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— Assieds-toi avant de t’écrouler, dit Verin à Beldeine. (Elle prit elle-même place sur un coussin.) Voyons, laisse-moi deviner ce que tu as fait aujourd’hui. À voir toute cette crasse, je parierais que tu as creusé un trou. À mains nues, ou t’a-t-on autorisée à utiliser une cuillère ? Quand elles décideront que c’est terminé, les Aielles te le feront reboucher, sais-tu ? Bien, un petit examen, à présent. Tout ce qu’on voit de ta peau est sale, en revanche, ta robe est impeccable. Elles te forcent à creuser nue comme un ver, c’est ça ? Tu ne veux pas que je te guérisse, c’est sûr ? Les coups de soleil sont très douloureux…

Verin emplit une coupe d’eau et la fit léviter jusqu’à Beldeine – un simple flux d’Air, rien de bien compliqué.

— Tu dois avoir la gorge desséchée…

La jeune sœur verte regarda un moment la coupe, puis ses jambes se dérobèrent et elle se laissa tomber sur un coussin.

— Ces femmes m’abreuvent souvent, dit-elle avec un rire amer.

Verin ne vit pas ce qu’il pouvait y avoir de drôle là-dedans.

— Autant que je veux, en fait, pourvu que j’avale tout.

Beldeine marqua une pause, étudia un moment Verin, puis lâcha agressivement :

— Cette robe te va très bien. La mienne, elles l’ont brûlée, je les ai vues faire. Ces Aielles m’ont tout pris, à part ma bague au serpent. Parce qu’elles n’en ont pas eu le courage, je suppose. Verin, je sais ce qu’elles tentent de faire. Mais ça ne fonctionnera pas avec moi. Ni avec aucune d’entre nous.

Beldeine était toujours sur ses gardes. Faisant se poser la coupe sur le tapis à motifs floraux, près de la prisonnière, Verin prit la sienne et but lentement avant de lancer :

— Que tentent-elles de faire, selon toi ?

Cette fois, Beldeine eut un rire cassant.

— Elles veulent nous briser, et tu le sais très bien ! Afin que nous jurions allégeance à al’Thor, comme toi. Comment as-tu pu faire ça ? Prêter serment, et à un homme, en plus de tout. À cet homme ! Même si on peut comprendre que tu te sois révoltée contre la Chaire d’Amyrlin et la Tour Blanche… (Pour Beldeine, l’un équivalait à l’autre.) Comment as-tu pu tomber si bas ?

Un instant, Verin se demanda s’il n’aurait pas été préférable que les femmes désormais prisonnières des Aiels aient été comme elle entraînées dans le tourbillon généré par le ta’veren Rand al’Thor. Oui, comme de vulgaires grains de poussière. Dans son cas, les mots avaient jailli de sa gorge avant même qu’elle les ait formulés dans sa tête. Pas des paroles qu’elle n’aurait en aucun cas pu dire – l’influence des ta’veren ne fonctionnait pas ainsi – mais plutôt des propos qu’elle aurait tenus une fois sur mille dans des circonstances semblables – ou, plus probablement, une fois sur dix mille. Un serment prêté dans des conditions pareilles devait-il être respecté ? Les sœurs en avaient longuement débattu, et elles continuaient à polémiquer sur la manière adéquate de tenir leur parole.

Distraitement, Verin toucha la petite broche rangée dans sa bourse. Une pierre translucide taillée en forme de lys, mais avec beaucoup trop de pétales. Un bijou qu’elle ne portait pas, mais qui ne la quittait jamais depuis près de cinquante ans.

— Beldeine, tu es da’tsang. Tu dois l’avoir entendu dire.

Verin n’eut pas besoin de la confirmation de la sœur. Informer de leur sort les « méprisés » faisait partie des lois aielles, un peu comme prononcer une sentence. Au moins, ça, Verin le savait.

— Tes vêtements et toutes tes possessions combustibles ont été brûlés, parce que aucun Aiel n’accepterait de posséder ce qui était naguère à un da’tsang. Les autres objets ont été réduits en miettes ou brisés en mille morceaux, même tes éventuels bijoux, et enfouis au fond d’un trou servant de latrines.

— Et mon cheval ? gémit Beldeine.

— Les Aiels ne les tuent pas, mais j’ignore où est le tien.

Devenu la monture d’un habitant de Cairhien, sans doute, ou peut-être celle d’un Asha’man. Mieux valait rester vague sur ce sujet. Si sa mémoire ne trompait pas Verin, Beldeine, comme pas mal de jeunes femmes, nourrissait une véritable passion pour les chevaux.

— La bague est là pour te rappeler qui tu étais, et t’humilier davantage… Même si tu les suppliais, je doute que les Aielles te laisseraient prêter serment à maître al’Thor. Pour qu’elles y consentent, il faudrait que tu fasses quelque chose d’extraordinaire.

— Je ne le ferai jamais !

Une exclamation qui sonnait déjà creux. Les épaules voûtées, Beldeine était ébranlée, mais pas encore assez.

Verin afficha son sourire le plus chaleureux. Jadis, un homme lui avait dit que son sourire lui rappelait sa défunte mère. Un sujet sur lequel il n’avait pas menti, espérait-elle. Un peu plus tard, il avait tenté de la poignarder, son fameux sourire étant la dernière chose qu’il avait vue avant de quitter ce monde.

— Je ne vois pas pourquoi tu t’abaisserais à ça… Hélas, je crains que ton avenir soit fait d’une infinie succession de corvées absurdes. Pour les Aielles, c’est affreusement humiliant. Bien sûr, si elles s’avisent que tu ne vois pas les choses de la même façon… Misère ! Je parie que tu détestes creuser toute nue, même avec des Promises comme gardiennes. Mais imagine être sans vêtements dans… eh bien, disons, une tente remplie d’hommes ?

Beldeine tressaillit. Verin continua à enfoncer le clou – en la soûlant de paroles, une technique qu’elle maîtrisait désormais presque aussi bien que le Pouvoir.

— Cela dit, il ne t’arriverait rien… Sauf en cas d’urgence, les da’tsang n’ont pas le droit de faire quelque chose d’utile, et n’importe quel Aiel préférerait enlacer une charogne décomposée plutôt qu’une… Mais ce n’est quand même pas une éventualité plaisante, pas vrai ? Quoi qu’il en soit, c’est ce qui t’attend. Je sais que tu résisteras jusqu’au bout, même si j’ignore à quoi tu seras confrontée exactement. Les Aielles ne tenteront pas de t’arracher des informations, et elles ne te feront subir aucune des tortures qu’on inflige d’habitude aux prisonniers. Mais elles ne te laisseront pas partir avant qu’il ne reste en toi que de la honte. Et tant pis si elles doivent te garder jusqu’à ton dernier souffle.

Beldeine remua les lèvres en silence, mais elle aurait tout aussi bien pu répéter à voix haute les derniers mots de Verin. « Jusqu’à ton dernier souffle »… S’agitant sur son coussin, elle fit la grimace. Les coups de soleil, les contusions ou simplement les courbatures dues à des efforts inhabituels ?

— On viendra à notre secours, dit-elle. La Chaire d’Amyrlin ne nous abandonnera pas. Nous serons sauvées, ou… Non, nous serons sauvées, il n’y a pas de « ou » !

Saisissant la coupe d’argent, Beldeine la vida d’un trait puis tendit le bras pour qu’on la lui remplisse. Verin fit léviter le pichet, histoire que la prisonnière se serve elle-même.

— Tu allais dire : « ou nous nous évaderons » ? demanda Verin.

Beldeine sursauta et renversa un peu d’eau.

— Allons, un peu de sérieux ! Une évasion n’a aucune chance de réussir. Toi et les autres, vous êtes entourées par une armée d’Aiels. Et s’il le fallait, al’Thor pourrait lancer une centaine de ses Asha’man à vos trousses.