Выбрать главу

Onze heures sonnèrent à l’horloge du Palais, toute rumeur cessa à l’instant même. Cent mille personnes comptaient l’heure qui sonnait et à laquelle répondaient les battements de leur cœur.

Puis la vibration de la dernière heure éteinte dans l’espace, il se fit un grand bruit derrière les portes, en même temps qu’une charrette, venant du côté du quai aux Fleurs, fendait la foule du peuple, puis les gardes, et venait se placer au bas des degrés.

Bientôt la reine apparut au haut de l’immense perron. Toutes les passions se concentrèrent dans les yeux; les respirations demeurèrent haletantes et suspendues.

Ses cheveux étaient coupés courts, la plupart avaient blanchi pendant sa captivité, et cette nuance argentée rendait plus délicate encore la pâleur nacrée qui faisait presque céleste, en ce moment suprême, la beauté de la fille des Césars.

Elle était vêtue d’une robe blanche, et ses mains étaient liées derrière son dos.

Lorsqu’elle se montra en haut des marches ayant à sa droite l’abbé Girard, qui l’accompagnait malgré elle, et à sa gauche l’exécuteur, tous deux vêtus de noir, ce fut dans toute cette foule un murmure que Dieu seul, qui lit au fond des cœurs, put comprendre et résumer dans une vérité.

Un homme alors passa entre l’exécuteur et Marie-Antoinette.

C’était Grammont. Il passait ainsi pour lui montrer l’ignoble charrette.

La reine recula malgré elle d’un pas.

– Montez, dit Grammont.

Tout le monde entendit ce mot, car l’émotion tenait tout murmure suspendu aux lèvres des spectateurs.

Alors on vit le sang monter aux joues de la reine et gagner la racine de ses cheveux; puis presque aussitôt son visage redevint d’une pâleur mortelle.

Ses lèvres blêmissantes s’entr’ouvrirent.

– Pourquoi une charrette à moi, dit-elle, quand le roi a été à l’échafaud dans sa voiture?

L’abbé Girard lui dit alors tout bas quelques mots. Sans doute il combattait chez la condamnée ce dernier cri de l’orgueil royal.

La reine se tut et chancela.

Sanson avança les deux bras pour la soutenir: mais elle se redressa avant même qu’il l’eût touchée.

Elle descendit les escaliers, tandis que l’aide affermissait un marchepied de bois derrière la charrette.

La reine y monta, l’abbé monta derrière elle.

Sanson les fit asseoir tous deux.

Lorsque la charrette commença à s’ébranler, il se fit un grand mouvement dans le peuple. Mais, en même temps, comme les soldats ignoraient dans quelle intention était accompli le mouvement, ils réunirent tous leurs efforts pour repousser la foule; il se fit, en conséquence, un grand espace vide entre la charrette et les premiers rangs.

Dans cet espace retentit un hurlement lugubre.

La reine tressaillit et se leva tout debout, regardant autour d’elle.

Elle vit alors son chien, perdu depuis deux mois; son chien, qui n’avait pu pénétrer avec elle dans la Conciergerie, qui, malgré les cris, les coups, les bourrades, s’élançait vers la charrette; mais presque aussitôt le pauvre Black, exténué, maigre, brisé, disparut sous les pieds des chevaux.

La reine le suivit des yeux; elle ne pouvait parler, car sa voix était couverte par le bruit; elle ne pouvait le montrer du doigt, car ses mains étaient liées; d’ailleurs, eût-elle pu le montrer, eût-on pu l’entendre, elle l’eût sans doute demandé inutilement.

Mais, après l’avoir perdu un instant des yeux, elle le revit.

Il était au bras d’un pâle jeune homme qui dominait la foule, debout sur un canon, et qui, grandi par une exaltation indicible, la saluait en lui montrant le ciel.

Marie-Antoinette aussi regarda le ciel et sourit doucement.

Le chevalier de Maison-Rouge poussa un gémissement, comme si ce sourire lui avait fait une blessure au cœur, et, comme la charrette tournait vers le pont au Change, il retomba dans la foule et disparut.

XLIX L’échafaud

Sur la place de la Révolution, adossés à un réverbère, deux hommes attendaient.

Ce qu’ils attendaient avec la foule, dont une partie s’était portée à la place du Palais, dont une autre partie s’était portée à la place de la Révolution, dont le reste s’était répandu, tumultueuse et pressée, sur tout le chemin qui séparait ces deux places, c’est que la reine arrivât jusqu’à l’instrument du supplice, qui, usé par la pluie et le soleil, usé par la main du bourreau, usé, chose horrible! par le contact des victimes, dominait avec une fierté sinistre toutes ces têtes subjacentes, comme une reine domine son peuple.

Ces deux hommes, aux bras entrelacés, aux lèvres pâles, aux sourcils froncés, parlant bas et par saccades, c’étaient Lorin et Maurice.

Perdus parmi les spectateurs, et cependant de manière à faire envie à tous, ils continuaient à voix basse une conversation qui n’était pas la moins intéressante de toutes ces conversations serpentant dans les groupes qui, pareils à une chaîne électrique, s’agitaient, mer vivante, depuis le pont au Change jusqu’au pont de la Révolution.

L’idée que nous avons exprimée à propos de l’échafaud dominant toutes les têtes les avait frappés tous deux.

– Vois, disait Maurice, comme le monstre hideux lève ses bras rouges; ne dirait-on pas qu’il nous appelle et qu’il sourit par son guichet comme par une bouche effroyable?

– Ah! ma foi, dit Lorin, je ne suis pas, je l’avoue, de cette école de poésie qui voit tout en rouge. Je les vois en rose, moi, et, au pied de cette hideuse machine, je chanterais et j’espérerais encore. Dum spiro, spero.

– Tu espères quand on tue les femmes?

– Ah! Maurice, dit Lorin, fils de la Révolution, ne renie pas ta mère. Ah! Maurice, demeure un bon et loyal patriote. Maurice, celle qui va mourir, ce n’est pas une femme comme toutes les autres femmes; celle qui va mourir, c’est le mauvais génie de la France.

– Oh! ce n’est pas elle que je regrette; ce n’est pas elle que je pleure! s’écria Maurice.

– Oui, je comprends, c’est Geneviève.

– Ah! dit Maurice, vois-tu, il y a une pensée qui me rend fou: c’est que Geneviève est aux mains des pourvoyeurs de guillotine qu’on appelle Hébert et Fouquier-Tinville; aux mains des hommes qui ont envoyé ici la pauvre Héloïse et qui y envoient la fière Marie-Antoinette.

– Eh bien, dit Lorin, voilà justement ce qui fait que j’espère, moi: quand la colère du peuple aura fait ce large repas de deux tyrans, elle sera rassasiée, pour quelque temps du moins, comme le boa qui met trois mois à digérer ce qu’il dévore. Alors elle n’engloutira plus personne, et, comme disent les prophètes du faubourg, alors les plus petits morceaux lui feront peur.

– Lorin, Lorin, dit Maurice, moi, je suis plus positif que toi, et je te le dis tout bas, prêt à te le répéter tout haut: Lorin, je hais la reine nouvelle, celle qui me paraît destinée à succéder à l’Autrichienne qu’elle va détruire. C’est une triste reine que celle dont la pourpre est faite d’un sang quotidien, et qui a Sanson pour premier ministre.

– Bah! nous lui échapperons!