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— Si on nous a vus, Ethenielle, nous pouvons tout aussi bien repartir sur-le-champ.

— Tu parles déjà de repartir ?

Bien que son ton et sa façon de tirer sur ses rênes n’aient rien eu de courtois, Shianri parvint à conserver assez de civilité – ou plutôt, de vernis de courtoisie – pour éviter d’être défié en duel. Cela dit, Agelmar le regarda sans aménité, bougeant légèrement sur sa selle comme s’il était en train de recenser toutes les armes qu’il portait sur lui. Des alliés de longue date, lors d’innombrables batailles le long de la Flétrissure… Certes, mais il y avait tous ces soupçons…

Alesune fit frémir sa jument grise aussi massive qu’un cheval de guerre. Les mèches blanches de ses longs cheveux noirs évoquèrent soudain la crête d’un casque, et à voir briller son regard, on aurait très bien pu oublier que les femmes, au Shienar, ne s’entraînaient pas au maniement des armes et ne disputaient pas de duels. En titre, elle n’était que la shatayan de la maison royale. Mais là encore, croire que son influence se limitait aux cuisinières, aux serviteurs et aux fournisseurs aurait été une tragique erreur.

— Seigneur Shianri, l’inconscience n’est pas le courage ! Nous avons laissé la Flétrissure sans surveillance, et si nous échouons – voire si nous réussissons – certaines de nos têtes risquent de finir fichées au bout d’une pique. Et peut-être même toutes… Si al’Thor ne s’en charge pas, la Tour Blanche peut vouloir le faire à sa place.

— La Flétrissure semble assoupie, murmura Terasian. Je ne l’ai jamais connue si paisible.

— Les Ténèbres ne dorment jamais, dit Jagad.

Terasian acquiesça, comme si ça lui semblait une évidence.

Agelmar était le meilleur général du lot, et peut-être un des plus grands de tout le monde connu. Mais Terasian n’était pas devenu le bras droit de Paitar uniquement parce qu’il savait lever le coude mieux que quiconque.

— Les forces que j’ai laissées derrière moi peuvent contrôler la Flétrissure, intervint Ethenielle, sauf si les guerres des Trollocs devaient recommencer. Et je suis sûre que vous avez tous fait comme moi. De toute façon, ça n’a aucune importance. Quelqu’un pense sérieusement que nous pouvons rebrousser chemin maintenant ?

— « Rebrousser chemin » ? lança une voix de femme dans le dos d’Ethenielle.

La reine Tenobia du Saldaea fit ruer son hongre blanc histoire que son arrivée soit remarquée. Les manches de sa robe d’équitation ornées de lignes de perles blanches, elle arborait des broderies or et jaune sur la poitrine et autour de la taille. Une façon de souligner l’opulence de l’une et la finesse de l’autre. De très haute taille pour une femme, elle réussissait à paraître jolie malgré un nez franchement proéminent. Ses grands yeux bleus inclinés y étaient sans doute pour quelque chose, mais l’essentiel tenait à son extraordinaire confiance en soi, qui lui faisait comme une aura.

Bien entendu, la reine du Saldaea n’avait qu’un seul compagnon. Kaylan Ramsin, un de ses innombrables oncles. Grisonnant, le visage couvert de cicatrices, cet homme avait un regard d’aigle au-dessus de sa moustache incurvée. En matière de conseillers, Tenobia Kazadi ne supportait que des guerriers endurcis.

— Je ne ferai pas demi-tour, dit-elle d’une voix vibrante de ferveur. Qu’importe ce que vous ferez, tous autant que vous êtes ! J’ai chargé mon très cher oncle Davram de me rapporter la tête de Mazrim Taim, et voilà que ce faux Dragon et lui sont fidèles à ce maudit al’Thor – si je dois en croire ce qu’on raconte. J’ai près de cinquante mille hommes avec moi, et quoi que vous décidiez, je ne rebrousserai pas chemin avant que mon oncle et al’Thor sachent très exactement qui dirige le Saldaea.

Pendant que Paitar et Easar assuraient Tenobia que personne ne repartirait, Ethenielle consulta du regard Serailla et Baldhere. La conseillère hocha imperceptiblement la tête et le seigneur roula ostensiblement des yeux. Ethenielle n’avait pas vraiment espéré que Tenobia déciderait de renoncer, mais elle aurait mis sa tête à couper que cette jeune femme impétueuse leur vaudrait des ennuis.

Au Saldaea, la bizarrerie était très répandue. Pour être franche, Ethenielle se demandait comment sa sœur Einone pouvait s’accommoder si bien de son union avec un autre oncle de la reine. Cela posé, en matière d’extravagance, Tenobia battait tous les records. Alors que ses sujets ne travaillaient déjà pas dans la dentelle, elle s’enorgueillissait de faire rougir les Domani et de faire passer les Altariens pour des parangons de sérieux. Si le caractère explosif de ses sujets était légendaire, le sien méritait plutôt qu’on le qualifie de « volcanique », et personne ne pouvait dire ce qui était susceptible de provoquer une éruption. Ramener Tenobia à la raison quand elle n’en avait pas envie ? Une tâche qu’Ethenielle estimait bien au-dessus de ses forces. Seul Davram Bashere y était parvenu, un jour…

Et bien entendu, il y avait l’épineuse question du mariage.

Bien qu’encore jeune, Tenobia avait largement dépassé l’âge d’être célibataire. Quand on appartenait à une haute maison, et plus encore lorsqu’on régnait, se marier était un devoir, car il fallait songer aux alliances et à la succession. Pourtant, Ethenielle n’avait jamais envisagé d’unir Tenobia à un de ses fils. Car les exigences de la reine, en matière de mari, étaient à la hauteur du reste de sa personnalité. Son époux devrait être capable de tailler en pièces une dizaine de Myrddraals, et tout ça en jouant de la harpe et en composant un poème. Assez vif d’esprit pour en remontrer à n’importe quel érudit, il faudrait aussi qu’il puisse dévaler à cheval un versant de montagne escarpé. Ou le gravir, selon les cas. Bien entendu, il aurait aussi intérêt à lui obéir – après tout, n’était-elle pas une reine ? – sauf aux moments où elle aurait envie qu’il oublie tout ça pour la hisser sur son épaule et l’emporter où il voulait.

Oui, elle désirait très exactement ça ! Et que la Lumière protège le pauvre homme s’il « hissait sur l’épaule » quand elle entendait qu’il obéisse, ou vice versa. Bien entendu, elle ne formulait jamais si précisément ses exigences, mais aucune femme un peu expérimentée l’ayant entendue parler des hommes ne pouvait avoir le moindre doute sur le sujet. À ce rythme-là, Tenobia quitterait ce monde vieille fille. Du coup, son oncle Davram lui succéderait, si elle ne le tuait pas avant. Sinon, ce serait l’héritier ou l’héritière du Maréchal.

Un nom attira l’attention d’Ethenielle, l’arrachant à sa méditation. Avec de tels enjeux, elle aurait dû se montrer plus attentive.

— Des Aes Sedai ? Qu’y a-t-il avec les Aes Sedai ?

Excepté celle de Paitar, toutes les conseillères issues de la Tour Blanche étaient parties dès qu’elles avaient eu vent des troubles en cours à Tar Valon. Nianh et Aisling, la conseillère d’Easar, s’étaient même volatilisées sans laisser de traces. Si les sœurs se doutaient le moins du monde du plan des quatre souverains des Terres Frontalières… Cela dit, les Aes Sedai avaient toujours de sombres desseins en cours. Simplement, Ethenielle n’avait aucune envie de découvrir qu’elle plongeait les mains dans deux nids de guêpes au lieu d’un…

L’air vaguement gêné, Paitar haussa les épaules. Chez lui, ce n’était pas sans importance. Comme Serailla, il ne laissait pratiquement jamais rien transparaître.

— Ethenielle, dit-il, tu ne peux pas avoir cru que je laisserais Coladara en arrière, même si j’avais pu lui cacher mes préparatifs de départ.

La reine n’avait jamais cru ça. La sœur favorite de Paitar était une Aes Sedai, et Kiruna l’avait incité à éprouver une grande affection pour la Tour Blanche. Non, Ethenielle n’avait jamais pensé qu’il laisserait Coladara en arrière. Mais elle l’avait espéré…