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– Elle a échappé à la rapacité des contrôleurs royaux. À l'époque, elle représentait votre dot d'alors. Sa situation de propriété est demeurée assez ambiguë...

– Comme toutes les choses dont vous vous occupez, maître Molines, dit Angélique en riant. Vous avez le génie de pouvoir servir plusieurs maîtres.

– Que non pas ! protesta l'intendant d'un air pincé. Je n'ai pas plusieurs maîtres, Madame. J'ai plusieurs affaires.

– Je saisis la nuance, maître Molines. Parlons donc de l'affaire du Plessis-Bellière fils. Je souscris aux engagements que l'on me demande concernant le coffret. Je suis prête à étudier le chiffre de rente nécessaire à M. le marquis. En échange de ces avantages, je demande le mariage et d'être reconnue marquise souveraine des terres et titres appartenant à mon époux. Je demande également à être présentée à ses parents et connaissances comme sa femme légitime. Je demande aussi que mes deux fils trouvent accueil et protection dans la maison de leur beau-père. Enfin, je voudrais être au courant des valeurs et biens dont il dispose.

– Hum !... Là, Madame, vous risquez de ne découvrir que de bien minces avantages. Je ne vous cacherai pas que mon jeune maître est fort endetté. Il possède, avec cet hôtel parisien, deux châteaux, l'un en Touraine qui lui vient de sa mère, l'autre en Poitou. Mais les terres des deux châteaux sont hypothéquées.

– Auriez-vous mal géré les affaires de votre maître, monsieur Molines ?

– Hélas ! Madame ! M. Colbert lui-même, qui travaille quinze heures par jour pour rétablir les finances du royaume, ne peut rien contre l'esprit de prodigalité du roi, lequel met tous les calculs de son ministre en défaut. De même, M. le marquis engloutit ses revenus, déjà fort diminués par le faste de monsieur son père, en campagnes guerrières ou frivolités de cour. Le roi lui a fait don à plusieurs reprises de charges intéressantes qu'il eût pu faire fructifier. Mais il s'empressait de les revendre pour payer une dette de jeu ou acheter un équipage. Non, Madame, l'affaire du Plessis-Bellière n'est pas pour moi une affaire intéressante. Je m'en occupe par habitude... sentimentale. Permettez-moi de rédiger vos propositions, madame.

Pendant quelques instants, on n'entendit dans la pièce que les grattements de la plume qui répondaient aux crépitements du feu.

« Si je me marie, pensait Angélique, Molines deviendra mon intendant. C'est curieux ! Je n'avais jamais imaginé cela. Il essaiera sûrement de mettre ses longs doigts dans mes affaires. Il faudra que je me méfie. Mais, au fond, c'est très bien ainsi. J'aurai en lui un conseiller excellent. »

– Puis-je me permettre de vous suggérer une clause supplémentaire ? demanda Molines en relevant la tête.

– À mon avantage ou à celui de votre maître ?

– À votre avantage.

– Je croyais que vous représentiez les intérêts de M. du Plessis ?

Le vieillard sourit sans répondre et ôta ses lunettes. Puis il s'appuya contre le dossier de son fauteuil et posa sur Angélique ce regard animé et pénétrant qu'il posait déjà sur elle dix ans auparavant lorsqu'il lui disait : « Je crois vous connaître, Angélique, et je vous parlerai autrement qu'à votre père... »

– Je pense, dit-il, que c'est une très bonne chose que vous épousiez mon maître. Je ne croyais pas vous retrouver jamais. Vous êtes là, contre toute vraisemblance, et M. du Plessis se trouve dans l'obligation de vous épouser. Rendez-moi cette justice, madame, que je ne suis pour rien dans les circonstances qui vous ont amenée à une telle union. Mais il s'agit maintenant que cette union soit une réussite : dans l'intérêt de mon maître, dans le vôtre et, ma foi, dans le mien, car le bonheur des maîtres fait celui des serviteurs.

– Je suis de votre avis, certes, Molines. Quelle est donc cette nouvelle clause ?

– Que vous exigiez la consommation du mariage...

– La consommation du mariage ? répéta Angélique en ouvrant des yeux de pensionnaire à peine sortie du couvent.

– Mon Dieu, Madame... J'espère que vous comprenez ce que je veux dire ?

– Oui... je comprends, balbutia Angélique en reprenant ses esprits. Mais vous m'avez surprise. Il est bien évident qu'en épousant M. du Plessis...

– Ce n'est pas évident du tout, Madame. En vous épousant, M. du Plessis ne fait pas un mariage d'inclination. Je dirai même qu'il fait un mariage forcé. Vous étonnerais-je beaucoup en vous confiant que les sentiments que vous inspirez à M. du Plessis sont loin de ressembler à de l'amour et se rapprocheraient plutôt de la colère et même de la rage ?

– Je m'en doute, murmura Angélique avec un haussement d'épaules qui se voulait désinvolte.

Mais, en même temps, la peine l'envahit. Elle s'écria avec violence :

– Et puis après ?... Que voulez-vous que ça me fasse qu'il ne m'aime pas ! Tout ce que je demande, c'est son nom, ce sont ses titres. Le reste m'est indifférent. Il peut bien me mépriser et aller coucher avec des filles de basse-cour si cela lui fait plaisir. Ce n'est pas moi qui courrai après lui !

– Vous auriez tort, Madame. Je crois que vous connaissez mal l'homme que vous allez épouser. Pour l'instant, votre position est très forte, c'est pourquoi vous le croyez faible. Mais, ensuite, il faudra que vous le dominiez d'une façon quelconque. Sinon...

– Sinon ?...

– Vous serez HORRIBLEMENT MALHEUREUSE.

Le visage de la jeune femme se durcit, et elle dit, les dents serrées :

– J'ai déjà été horriblement malheureuse, Molines. Je n'ai pas l'intention de recommencer.

– C'est pourquoi je vous propose un moyen de défense. Écoutez-moi, Angélique, je suis assez vieux pour vous parler crûment. Après votre mariage, vous n'aurez plus de pouvoir sur Philippe du Plessis. L'argent, le coffret, il possédera tout. L'argument du cœur n'a aucune valeur pour lui. Il faut donc que vous arriviez à le dominer par les sens.

– C'est un pouvoir dangereux, maître Molines, et bien vulnérable.

– C'est un pouvoir. À vous de le rendre invulnérable.

Angélique était très troublée. Elle ne songeait pas à s'offusquer de tels conseils dans la bouche d'un huguenot austère. Tout le personnage de Molines était imprégné d'une sagesse rusée qui n'avait jamais tenu compte des principes, mais des seules fluctuations de la nature humaine au service des intérêts matériels. Une fois de plus, Molines devait avoir raison. Par éclairs, Angélique se souvenait des accès de crainte que lui avait inspirés Philippe, et aussi de la sensation d'impuissance qu'elle éprouvait devant son indifférence, son calme glacé. Elle s'aperçut qu'au fond d'elle-même, c'était déjà sur sa nuit de noces qu'elle comptait pour l'asservir. Quand une femme tient un homme dans ses bras, elle est quand même très puissante. L'instant vient toujours où la défense de l'homme cède devant l'attrait de la volupté. Une femme habile doit savoir profiter de cet instant. Plus tard, l'homme reviendra malgré lui à la source du plaisir. Angélique savait que, lorsque le corps magnifique de Philippe se joindrait au sien, que, lorsque cette bouche élastique et fraîche comme un fruit se poserait sur la sienne, elle deviendrait elle-même la plus vive et la plus savante des maîtresses. Ils trouveraient ensemble, dans l'anonymat de la lutte amoureuse, une entente que Philippe, le jour venu, affecterait peut-être d'oublier, mais qui les lierait plus sûrement l'un à l'autre que n'importe quelle déclaration enflammée. Son regard un peu vague revint vers Molines. Il devait avoir suivi sur son visage le fil de ses pensées, car il eut un petit sourire ironique et dit :

– Je pense aussi que vous êtes assez belle pour jouer la partie. Encore faudrait-il... qu'elle puisse s'engager. Ce qui n'implique pas d'ailleurs que vous gagnerez la première manche.