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La guérison de Marie-Agnès se poursuivit à l'hôtel du Beautreillis de façon satisfaisante. Cependant, la jeune fille restait dolente et peu enjouée. Elle semblait avoir oublié son rire cristallin qui faisait l'enchantement de la cour, et ne montrait de son caractère que le côté exigeant et impulsif. Au début, elle ne manifesta aucune reconnaissance pour les gentillesses d'Angélique. Mais, comme elle reprenait des forces, Angélique en profita pour lui envoyer une bonne gifle à la première occasion. Désormais, Marie-Agnès décréta qu'Angélique était la seule femme avec laquelle elle pourrait jamais s'entendre. Elle eut des grâces câlines pour venir se blottir près de sa sœur en ces soirées d'hiver où, près du feu, on pouvait s'attarder en jouant de la mandoline ou en brodant un ouvrage. Toutes deux échangeaient leurs impressions sur les personnes qu'elles connaissaient et, comme elles avaient la langue acérée et l'esprit vif, elles riaient parfois à gorge déployée de leurs trouvailles.

Guérie, Marie-Agnès ne semblait aucunement décidée à quitter « son amie Mme Morens ». On ignorait qu'elles étaient proches parentes. Cela les amusait. La reine s'informa de la santé de sa fille d'honneur. Marie-Agnès fit répondre qu'elle se portait bien, mais qu'elle allait entrer au couvent. Cette boutade était plus sérieuse qu'elle n'en avait l'air. Marie-Agnès refusait assez farouchement de voir quiconque, mais se plongeait dans les épîtres de Saint Paul et suivait Angélique aux offices.

Angélique était très contente d'avoir eu le courage de se confesser à Raymond. Cela lui permettait désormais de se présenter à l'autel du Seigneur sans arrière-pensée ni fausse honte et de pouvoir tenir parfaitement son rôle de dame du Marais. Elle retrouvait avec satisfaction l'atmosphère des longues cérémonies imprégnées d'encens, traversées par la voix tonnante des prédicateurs et le chant des orgues.

C'était très reposant d'avoir ainsi le temps de prier et de penser à son âme.

*****

Le bruit de leur conversation amenait à l'hôtel du Beautreillis des gentilshommes émus. Soupirants d'Angélique ou ex-amants de Marie-Agnès, chacun protestait...

– Que nous conte-t-on ? Vous faites pénitence ? Vous vous cloîtrez ? Marie-Agnès opposait aux questions un masque de petit sphinx dédaigneux. Le plus souvent, elle préférait ne pas paraître, ou bien ouvrait ostensiblement un livre de prières. Angélique, en ce qui la concernait, démentait énergiquement. Le moment lui semblait mal choisi. Ainsi, Mme Scarron l'ayant amenée à son directeur, l'honnête abbé Godin, Angélique se rebiffa dès qu'il lui parla de cilice. Ce n'était pas alors qu'elle échafaudait projets sur projets pour épouser Philippe, qu'elle allait abîmer sa peau et les courbes attirantes de son beau corps avec des ceintures de crin et autres objets de pénitence.

Elle n'aurait pas assez de toutes ses séductions pour vaincre l'indifférence de cet étrange garçon qui semblait, avec ses satins clairs et ses cheveux blonds, pétri et revêtu de glace. Pourtant, il était assez assidu à l'hôtel du Beautreillis. Il arrivait, nonchalant, parlant peu. Angélique ne s'interrogeait pas sur son esprit. À le contempler dans sa beauté dédaigneuse, elle retrouvait toujours une sensation lointaine, un peu humble et admirative, de petite fille devant le grand cousin élégant. Aussi bien, lorsqu'elle y songeait, ce souvenir désagréable se teintait d'une assez trouble volupté. Elle se rappelait les mains blanches de Philippe sur ses cuisses, l'écorchure causée par ses bagues... Maintenant qu'elle le voyait si froid et si distant, il lui arrivait de regretter le contact, et sa propre fuite. Philippe ignorait certainement qu'elle était la femme qu'il avait attaquée ce soir-là. Lorsque ses yeux clairs se posaient sur Angélique, celle-ci avait l'impression déprimante que le jeune homme n'avait jamais remarqué sa beauté. Il ne lui faisait aucun compliment, même le plus banal. Il était peu aimable, et les enfants, au lieu d'être séduits par sa prestance, en avaient peur.

*****

– Tu as une façon de regarder le beau Plessis qui m'inquiète, déclara un soir Marie-Agnès à sa sœur aînée. Angélique, toi qui es la femme la plus sensée que je connaisse, ne me dis pas que tu te laisses prendre à la séduction de ce...

Elle parut chercher une épithète lapidaire, ne la trouva pas, et la remplaça par une moue de dégoût.

– Que lui reproches-tu ? s'étonna Angélique.

– Ce que je lui reproche ? Eh bien, c'est d'être précisément si beau, si séduisant et de ne même pas savoir prendre une femme dans ses bras. Car cela compte, avoue-le, la façon dont un homme prend une femme dans ses bras ?...

– Marie-Agnès, voilà un sujet de conversation bien frivole pour une jeune personne qui à l'intention d'entrer au couvent !

– Justement. Il faut en profiter pendant que je n'y suis pas encore. Pour moi, la façon dont un homme vous saisit, c'est à cela que je le juge d'abord.

Le geste du bras péremptoire et doux, dont on sent qu'on ne pourrait se dégager et qui pourtant vous laisse libre. Ah ! quel plaisir, à cet instant, d'être femme et fragile !

Son fin visage, au regard de chatte cruelle, s'adoucit d'une extase rêveuse et Angélique sourit de lui voir fugitivement le masque de volupté qu'elle ne montrait qu'aux hommes. Puis les sourcils de la jeune fille se froncèrent de nouveau.

– Il faut reconnaître que bien peu d'hommes possèdent ce don. Mais, au moins, ils font tous de leur mieux. Tandis que Philippe n'essaie même pas. Il ne connaît qu'une façon d'agir avec les femmes : il les renverse et il les viole. Il a dû apprendre l'amour sur les champs de bataille. Ninon elle-même n'a rien pu en faire. Sans doute réserve-t-il ses grâces pour ses amants !... Toutes les femmes le détestent en proportion de ce qu'il les déçoit.

Angélique, penchée sur le feu où elle grillait des châtaignes, s'irritait de la colère que les paroles de sa sœur lui causaient.

Elle avait décidé d'épouser Philippe du Plessis. C'était la meilleure solution, celle qui arrangerait tout et mettrait le point final à son ascension et à sa réhabilitation. Mais elle eût voulu se faire illusion sur celui qu'elle s'était choisi comme second mari et sur les sentiments qui la portaient vers lui. Elle eût voulu le trouver « aimable » pour avoir le droit de l'aimer.

Dans un élan de franchise envers elle-même, elle courut chez Ninon le lendemain et, la première, aborda ce sujet.

– Que pensez-vous de Philippe du Plessis ?

La courtisane réfléchit, un doigt sur la joue.

– Je pense que, lorsqu'on le connaît bien, on s'aperçoit qu'il est beaucoup moins bien qu'il ne paraît. Mais, quand on le connaît mieux, on s'aperçoit qu'il est beaucoup mieux qu'il ne paraît.

– Je ne vous suis plus, Ninon.

– Je veux dire qu'il n'a aucune des qualités que promet sa beauté, même pas le goût de se faire aimer. En revanche, si l'on va au fond des choses, il inspire l'estime parce qu'il représente un échantillon d'une race quasi disparue : c'est un noble par excellence. Il se met en transe pour des questions d'étiquette. Il craint une tache de boue sur son bas de soie. Mais il ne craint pas la mort. Et, quand il mourra, il sera solitaire comme un loup et ne demandera aucun secours à personne. Il n'appartient qu'au roi et à lui-même.

– Je ne lui savais pas tant de grandeur !

– Mais vous ne voyez pas non plus sa petitesse, ma chère ! La mesquinerie d'un vrai noble est héréditaire. Son blason lui a caché le reste de l'humanité depuis des siècles. Pourquoi toujours croire que la vertu et son contraire ne peuvent voisiner en un seul être ? Un noble est à la fois grand et mesquin.

– Et que pense-t-il des femmes ?

– Philippe ?... Ma chérie, quand vous le saurez, vous viendrez me le dire.

– Il paraît qu'il est horriblement brutal avec elles ?