Le vent léger remuait contre son front les plumes blanches de sa coiffure. Au bas des marches, on venait d'arrêter le carrosse du roi. Mais, sur le point d'y monter, il revint sur ses pas, gravit de nouveau les degrés. Angélique le vit soudain à son côté. Il était seul près d'elle car, d'un geste imperceptible, il avait éloigné les personnes qui l'entouraient.
– Vous admirez Versailles, madame ? demanda-t-il.
Angélique fît une révérence et répondit avec beaucoup de grâce :
– Sire, je remercie Votre Majesté d'avoir mis tant de beauté sous les yeux de ses sujets. L'Histoire lui en sera reconnaissante.
Louis XIV demeura silencieux un moment, non qu'il fût troublé par des louanges auxquelles il était accoutumé, mais parce qu'il ne parvenait pas, en cette occurrence, à exprimer sa pensée.
– Vous êtes heureuse ? demanda-t-il enfin.
Angélique détourna les yeux et, dans le soleil et le vent, elle parut soudain plus jeune, telle une jeune fille qui n'aurait connu ni peines ni tourments.
– Comment peut-on ne pas être heureuse à Versailles ? murmura-t-elle.
– Alors, ne pleurez plus, dit le roi. Et faites-moi le plaisir de partager ma promenade. Je veux vous montrer le parc.
Angélique mit sa main dans celle de Louis XIV. Avec lui, elle descendit les degrés du bassin de Latone ; les courtisans s'inclinaient sur leur passage. Comme elle s'asseyait près d'Athénaïs de Montespan, en face des deux princesses et de Sa Majesté, elle entrevit le visage de son mari.
Philippe la regardait avec une expression énigmatique qui n'était pas dénuée d'un subit intérêt. Il commençait à comprendre qu'il avait épousé un véritable phénomène.
Angélique aurait pu s'envoler tant elle se sentait légère. L'avenir, à ses yeux, était aussi bleu que l'horizon. Elle se disait que ses fils ne connaîtraient plus jamais la misère. Ils seraient élevés à l'académie du Mont-Parnasse et deviendraient des gentilshommes Angélique elle-même serait une des femmes les plus fêtées de la cour. Et, puisque le roi en avait exprimé le désir, elle essaierait d'effacer de son cœur toute trace d'amertume. Au fond d'elle-même, Angélique savait bien que le feu de l'amour dont elle avait été consumée, ce terrible feu qui avait aussi consumé son amour, ne s'éteindrait jamais. Il durerait toute sa vie. La Voisin l'avait dit. Mais le destin, qui n'est pas injuste, voulait qu'Angélique fît halte, pour un temps, sur la colline en chantée, afin d'y reprendre des forces dans l'ivresse de sa réussite et le triomphe de sa beauté.
Plus tard, elle retrouverait le chemin de son aventureuse existence. Mais, aujourd'hui, elle ne craignait plus rien. ELLE ÉTAIT À VERSAILLES !
FIN
1 Actuel palais de Chaillot.
2 Actuelle place des Vosges.
3 Dieu.
4 Allusion à un procès de divorce, de l'époque.
5 À l'emplacement de ce balcon se trouve actuellement la galerie des Glaces.