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Une fois déballé, l’objet se révéla être une petite broche en ambre en forme de tortue. On aurait dit de l’ambre, en tout cas, et c’en était peut-être jadis. Mais quand Elayne s’unit à la Source par l’intermédiaire de sa découverte, le saidar l’emplit avec une puissance bien supérieure à d’habitude. Un angreal, enfin ! Pas extraordinaire, mais c’était déjà beaucoup mieux que rien. Avec son aide, Elayne pourrait puiser deux fois plus de Pouvoir que Nynaeve – dont les performances seraient aussi améliorées en proportion. Libérant le flux supplémentaire de saidar, la Fille-Héritière glissa le bijou dans sa bourse, sourit d’aise et recommença ses recherches. S’il y avait un angreal, il pouvait y en avoir plusieurs. Et maintenant qu’elle en possédait un, elle pourrait peut-être trouver la méthode permettant d’en fabriquer. C’était ça qu’elle cherchait ! Si elle ne s’était pas retenue, elle aurait sorti la broche afin de se mettre tout de suite au travail.

Vandene observait la Fille-Héritière et l’ancienne Sage-Dame depuis un moment. Après avoir fait avancer son hongre jusqu’à elles, la sœur mit pied à terre. La femme qui tenait la bride du cheval de bât lui fit une révérence maladroite – toujours plus que ce qu’avaient eu Elayne et Nynaeve.

— Tu es prudente, dit Vandene à la Fille-Héritière, et c’est louable. Mais il vaudrait mieux ne pas toucher à ces objets avant qu’ils soient en sécurité à la tour.

Elayne fit la moue. À la tour ? Non, ce n’était pas ce que voulait dire Vandene. Jusqu’à ce que quelqu’un d’autre puisse les examiner, plutôt… Une sœur plus âgée et en principe plus expérimentée.

— Vandene, je sais ce que je fais. N’oublie pas que j’ai fabriqué des ter’angreal. Personne d’autre au monde ne peut s’en vanter.

Elayne avait appris le principe de base à des sœurs, mais aucune n’était parvenue à un résultat avant qu’elle parte pour Ebou Dar.

Vandene tapa nerveusement dans sa paume gantée avec le bout de ses rênes.

— Martine Janata aussi, savait ce qu’elle faisait, ai-je cru comprendre. C’est la dernière sœur à s’être consacrée à l’étude des ter’angreal. Elle l’a fait pendant plus de quarante ans, quasiment dès le moment où elle a reçu son châle. Elle était très prudente, m’a-t-on dit. Un jour, sa servante l’a pourtant découverte inanimée sur le sol de son salon. Carbonisée…

Même dit d’un ton égal, ce mot faisait l’effet d’une gifle. Vandene continua cependant comme si de rien n’était :

— Son Champion est mort à cause du choc. Rien d’étonnant, dans des cas de ce genre. Quand Martine reprit conscience, après trois jours, impossible de se rappeler sur quoi elle travaillait. En fait, elle avait tout oublié de la semaine précédant son « accident ». Tout ça remonte à plus de vingt-cinq ans, et personne n’a eu le courage de toucher un des ter’angreal entreposés dans ses appartements. Ses notes les mentionnent pourtant tous, précisant que tout ce qu’elle avait trouvé se révélait inoffensif, insignifiant et même frivole, mais… (Vandene haussa les épaules.) Elle a dû faire une découverte inattendue.

Elayne regarda Birgitte et s’aperçut que sa Championne la regardait aussi. Inutile de voir le front plissé d’inquiétude de l’héroïne. Son angoisse se reflétait dans la petite partie de l’esprit de la jeune femme qui était sa Championne. Les deux femmes captaient leurs sentiments, et il leur arrivait d’avoir du mal à les distinguer les uns des autres. Oui, Elayne ne mettait pas qu’elle en danger. Mais elle savait ce qu’elle faisait, pour de bon ! Plus que quiconque d’autre, en tout cas. Et même si aucun Rejeté ne se montrait, elles avaient besoin de tous les angreal qu’elle trouverait.

— Qu’est-il arrivé à Martine ? demanda Nynaeve d’un ton égal. Après, bien entendu…

Dès qu’elle entendait parler d’une personne malade ou blessée, voilà qu’elle brûlait d’envie de la guérir. Chez elle, c’était obsessionnel.

Vandene fit la grimace. C’était elle qui avait mentionné Martine, bien sûr, mais les Aes Sedai détestaient parler des femmes calmées ou carbonisées. Elles n’aimaient même pas se souvenir de leur existence.

— Dès qu’elle a été assez rétablie pour ça, elle a quitté la tour en douce… L’important, c’est de garder à l’esprit qu’elle était prudente. Je ne l’ai pas connue, mais on raconte qu’elle se méfiait de tous les ter’angreal, même celui qui fabrique le tissu pour les capes-caméléons. Pourtant, personne n’a jamais pu le faire servir à autre chose, celui-là. Oui, Martine était prudente, et ça ne l’a pas sauvée.

Nynaeve posa un bras en travers du panier d’osier quasiment vide.

— Tu devrais peut-être…, commença-t-elle.

— Non ! cria soudain Merilille.

Elayne se retourna, se liant de nouveau à l’angreal – un réflexe –, et eut à demi conscience du saidar qui se déversait en Nynaeve et en Vandene. Puis l’aura du Pouvoir enveloppa toutes les femmes présentes capables de s’unir à la Source. Penchée en avant sur sa selle, les yeux exorbités, Merilille tendait une main vers le portail.

Elayne plissa pensivement le front. Il n’y avait rien là-bas, à part Aviendha et les quatre derniers Champions. Surpris alors qu’ils allaient se mettre en chemin, ils sondaient les alentours, lame à demi dégainée.

Soudain, la Fille-Héritière comprit ce que faisait Aviendha, et le choc faillit la couper du saidar.

Le portail fluctuait, ses contours se troublant, tandis que l’Aielle défaisait soigneusement son tissage. Lorsque les derniers flux furent dénoués, l’ouverture ne disparut pas d’un seul coup. Au contraire, elle scintilla intensément, l’image de la cour des écuries se troublant avant de disparaître totalement comme du brouillard au soleil.

— C’est impossible ! s’écria Renaile.

Les autres Atha’an Miere firent écho à son exclamation. Sonnées, les tricoteuses se contentaient de regarder Aviendha, les yeux ronds.

Elayne ne put s’empêcher de hocher lentement la tête. À l’évidence, c’était possible. Mais une des premières consignes qu’on lui avait données, quand elle portait la robe blanche de novice, était de ne jamais – en aucune circonstance ! – tenter de faire ce qu’Aviendha venait de réussir. Défaire un tissage, quel qu’il soit, au lieu de le laisser se dissiper tout seul, était strictement prohibé. Toute transgression provoquerait un désastre inévitable. Inévitable !

— Espèce de petite idiote ! cria Vandene en fondant sur Aviendha, son hongre tenu par la bride. As-tu conscience de ce que tu viens de faire ? Une seule erreur, et le tissage aurait pu se transformer d’une manière imprévisible et… Tu aurais pu tout détruire dans un périmètre de cent pas, ou davantage. Cinq cents, peut-être ! Tu as risqué de te carboniser et de…

— C’était nécessaire, dit simplement Aviendha.

Les Aes Sedai qui s’étaient toutes approchées se mirent à parler en même temps, mais l’Aielle parvint à dominer ce vacarme :

— Je connais les risques, Vandene Namelle, mais il fallait les courir. Est-ce une chose de plus que les Aes Sedai ne savent pas faire ? Selon les Matriarches, n’importe quelle femme peut maîtriser plus ou moins bien cette technique, avec une bonne initiatrice. Il suffit de savoir broder pour en posséder la base.

Aviendha parut avoir du mal à ne pas ricaner.

— Nous ne sommes pas en train de parler de broderie, petite ! lâcha froidement Merilille. La prétendue formation que tu reçois au sein de ton peuple ne te met pas en position de savoir ce que tu dis. Tu vas me promettre – non, me jurer – de ne plus jamais recommencer.

— Son nom devrait figurer dans le registre des novices, dit Sareitha, la coupe toujours serrée contre sa poitrine. Je le dis depuis le début. Elle devrait y être inscrite.

Careane acquiesça, lorgnant l’Aielle comme si elle prenait les mesures de sa future robe blanche.