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– Flipot est venu me chercher, chuchota-t-elle. M. le marquis l'avait chassé de la pièce. Vous ne m'ôterez pas de l'idée qu'il voulait faire dévorer les enfants par ses chiens...

– Ne dis pas de sottises, Barbe, coupa sèchement Angélique. M. le marquis n'a pas l'habitude des enfants ; il a voulu jouer...

– Ouais ! Jeux de princes ! On sait jusqu'où ça peut aller. Je connais un pauvre petit qui l'a payé bien cher.

Angélique frissonna en évoquant Linot. Le blond Philippe, au pas nonchalant, n'avait-il pas été parmi les tortionnaires du petit marchand d'oubliés ? Du moins, n'était-il pas resté indifférent à ses supplications ?...

Voyant les enfants tranquillisés, elle regagna son appartement. Elle s'assit devant sa coiffeuse pour refaire ses boucles.

Que signifiait ce qui venait de se passer ? Fallait-il prendre l'incident au sérieux ? Philippe était ivre, cela sautait aux yeux. Dégrisé, il s'excuserait d'avoir causé ce remue-ménage... Mais un mot de Marie-Agnès montait aux lèvres d'Angélique : Une brute !

Une brute cachée, sournoise, cruelle... Quand il veut se venger d'une femme, il n'hésite devant rien.

« Il n'ira tout de même pas jusqu'à attaquer mes petits », se dit Angélique, en jetant son peigne et en se levant avec agitation.

Au même instant, la porte de la chambre claqua. Angélique vit Philippe sur le seuil. Il posa sur elle un regard lourd.

– Avez-vous le coffret au poison ?

– Je vous le remettrai le jour de notre mariage, Philippe, comme il a été convenu dans notre contrat.

– Nous nous marions ce soir.

– Alors, je vous le remettrai ce soir, répondit-elle en s'efforçant de ne pas montrer son désarroi.

Elle sourit et tendit la main vers lui.

– Nous ne nous sommes pas encore dit bonjour...

– Je n'en vois pas la nécessité, répliqua-t-il, et il referma brutalement la porte.

Angélique se mordit les lèvres. Décidément, le maître qu'elle s'était choisi ne serait pas facile à amadouer. Le conseil de Molines lui revint en mémoire : Essayez de l'asservir par les sens. Mais, pour la première fois, elle doutait de sa victoire. Elle se sentait sans pouvoir sur cet homme glacé. Elle n'avait jamais senti aucun désir, lorsqu'il se trouvait devant elle, s'éveiller en lui. Elle-même, pour le moment, nouée par l'anxiété, n'éprouvait plus aucune attirance pour lui.

– Il a dit que nous nous marierions ce soir. Il ne sait plus ce qu'il dit. Mon père n'est même pas prévenu...

Elle en était à ce point de ses réflexions lorsqu'on frappa timidement. Angélique alla ouvrir et découvrit ses fils, toujours serrés l'un contre l'autre de la façon la plus touchante. Mais, cette fois, Florimond étendait sa protection d'aîné au singe Piccolo, qu'il tenait sur un bras.

– Maman, dit-il d'une petite voix tremblante mais ferme, nous voudrions aller chez monsieur notre grand-père. Ici, nous avons peur.

– Peur est un mot qu'un garçon qui porte l'épée ne doit pas prononcer, dit Angélique sévèrement. Seriez-vous couards, comme on l'a insinué tantôt ?

– M. du Plessis a déjà tué Parthos. Maintenant, il va peut-être tuer Piccolo.

Cantor se mit à pleurer avec des petits sanglots étouffés. Cantor, le calme Cantor, bouleversé ! C'était plus que ne pouvait en supporter Angélique. Il n'y avait pas à chercher si cela était stupide ou non : ses enfants avaient peur. Or, elle s'était juré qu'ils ne connaîtraient plus jamais la peur.

– C'est entendu, vous allez partir avec Barbe pour Monteloup, et tout de suite. Seulement, promettez-moi d'être bien sages.

– Mon grand-père m'a promis de me faire monter sur un mulet, dit Cantor, déjà réconforté.

– Peuh ! moi, il va me donner un cheval, affirma Florimond.

Moins d'une heure plus tard, Angélique les embarquait dans la carriole avec leurs domestiques et leurs garde-robes. Il y avait assez de lits à Monteloup pour les loger, eux et leur suite. Les domestiques eux-mêmes paraissaient contents de s'en aller. L'arrivée de Philippe avait apporté dans le château blanc une atmosphère irrespirable. Le beau jeune homme, qui jouait le rôle de la grâce à la cour du Roi-Soleil, faisait régner dans sa seigneurie solitaire la poigne d'un despote.

Barbe murmura :

– Madame, on ne va pas vous laisser ici, toute seule avec ce... cet homme.

– Quel homme ? demanda Angélique, hautaine.

Elle ajouta :

– Barbe, une existence confortable t'a fait oublier certains épisodes de notre vie commune. Souviens-toi que je sais me défendre envers et contre tous.

Et elle embrassa la servante sur ces bonnes joues rondes, car elle se sentait le cœur transi.

Chapitre 26

Lorsque les sonnailles du petit équipage se furent éteintes dans le soir bleuté, Angélique revint à pas lents vers le château. Elle était soulagée de sentir ses enfants sous l'aile tutélaire de Monteloup. Mais le château du Plessis n'en paraissait que plus désert, et presque hostile malgré sa joliesse de bibelot Renaissance.

Dans le vestibule, un laquais s'inclina devant la jeune femme et l'avertit que le souper était servi. Elle se rendit à la salle à manger, où le couvert était mis. Presque aussitôt, Philippe parut et, sans un mot, s'assit à l'une des extrémités de la table. Angélique prit place à l'autre. Ils étaient seuls, servis par deux laquais. Un marmiton apportait les plats. Trois flambeaux reflétaient leurs flammes dans les pièces d'argenterie précieuse. Tout le long du repas, on n'entendit que le bruit des cuillères et le tintement des verres, que dominait l'appel strident des grillons de la pelouse. Par la porte-fenêtre ouverte, on voyait la nuit brumeuse envahir la campagne.

Angélique, après s'être dit qu'elle ne pourrait avaler une bouchée, mangea de bon appétit, selon les réactions particulières de son tempérament. Elle remarqua que Philippe buvait beaucoup, mais que, loin de le rendre plus expansif, la boisson augmentait de plus en plus sa froideur.

Lorsqu'il se leva, ayant refusé le dessert, elle n'eut d'autre ressource que de le suivre dans le salon voisin. Elle y trouva Molines et l'aumônier, ainsi qu'une très vieille paysanne qui, elle ne le sut que plus tard, était la nourrice de Philippe.

– Tout est-il prêt, l'abbé ? demanda le jeune homme, sortant de son mutisme.

– Oui, monsieur le marquis.

– Alors, allons à la chapelle.

Angélique tressaillit. Le mariage, son mariage avec Philippe, n'allait tout de même pas avoir lieu dans ces conditions sinistres ?

Elle protesta.

– Vous ne prétendez pas que tout est prêt pour notre mariage et qu'il va être célébré sur-le-champ ?

– Je le prétends, madame, répondit Philippe goguenard. Nous avons signé le contrat à Paris. Voilà pour le monde. M. l'abbé ici présent va nous bénir et nous échanger nos anneaux. Voilà pour Dieu. D'autres préparatifs ne me semblent pas nécessaires.

La jeune femme regarda avec hésitation les témoins de cette scène. Un seul flambeau les éclairait, que tenait la vieille femme. Au-dehors, la nuit était totale. Les domestiques s'étaient retirés. S'il n'y avait pas eu Molines, l'âpre, le dur Molines, mais qui aimait Angélique plus que sa propre fille, Angélique aurait craint d'être tombée dans un guetapens. Elle chercha le regard de l'intendant. Mais le vieillard baissait les yeux avec cette servilité particulière qu'il affectait toujours devant les seigneurs du Plessis. Alors, elle se résigna.

*****

Dans la chapelle, éclairée par deux gros cierges de cire jaune, un petit paysan ahuri, revêtu d'une chasuble d'enfant de chœur, apporta de l'eau bénite. Angélique et Philippe prirent place sur deux prie-Dieu. L'aumônier vint se placer devant eux, récita d'une voix marmonante les prières et les formules d'usage.