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À certains termes, elle tressaillait, croyant entendre la voix passionnée de Joffrey de Peyrac et voir briller le feu de son regard.

– Ma cervelle est trop petite, dit-elle un jour à Mlle de Parajonc. Toutes ces grandes questions m'effraient. Je ne veux plus aller au Palais Précieux que pour le bal et la musique.

– Votre sublime est trop profondément enfoncé dans la matière, se désola la vieille demoiselle. Comment voulez-vous briller dans un salon si vous n'êtes pas au courant de ce dont on parle ? Vous ne voulez ni de philosophie, ni dé mécanique, ni d'astronomie, et vous ne savez pas rimer. Que vous reste-t-il ?... La dévotion. Au moins, avez-vous lu saint Paul et saint Augustin ? Voilà de bons ouvriers pour établir la souveraine volonté de Dieu. Je vous les prêterai.

Mais Angélique refusa saint Paul et saint Augustin, et même le livre de Mlle de Gournay : De l'Égalité des hommes et des femmes où elle eût pourtant puisé de solides arguments à opposer aux déclarations d'Audiger.

En revanche, elle se plongeait ardemment et presque en cachette, dans le Traité de minauderies et de bon air de Mlle de Quintin et L'Art de plaire à la cour de Mlle de Croissy.

Chapitre 11

Le lendemain du jour où elle était allée place de Grève, Angélique avait demandé à Mlle de Parajonc de l'accompagner aux Tuileries.

Mlle de Parajonc était sa compagne habituelle. Elle connaissait tout le monde et nommait les uns et les autres à sa compagne, qui apprenait ainsi à connaître les nouveaux visages de la cour. Elle lui servait aussi de repoussoir. Tout à fait inconsciemment d'ailleurs, car la pauvre Philonide, plâtrée de blanc de céruse jusqu'aux yeux et les paupières cernées de noir comme une vieille chouette, se croyait toujours aussi irrésistible qu'au temps où elle faisait soupirer interminablement ses galants.

Elle enseignait à Angélique la bonne manière de se promener aux Tuileries, mimant les gestes nécessaires avec beaucoup d'entrain, ce qui faisait rire les insolents. Elle n'y voyait qu'hommages rendus à ses charmes.

« Aux Tuileries, disait-elle, il faut se promener nonchalamment dans la grande allée. Il faut parler toujours sans rien dire afin de paraître spirituelle. Il faut rire sans sujet pour paraître enjouée, se redresser à tous moments pour étaler sa gorge... ouvrir les yeux pour les agrandir, se mordre les lèvres pour les rougir... parler de la tête à l'un, de l'éventail à l'autre... Enfin, radoucissez-vous, ma chère ! Badinez, gesticulez, minaudez et soutenez tout cela d'un air penché... »

La leçon, en fait, n'était pas mauvaise, et Angélique l'appliquait avec plus de mesure et aussi plus de succès que sa compagne.

Les Tuileries étaient, selon Mlle de Parajonc, « la lice du beau monde » et le Cours-la-Reine,

« l'empire des œillades ». On allait aux Tuileries pour attendre l'heure du Cours et l'on s'y retrouvait le soir après le Cours, la promenade en carrosse alternant avec la promenade à pied.

Les bocages du jardin étaient favorables aux poètes et aux amants. Les abbés y préparaient leurs sermons, les avocats leurs plaidoiries. Toutes les personnes de qualité s'y donnaient rendez-vous et l'on y rencontrait parfois le roi ou la reine, et souvent Monseigneur le dauphin avec sa gouvernante.

Ce jour-là, Angélique entraîna sa compagne du côté du Grand Parterre, où se tenaient habituellement les grands personnages. Le prince de Condé s'y trouvait presque chaque soir.

Elle fut déçue de ne pas l'apercevoir, ragea et tapa du pied.

– Je serais bien curieuse de savoir pourquoi vous étiez si gourmande de voir Son Altesse, s'étonna Philonide.

– Il fallait absolument que je la voie.

– Aviez-vous une requête à lui adresser ?... Aussi bien, ne pleurez plus, ma chère, le voici. En effet, le prince de Condé venait d'arriver et s'avançait à travers la grande allée, entouré des gentilshommes de sa maison.

Angélique s'avisa alors qu'il n'y avait aucune rencontre possible entre elle et ce prince. Allait-elle lui déclarer tout de go :

– Monseigneur, rendez-moi l'hôtel de la rue du Beautreillis qui m'appartient et que vous avez reçu indûment des mains du roi.

Ou encore :

– Monseigneur, je suis la femme du comte de Peyrac dont vous avez fait gratter les armes et exorciser l'hôtel...

Le mouvement qui l'avait conduite aux Tuileries pour y voir le prince de Condé était puéril et stupide. Elle n'était qu'une chocolatière enrichie. Personne ne pouvait la présenter à ce grand seigneur, et, d'ailleurs, que lui aurait-elle dit ?... Furieuse contre elle-même, elle s'adressa des reproches véhéments : « Idiote ! Si tu te montrais toujours aussi impulsive et sans raisonnement, qu'adviendrait-il de tes affaires ?... »

– Venez, dit-elle à la vieille fille.

Et, d'un mouvement brusque, elle se détourna du groupe chatoyant et bavard qui passait près d'elle.

*****

Malgré la soirée radieuse, la douceur printanière du ciel, Angélique demeura boudeuse tout le reste de la promenade. Philonide lui demanda si elles iraient au Cours. Elle répondit que non. Son carrosse était trop laid.

Un petit-maître les aborda :

– Madame, dit-il à Angélique, mon compagnon et moi, nous nous interrogeons à votre sujet. L'un a gagé que vous étiez l'épouse d'un procureur, l'autre, que vous étiez demoiselle et précieuse. Séparez-nous.

Elle eût pu en rire. Mais son humeur était morose, et elle détestait ces petits-maîtres, fardés comme des poupées et qui affectaient de porter l'ongle du petit doigt plus long que les autres.

– Gagez toujours que vous êtes un sot, répondit-elle. Et vous ne perdrez jamais. Et elle le laissa tout pantois.

Philonide de Parajonc était offusquée.

– Votre réplique ne manquait pas d'esprit, mais elle sentait sa commère à trois lieues. Vous ne réussirez jamais dans un salon si...

– Oh ! Philonide ! s'exclama Angélique en s'arrêtant brusquement. Regardez... là !

– Quoi donc ?

– Là, répéta Angélique d'une voix qui n'était plus qu'un murmure.

À quelques pas d'elle, dans l'encadrement vert d'un bosquet, un grand jeune homme se tenait nonchalamment appuyé contre le socle d'une statue de marbre. Il était d'une beauté remarquable, que perfectionnait encore la recherche de ses vêtements. Son habit de velours vert amande était incrusté de broderie d'or représentant des oiseaux et des fleurs. C'était un peu extravagant, mais beau comme la livrée du printemps. Un feutre blanc, orné de plumes vertes, recouvrait son abondante perruque blonde. Dans l'encadrement de ses longues boucles, son visage blanc et rose, adouci d'un peu de poudre, s'ornait d'une moustache blonde, dessinée d'un trait. Ses yeux étaient grands, d'un bleu transparent que l'ombre du feuillage verdissait.

Les traits du gentilhomme demeuraient impassibles et son regard ne cillait point. Rêvait-il ? Méditait-il ?... Ses prunelles bleues semblaient vides comme celles d'un aveugle. Elles avaient, dans la fixité de cette rêverie sans objet, la froideur du serpent. L'inconnu ne semblait pas se rendre compte de l'intérêt qu'il suscitait.

– Eh bien ! Angélique, fit aigrement Mlle de Parajonc, vous perdez l'esprit, ma parole !

Cette façon de considérer un homme est du dernier bourgeois.

– Comment... comment se nomme-t-il ?

– C'est le marquis du Plessis-Bellière, voyons ! Qu'a-t-il d'étonnant ? Il attend son galant sans doute. Vous qui n'aimez pas les petits-maîtres, je ne vois pas pourquoi vous restez plantée là comme un arbre qui aurait pris racine.

– Excusez-moi, balbutia Angélique en rassemblant ses esprits.

L'espace dune seconde, elle était redevenue une petite fille admirative et farouche. Philippe ! Ce grand cousin dédaigneux. Oh ! Monteloup, et l'odeur de la salle où la chaleur du potage faisait fumer la nappe humide. Souffrances et douceurs mêlées !