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– Vous non plus, vous n'avez pas changé. Et vous êtes belle comme une ressuscitée.

– Que savez-vous sur la beauté des ressuscitées, Péguilin ?

– Ce qu'en dit l'Église, parbleu !... Un corps glorieux !... Venez là, mon petit cœur, que je vous embrasse.

Il lui prit le visage à deux mains et l'attira vers lui.

– Mordious ! s'écria Montespan du seuil de la porte. Il ne te suffit pas que je t'ouvre la cuisse pour t'empêcher de courir, il faut encore, Péguilin du diable ! que tu viennes me faucher l'herbe sous le pied dans ma propre maison ! J'ai eu bien tort de ne pas te laisser aller à la Bastille !

Chapitre 12

À la suite de cette rencontre, Angélique revit fréquemment, aux Tuileries et au Cours-la-Reine, le duc de Lauzun et le marquis de Montespan. Ceux-ci lui présentèrent leurs amis. Et, peu à peu, les visages du passé reparurent. Un jour où Angélique se promenait au Cours avec Péguilin, son équipage croisa celui de la Grande Mademoiselle, qui la reconnut. Aucune allusion ne fut faite. Prudence ou indifférence ? Chacun avait tant de chats à fouetter !

Après l'avoir boudée, Athénaïs de Montespan s'était subitement entichée d'elle et l'invitait. Elle avait remarqué que cette chocolatière parlait peu, mais lui donnait admirablement la réplique.

Ce fut Mme Scarron, qu'Angélique revoyait souvent chez les Montespan, qui l'introduisit chez Ninon de Lenclos.

Le salon de la célèbre courtisane n'était pas considéré comme un lieu de libertinage, mais comme l'école, par excellence, du bon goût.

« Chez elle, écrivait le chevalier de Méré, aucun propos de religion ou de gouvernement, mais beaucoup d'esprit et fort orné, des nouvelles anciennes et modernes, des nouvelles de galanteries et toutefois sans ouvrir la porte à la galanterie. La gaieté, l'entrain, la verve de la maîtresse de maison permettaient à tous de se rencontrer avec bonheur. »

L'amitié qui a uni Mlle de Lenclos et Angélique de Sancé est restée discrète. Peu de lettres demeurent qui portent témoignage de cette amitié, et ni l'une ni l'autre n'a fait étalage des sentiments profonds et sûrs qui les ont liées dès la première rencontre. Elles appartenaient toutes deux à cette race de femmes qui attirent les hommes, plus ou moins inconsciemment, par un charme où se dosent également les attraits du corps, du cœur et de l'intelligence. Elles auraient pu être ennemies. Au contraire, elles connurent l'une par l'autre la seule amitié féminine de leur existence.

Angélique, du fait de la lutte acharnée qu'elle avait menée pour survivre, était capable d'apprécier, chez Ninon, ces qualités de droiture, de courage et de simplicité si rares chez leurs semblables, et qui faisaient de la courtisane « un honnête homme ». Et, de son côté, celle-ci comprit aussitôt qu'Angélique voulait se servir d'elle pour se hisser le plus haut possible sur l'échelle sociale. Elle joua ce rôle de son mieux, guidant sa nouvelle amie, la conseillant, la présentant à tous.

Pour qu'Angélique ne s'y trompât pas, elle lui dit un jour :

– Mon amitié est ce que j'ai de meilleur, Angélique. Tous les dévouements, toutes les délicatesses et la longanimité que n'a pas l'amour, mon amitié en est capable. De tout mon cœur, je vous l'offre. Il ne tiendra qu'à vous qu'elle dure le temps de notre vie.

*****

Connaissant mieux que personne le prix d'une vie voluptueuse, Ninon se plaisait à y amener les natures vraiment sensibles. Elle encouragea Angélique à prendre un amant bien titré. Mais Angélique faisait la moue. Sa vie matérielle étant assurée par ses activités commerciales, elle estimait que la voie de la galanterie était en réalité la moins sûre pour parvenir au faîte des honneurs. La Compagnie du Saint-Sacrement, occulte et puissante, régnait jusqu'aux marches du trône. Il y avait des dévots partout. Dans le jeu qu'elle menait, Angélique s'appuyait d'une main sur eux par sa réputation de sagesse, de l'autre sur les libertins par sa gaieté et son entrain à toutes les fêtes.

« Prenez au moins un amant pour le plaisir, conseillait encore Ninon. N'allez pas me faire croire que l'amour vous déplaît ! »

Angélique répondait qu'elle n'avait pas le temps d'y réfléchir. Elle-même s'étonnait du calme de son corps. On aurait dit que sa tête, à force de travailler sans cesse et d'accumuler projets sur projets, l'avait vidée du désir le plus élémentaire. Lorsqu'elle s'écroulait le soir dans son lit, morte de fatigue et après avoir terminé sa journée par une suprême partie de cache-cache avec ses fils, elle n'avait qu'une idée : dormir profondément, réparer ses forces, pour reprendre le lendemain sa tâche.

*****

Elle ne s'ennuyait jamais, et l'amour est souvent, pour la femme inoccupée, un dérivatif. Les déclarations enflammées de ses galants, leurs caresses furtives, « les scènes conjugales » d'Audiger qui se terminaient parfois par des baisers auxquels le maître d'hôtel s'arrachait difficilement, tout cela ne représentait pour elle que « jeux utiles ou inutiles » suivant l'avantage qu'elle en obtenait.

Ninon, après avoir écouté ses aveux, lui affirma que cette mentalité confinait à la maladie. Pour se guérir, il lui fallait délaisser quelque temps ses travaux et profiter des plaisirs qu'une vie libre offrait aux oisifs : promenades, bals masqués, théâtre, petits soupers, et le jeu à toutes heures.

*****

Chez Ninon, Angélique rencontra le Tout-Paris. Le prince de Condé y venait faire chaque semaine sa partie de hoca.

Plusieurs fois, elle vit Philippe du Plessis. Elle se fit présenter à lui. Le beau garçon laissa tomber sur elle un regard dont elle avait déjà apprécié le poids dédaigneux et, après avoir réfléchi, il dit du bout des lèvres :

– Ah ! c'est donc vous Mme Chocolat.

Le sang d'Angélique ne fit qu'un tour. Elle plongea dans une profonde révérence en répondant :

– Pour vous servir, mon cousin.

Les sourcils du jeune homme se rapprochèrent.

– Votre cousin ? Il me semble, madame, que vous êtes bien hardie de...

– Ne m'avez-vous pas reconnue ? dit-elle en le dévisageant de ses yeux verts fulgurants de colère. Je suis votre cousine Angélique de Sancé de Monteloup. Nous nous sommes jadis rencontrés au Plessis. Comment va votre père, l'aimable marquis ?... Et votre mère ?

Elle parla encore ainsi un bon moment afin de le convaincre de son identité, puis le quitta en se mordant la langue de sa sottise.

Pendant quelques jours, elle vécut dans la crainte de voir son secret divulgué. Dès qu'elle rencontra de nouveau M. du Plessis, elle le supplia de ne pas répéter ce qu'elle lui avait dit.

Philippe du Plessis parut tomber des nues. Il déclara enfin que cette confidence le laissait absolument indifférent et que, d'ailleurs, il ne tenait pas à ce qu'on sache qu'il était le parent d'une dame qui s'était abaissée à vendre du chocolat. Angélique le quitta furieuse, en se promettant de ne plus lui prêter attention. Elle savait que le père de Philippe était mort et que sa mère, devenue dévote en compensation de ses folies passées, s'était retirée au Val-de-Grâce. Le jeune homme dilapidait sa fortune en extravagances. Le roi l'aimait à cause de sa beauté et de sa bravoure, mais sa réputation était scandaleuse et même inquiétante. Angélique se reprochait de penser à lui si souvent. Une déclaration d'amour inattendue et une partie de hoca sensationnelle bouleversèrent son existence et la détournèrent pendant quelques mois de ses pensées.

*****

Elle était assez fière de figurer sur la liste des personnes à qui Mlle de Montpensier permettait d'entrer au jardin du Luxembourg. Un jour qu'elle y arrivait, la femme du suisse lui ouvrit, son mari étant absent.

Angélique s'engagea parmi les belles allées bordées de saules et de massifs de magnolias. Au bout d'un instant, elle s'avisa que le jardin habituellement très animé, était aujourd'hui presque désert. Elle n'aperçut que deux valets en livrée qui couraient à toutes jambes et s'engouffrèrent dans un taillis. Puis, plus rien. Intriguée et vaguement inquiète, elle continua sa promenade solitaire.