Выбрать главу

Beldeine frissonna à cette idée et Verin elle-même se sentit mal à l’aide. Encore une menace qu’il aurait fallu étouffer dans l’œuf, cette affaire…

— Beldeine, je crois que tu vas devoir compter sur toi-même, et sur rien d’autre. Regarde la réalité en face : tu es seule dans ce pétrin. Les Aielles ne te laissent pas parler aux autres, je le sais.

Verin soupira. Les yeux ronds, Beldeine la regardait comme si elle avait été en face d’une vipère rouge.

— Ne te complique pas inutilement la vie. Au moins, laisse-moi te guérir.

Verin n’attendit pas le hochement de tête piteux de la prisonnière pour se lever, aller s’agenouiller près d’elle et lui poser les mains sur la tête. La sœur verte était aussi prête que possible… S’emplissant de plus de saidar, Verin tissa des flux de guérison et sa patiente poussa un petit cri puis se mit à trembler. La coupe lui échappa de la main, et en retombant, son bras renversa le pichet.

Voilà, à présent, elle était parfaitement prête !

Alors que Beldeine tentait de revenir à la réalité – un moment de confusion normal après toute guérison –, Verin s’emplit encore plus de saidar par l’intermédiaire de l’angreal en forme de lys rangé dans sa bourse. Un artefact pas très puissant, mais assez pour lui fournir le surplus de Pouvoir dont elle avait besoin.

Les flux qu’elle commença à tisser n’avaient aucun rapport avec la guérison. Si l’Esprit prédominait, l’Air, l’Eau, le Feu et la Terre étaient également présents – cette dernière présentant quelque difficulté pour Verin – et le tissage, même quand il ne s’agissait que d’Esprit, devint si complexe que le meilleur tisserand du monde aurait fini par en perdre le fil.

Si une Matriarche passait la tête sous la tente, il faudrait une incroyable malchance pour qu’elle ait les compétences permettant d’identifier le tissage en cours. L’Aielle serait certes intriguée, les conséquences risquant d’être douloureuses, mais elle ne découvrirait pas la vérité, et cela seul comptait.

— Que… ? bredouilla Beldeine. (Les yeux mi-clos, elle n’aurait pas gardé la tête droite si Verin ne l’avait pas tenue.) Que se passe-t-il ?

— Rien de menaçant pour toi…, assura Verin.

À cause de ce qui arrivait, Beldeine risquait de mourir dans l’année à venir – ou la décennie – mais le tissage en lui-même ne lui ferait pas de mal.

— Crois-moi, c’est inoffensif. Assez pour qu’on puisse le faire à un enfant…

Bien entendu, tout dépendait de l’intention qu’on avait…

Configurer les flux était une tâche délicate, pourtant, parler semblait plutôt faciliter la concentration de Verin. De plus, si les deux « guides » tendaient l’oreille, un trop long silence aurait pu éveiller leurs soupçons.

Verin jetait de fréquents coups d’œil au rabat de la tente. Elle était en quête de réponse qu’elle n’avait aucune intention de partager, et qu’aucune prisonnière ne lui donnerait volontairement, si elle les connaissait. Un des effets secondaires du tissage consistait à ouvrir l’esprit et à délier la langue du « sujet », un peu comme certaines décoctions d’herbes – mais en agissant plus rapidement.

Baissant le ton, Verin reprit son monologue :

— Beldeine, le jeune al’Thor semble penser qu’il a des soutiens au cœur même de la Tour Blanche. Des fidèles cachées, bien entendu.

Même en collant l’oreille contre la toile de la tente, un espion aurait seulement pu dire que quelqu’un parlait, sans préciser ce qui se racontait.

— Dis-moi ce que tu sais au sujet de ces « soutiens »…

— Des soutiens ? répéta Beldeine dans un état second proche du coma, mais pas tout à fait. Pour lui ? Parmi les sœurs ? C’est impossible. Sauf pour celles comme toi, qui… Comment as-tu pu faire ça ? Pourquoi ne pas avoir résisté ?

Verin eut un soupir de contrariété. Pas à cause de cette suggestion stupide, résister à un ta’veren – non, c’étaient les certitudes d’al’Thor qui l’agaçaient. Comment pouvait-il être sûr à ce point ?

— Tu n’as aucun soupçon, Beldeine ? Avant de quitter Tar Valon, n’as-tu pas entendu de rumeurs ? Une ou plusieurs sœurs ont-elles suggéré d’aborder al’Thor sous un angle différent ? Dis-moi !

— Rien de tout ça… Qui pourrait… ? J’admire tant Kiruna.

Beldeine semblait désorientée et des larmes creusaient des sillons dans la crasse de ses joues. Sans le soutien de Verin, elle se serait écroulée.

Sans cesser de jeter des coups d’œil au rabat, Verin continua de mettre en place son tissage. Le moment était plus que délicat. Sorilea pouvait décider de venir participer aux interrogatoires en amenant avec elle une des sœurs du palais du Soleil. Si une sœur découvrait les manigances de Verin, le risque d’être calmée ne serait pas négligeable.

— Donc, vous deviez le livrer à Elaida bien propret sur lui et tout apprivoisé, dit-elle d’un ton normal.

Les murmures avaient trop duré. Pas question que ses guides aillent raconter aux Matriarches qu’elle tenait des messes basses avec les prisonnières.

— Je ne pouvais pas… contester… la décision de Galina. Elle nous dirigeait… sur ordre… de la Chaire d’Amyrlin.

Beldeine s’agita un peu. Sa voix était toujours pâteuse, mais on y entendait une certaine nervosité et elle battait frénétiquement des paupières.

— Il fallait… le forcer à obéir. C’était obligatoire ! Mais le traiter si… durement. Le torturer ainsi… C’était une erreur.

Une erreur ? Un désastre, plutôt ! Une abominable catastrophe. Depuis, al’Thor considérait les Aes Sedai avec la même aménité qu’Aeron, sinon pire. Et si ce plan avait réussi, qu’est-ce que ça aurait donné, un pareil ta’veren en résidence surveillée à la Tour Blanche ? Une idée vraiment perturbante. Quelle qu’ait été l’issue, le mot « désastre » n’aurait sûrement plus suffi à la décrire. Pour éviter ça, le prix payé aux puits de Dumai était finalement acceptable.

Verin continua à poser des questions d’une voix assez forte pour être entendue et comprise hors de la tente. Des questions dont elle connaissait déjà les réponses, pas celles qui étaient trop dangereuses pour être formulées. Sans accorder beaucoup d’attention à ce qu’elle disait et à ce que lui répliquait Beldeine, elle continua à se concentrer sur son tissage.

Au fil des ans, elle s’était passionnée pour bien des choses, toutes n’étant pas très bien vues par la tour. Parmi les « irrégulières » qui désiraient se faire former à la tour, on comptait de véritables Naturelles, qui avaient vraiment commencé à s’initier toutes seules, et des filles qui venaient de toucher la Source pour la première fois parce que l’étincelle dont elles étaient porteuses dès la naissance s’était activée. Pour certaines sœurs, cette différence ne comptait pas. Il en allait autrement pour Verin, mais l’essentiel n’était pas là. Toutes ces femmes, ou presque, avaient avant d’arriver à la tour inventé un « truc » bien à elles. Et ces « trucs », presque immanquablement, se rangeaient dans deux grandes catégories : écouter les conversations des gens ou les forcer à agir contre leur volonté.

La tour ne s’inquiétait guère de la première catégorie. Même une vraie Naturelle, assez avancée dans son autoformation, ne mettait pas longtemps à assimiler qu’il n’était pas question pour elle, tant qu’elle porterait une robe blanche de novice, de s’unir au saidar en l’absence d’une Aes Sedai ou d’une Acceptée pour la surveiller. Une règle qui décourageait radicalement les aspirantes espionnes.

L’autre « truc », en revanche, ressemblait bien trop à la coercition, en principe strictement proscrite. Bien entendu, c’était seulement le moyen, pour une fille, de forcer son père à lui acheter une robe ou des colifichets qu’il ne jugeait pas « convenables ». Ou une façon de contraindre sa mère à approuver ses fréquentations masculines… Bref, des petites choses dans ce genre. Pourtant, la tour traquait et éliminait impitoyablement cette aptitude. Beaucoup de jeunes filles et de femmes que Verin avait interrogées n’étaient plus en mesure de modeler les tissages – et encore moins de les utiliser –, la majorité ne se rappelant même plus comment on devait s’y prendre pour tisser cette configuration particulière.