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Nynaeve parut réfléchir à la proposition, mais elle ne lui fit pas écho :

— Si je ne la connaissais pas, je dirais qu’elle est sur le point de se retourner contre Elaida…

— Se pencher sur les abîmes politiques des sœurs donne vite le tournis, dit Elayne, sous-entendant que l’ancienne Sage-Dame aurait dû le savoir aussi bien qu’elle. Même une sœur rouge est susceptible de lâcher Elaida, et ce pour des raisons qui dépassent notre imagination. Elle a pu aussi manœuvrer pour nous faire baisser notre garde, histoire de nous piéger et de nous livrer pieds et poings liés à l’usurpatrice… Ou encore…

Lan toussota soudain.

— Si des Rejetés doivent arriver ici, dit-il d’un ton parfaitement égal, ils risquent de ne pas tarder. Tout comme ce gholam. Du coup, il serait judicieux que nous filions ailleurs.

— Avec les Aes Sedai, il faut toujours faire montre d’un peu de patience, murmura Birgitte, comme si elle citait quelque chose. Mais les Régentes des Vents semblent n’en avoir aucune. En conséquence, vous devriez oublier Teslyn et vous souvenir de Renaile.

Elayne et Nynaeve jetèrent aux deux Champions des regards assez froids pour impressionner une dizaine de Chiens de Pierre. Même si elles avaient décidé que c’était la seule solution, l’idée de fuir devant les Rejetés et leur gholam leur déplaisait souverainement. Et se faire dire qu’elles devaient se dépêcher parce que les Régentes des Vents les attendaient ne risquait pas de leur plaire davantage.

Aviendha aurait volontiers étudié le regard et l’expression des deux Aes Sedai, histoire de s’en inspirer. Avec un simple regard, ou quelques mots, les Matriarches parvenaient à obtenir des résultats qui exigeaient, pour elle, le recours à la menace de ses poings ou de ses lances. De plus, Sorilea et les autres atteignaient leurs objectifs bien plus vite qu’elle – et bien plus souvent. Oui, observer Nynaeve et Elayne aurait pu être riche d’enseignements, n’était que leurs regards n’avaient pas l’ombre d’un effet sur les deux Champions. Birgitte sourit puis regarda Lan, qui haussa très légèrement les épaules – l’expression d’une indulgence presque paternelle.

Elayne et Nynaeve renoncèrent. Après avoir tiré sans hâte sur le devant de leur robe – qui n’en avait pas besoin – elles prirent chacune Aviendha par un bras et se remirent en chemin sans daigner jeter un coup d’œil en arrière pour voir si les Champions suivaient le mouvement. Bien entendu, grâce au lien, Elayne n’en avait pas besoin. Nynaeve non plus, probablement. Même si Aan’allein restait lié à une autre Aes Sedai, son cœur, sous la forme d’une chevalière, était suspendu autour du cou de l’ancienne Sage-Dame.

Les deux femmes s’efforcèrent de marcher lentement, afin de ne pas montrer qu’elles tenaient compte de l’avis de leurs Champions. En réalité, elles faisaient surtout semblant de traîner, accélérant discrètement le pas.

Histoire de donner le change, elles se mirent à bavarder comme si elles étaient en train de siroter une infusion, en choisissant délibérément les sujets les plus frivoles. Elayne se plaignit amèrement de n’avoir pas pu profiter du Festival des Oiseaux, la veille, et ne jugea même pas bon de rosir en évoquant les tenues plus que légères que portaient ses participants. Nynaeve ne rosit pas davantage, mais elle s’empressa d’enchaîner sur la Fête des Braises, qui aurait lieu le soir même. Plusieurs serviteurs affirmaient qu’il y aurait des feux d’artifice – l’œuvre d’un Illuminateur réfugié à Ebou Dar, précisaient-ils. Quelques ménageries étaient venues en ville avec leurs animaux exotiques et leurs acrobates. Ayant voyagé avec une troupe de ce genre, Elayne et Nynaeve avaient beaucoup à dire sur le sujet. Ensuite, elles parlèrent de couturières et comparèrent les mérites des différentes sortes de dentelle disponibles à Ebou Dar. Puis elles passèrent à la soie et au lin.

Non sans surprise, Aviendha s’avisa qu’elle répondait avec plaisir aux compliments sur sa robe de soie grise et sur les autres vêtements que lui avait offerts Tylin Quintara. Sans parler des bas, des combinaisons et même des bijoux qui allaient avec. En matière de cadeaux, Elayne et Nynaeve n’avaient pas été lésées. Toutes ces merveilles, rangées dans des coffres ou des ballots, avaient été apportées aux écuries par des serviteurs, avec leurs sacoches de selle.

— Pourquoi cette expression maussade, Aviendha ? demanda Elayne en tapotant le bras de l’Aielle. Ne t’en fais donc pas ! Tu connais le tissage et tu t’en tireras très bien.

Nynaeve se pencha pour murmurer à l’oreille d’Aviendha :

— Je te ferai une de mes infusions, dès que je pourrai. J’en connais plusieurs qui soigneront ton estomac. Ou toute autre petite indisposition féminine.

Les deux femmes ne comprenaient pas ! Aucune infusion, pas plus que des propos amicaux, ne pourrait apaiser Aviendha. Bon sang ! elle adorait discuter de colifichets ! Y avait-il de quoi grogner de dégoût ou gémir de désespoir ? Au contact de ses amies, elle se ramollissait. Avant, elle n’aurait même pas jeté un coup d’œil à la robe d’une femme, sauf si elle risquait de dissimuler une arme. La coupe et la couleur lui étaient indifférentes et jamais elle ne se serait demandé de quoi elle aurait l’air dans ce modèle. Il était plus que temps de quitter cette ville et de fuir les palais des terres mouillées. Encore un peu, et elle allait se mettre à minauder. Elayne et Nynaeve n’étaient pas du genre à le faire, mais il était de notoriété commune que toutes les femmes des terres mouillées minaudaient, et Aviendha, de toute évidence, était devenue aussi mollassonne que ces bécasses ! Marcher bras dessus bras dessous en parlant de dentelle ! Les bras ainsi occupés, comment dégainer un couteau, en cas d’attaque ? Bien sûr, l’acier risquait de ne servir à rien face aux agresseurs potentiels, mais la jeune Aielle se fiait déjà à sa lame bien longtemps avant d’avoir découvert son aptitude à canaliser le Pouvoir. Si quelqu’un tentait de s’en prendre à Elayne – ou à Nynaeve, puisque Aviendha, comme Birgitte et Lan, avait promis à Mat Cauthon de protéger les deux femmes –, elle n’hésiterait pas à lui planter son arme dans la poitrine. Mais s’intéresser à la dentelle, quand même… Comment pouvait-on tomber si bas ?

De grandes portes à deux battants s’ouvraient sur trois côtés des plus grandes écuries du palais. Des domestiques en livrée blanc et vert allaient et venaient devant chacune de ces entrées. À l’intérieur, des chevaux sellés ou chargés de paniers d’osier attendaient le départ.

Le cri des mouettes rappela à Aviendha combien était proche la mer, cette flaque d’eau géante. Comme de juste, la chaleur était accablante, mais ça ne faisait rien pour apaiser la tension ambiante. Aviendha avait vu des rixes sanglantes éclater dans des lieux où l’atmosphère était moins tendue qu’ici…

Vêtue de soie rouge et jaune, les bras croisés sur la poitrine, Renaile din Calon attendait un peu en avant de dix-neuf autres femmes à la peau noire. Les pieds nus, les mains couvertes de tatouages, toutes portaient des chemisiers de couleur vive et un pantalon large tenu par une ceinture d’une teinte tout aussi criarde. La sueur qui ruisselait sur leur visage n’entamant pas leur digne gravité, certaines humaient les arômes montant de la petite boîte d’or ajourée accrochée autour de leur cou.

Renaile din Calon portait cinq grosses boucles d’or à chaque oreille, l’une étant reliée à son anneau nasal par une chaîne où pendaient une multitude de médaillons. Les trois femmes qui se tenaient juste derrière elle n’arboraient que huit boucles en tout et beaucoup moins de médaillons. C’était ainsi que les Atha’an Miere marquaient les différences hiérarchiques – entre les femmes, en tout cas. Et toutes, ici, obéissaient à Renaile din Calon, la Régente des Vents de la Maîtresse des Navires du Peuple de la Mer. Cela dit, même les deux apprenties qui se tenaient au dernier rang, avec un chemisier de lin et non de soie, avaient droit à leurs ornements en or.