thérapeutiques.

Une fois lancé sur ce sujet, le jeune David se montra intarissable. Dans son émoi de retenir l'intérêt de la dame de ses pensées, il se mit à exposer, d'une voix anormalement criarde, tout ce qu'il savait de la question.

– Peuh ! fit Angélique qui n'écoutait que d'une oreille, je n'ai jamais goûté à cette chose et je n'en suis pas tentée. On dit que la reine, qui est espagnole, en raffole. Mais précisément la cour entière est gênée de ce goût bizarre et se moque d'elle.