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Aviendha retint son souffle. Rien dans l’attitude de l’inconnu n’était menaçant, pourtant, elle comprit qu’il était responsable des picotements. Une créature des Ténèbres ou un Rejeté ne serait pas resté simplement là à regarder, mais ce maudit gholam… Alors que le sang se glaçait dans ses veines, l’Aielle songea qu’il pouvait s’agir d’un simple domestique du palais. Oui, c’était possible, mais elle n’y croyait pas un instant. Et avoir peur n’avait rien de honteux.

Aviendha regarda nerveusement les femmes qui traversaient le portail avec une lenteur terrifiante. La moitié des Atha’an Miere étaient passées, et les tricoteuses attendaient derrière avec la prisonnière, l’appréhension que leur inspirait le passage occultée par l’agacement de voir les « sauvages » le traverser avant elles.

Si Aviendha exprimait ses soupçons à voix haute, Reanne et ses compagnes s’enfuiraient sûrement – la moindre mention des Ténèbres les faisait crever de peur – et les Atha’an Miere en profiteraient pour revendiquer la coupe sur-le-champ. Pour elles, cet objet passait avant tout.

Cela dit, seule une crétine finie serait restée là à se gratter le crâne tandis qu’un lion approchait du troupeau qu’on l’avait chargée de surveiller.

Aviendha prit une Atha’an Miere par la manche de soie rouge de son chemisier.

— Kurin, dis à Elayne que…

Un visage d’ébène se tourna vers l’Aielle, les lèvres pincées jusqu’à ne plus paraître charnues et les yeux incroyablement durs. Quel message envoyer qui ne sèmerait pas la panique ? Et n’inciterait pas les Atha’an Miere à la contestation ?

— Dis à Elayne et à Nynaeve d’être prudentes. Les ennemis arrivent toujours quand on ne les attend pas. Dis-le-leur quoi qu’il arrive !

La Régente des Vents acquiesça sans trop cacher son impatience, mais curieusement, elle attendit qu’Aviendha l’ait lâchée avant de se remettre en chemin et de traverser le portail d’un pas hésitant.

Au sommet de la tour, le chemin de ronde était désert. Aviendha n’en fut pas rassurée pour autant. L’homme pouvait être en train de se diriger vers la cour. Qui ou quoi qu’il soit, il était dangereux, ça n’était pas dû aux fantaisies de son imagination.

Les quatre derniers Champions avaient formé un carré autour du portail. Ceux-là seraient les derniers à partir. Et malgré tout le mépris qu’elle éprouvait pour leurs épées, Aviendha se félicita qu’il y ait avec elle des gens capables de manier l’acier. Même si ces hommes n’auraient pas eu plus de chances qu’elle, ou que les domestiques attendant avec les chevaux, face à un Rejeté ou au gholam.

Morose, Aviendha puisa encore du saidar jusqu’à ce que la douceur exquise soit à un souffle de se transformer en douleur. Si ça se produisait, un souffle de plus et la douleur deviendrait une insupportable souffrance durant la fraction de seconde nécessaire pour mourir ou perdre à jamais l’aptitude à canaliser. Ces fichues femmes ne pouvaient-elles pas accélérer un peu le rythme ? Il n’y avait aucune honte à avoir peur, bien sûr. Mais Aviendha commençait à craindre que l’angoisse se lise sur son visage.

2

Détisser…

Elayne resta près du portail dès qu’elle l’eut franchi. Nynaeve, en revanche, traversa la clairière comme une furie, faisant s’envoler d’innocentes sauterelles terrifiées. À l’évidence, elle cherchait les Champions. Enfin, l’un d’entre eux, en tout cas.

Un oiseau rouge vif traversa la clairière en un éclair. Alors que rien ne bougeait, à part les Aes Sedai, un écureuil pépia dans les branches d’un arbre dénudé. Puis le silence revint.

En principe, songea Elayne, les trois Champions ne pouvaient pas être passés par là sans laisser des traces aussi visibles que celles de Nynaeve. Pourtant, elle ne voyait rien.

Elle sentait Birgitte, sur sa gauche – au sud-ouest, en fait –, captant chez elle une certaine satisfaction et l’absence totale d’inquiétude. Partie prenante d’un cercle protecteur qui entourait Sareitha et la coupe, Careane inclinait la tête comme pour tendre l’oreille. Apparemment, son cher Cieryl était quelque part au sud-est. Logiquement, Lan devait être au nord – à savoir, si bizarre que ce fût, la direction dans laquelle Nynaeve était partie en marmonnant entre ses dents. Le mariage l’avait peut-être dotée de quelque chose qui ressemblait au lien. À moins, et c’était plus probable, qu’elle ait repéré une piste ayant échappé à Elayne. Très douée pour tout ce qui concernait les herbes, Nynaeve était également une vraie femme des bois.

De là où Elayne se tenait, Aviendha était parfaitement visible de l’autre côté du portail. Pour l’heure, elle sondait les toits du palais comme si elle redoutait une embuscade. À son attitude, elle aurait pu être prête à bondir, ses lances au poing. Sauf qu’elle n’en portait plus…

Elayne eut un petit sourire. Cachant la détresse que lui inspiraient ses lacunes avec les portails, l’Aielle était si courageuse ! Tellement plus qu’elle-même, en fait… Pourtant, la Fille-Héritière s’inquiétait. Aviendha était vraiment courageuse, et personne, parmi les connaissances d’Elayne, n’avait une telle aptitude à garder la tête froide. Mais elle pouvait décider que le ji’e’toh exigeait qu’elle se batte alors que le seul espoir de salut était dans la fuite. Son aura était si intense qu’elle ne pouvait pas puiser plus de saidar. Si un des Rejetés se montrait…

J’aurais dû rester avec elle !

Elayne repoussa aussitôt cette pensée. Quelque excuse qu’elle eût pu trouver, Aviendha aurait percé sa ruse à jour, et elle pouvait parfois se montrer aussi susceptible qu’un homme. La plupart du temps, même… Surtout quand il était question de son honneur. En soupirant, Elayne laissa le flot d’Atha’an Miere l’éloigner peu à peu du portail – mais en restant assez près pour entendre un cri retentissant de l’autre côté. Et pour voler au secours d’Aviendha en un éclair.

En outre, elle avait une autre raison d’agir ainsi…

Les Régentes des Vents passèrent dans l’ordre de leur hiérarchie, se concentrant pour garder un air impassible. Mais Renaile elle-même se détendit visiblement lorsque ses pieds nus foulèrent les herbes hautes de la clairière. Quelques Atha’an Miere eurent un petit frisson, vite réprimé, ou jetèrent un coup d’œil stupéfait à l’ouverture en suspension dans les airs qui béait toujours dans leur dos. Toutes jetèrent un regard soupçonneux à Elayne en passant à côté d’elle. Deux ou trois firent mine de parler, peut-être pour demander ce qu’elle fichait là, ou pour lui conseiller de bouger. Mais Renaile leur intima de presser le pas, épargnant ces désagréments à Elayne. Très bientôt, ces femmes auraient l’occasion de commander des Aes Sedai. Inutile qu’elles commencent avec elle.

Cette perspective retourna l’estomac de la Fille-Héritière, surtout quand on considérait le nombre de femmes de la mer présentes. Elles avaient les connaissances climatiques requises pour utiliser la coupe correctement, certes, mais Renaile elle-même reconnaissait – bien qu’à contrecœur – que les chances de restaurer le climat augmentaient en fonction de la quantité de Pouvoir projetée sur l’artefact. Cela dit, il fallait faire montre d’une précision impossible, sauf pour une femme seule ou pour un cercle. Et bien entendu, un cercle complet de treize… Dans ce nombre, il faudrait sûrement inclure Nynaeve, Aviendha, Elayne elle-même et quelques membres de la Famille, mais Renaile, à l’évidence, avait l’intention de profiter de l’article du marché précisant que les Atha’an Miere seraient en droit d’apprendre toutes les « aptitudes » que les Aes Sedai pourraient leur enseigner. Ce portail avait constitué la première leçon, et l’art de constituer un cercle serait la deuxième.