– Je croyais que le premier voleur, c’était vous.
– Allons, pas d’esprit, monsieur, je ne vous ai jamais connu; pas de mots, je vous sais plus fort sur l’action que sur la parole, témoin le jour où vous avez voulu m’assassiner: ce jour-là, le naturel parlait.
– Et je me suis fait plus d’une fois le reproche de ne l’avoir point écouté, répondit tranquillement Dixmer.
– Eh bien, dit Maurice en frappant sur son sabre, je vous offre une revanche.
– Demain, si vous voulez, pas aujourd’hui.
– Pourquoi demain?
– Ou ce soir.
– Pourquoi pas tout de suite?
– Parce que j’ai affaire jusqu’à cinq heures.
– Encore quelque hideux projet, dit Maurice; encore quelque guet-apens.
– Ah çà! monsieur Maurice, reprit Dixmer, vous êtes bien peu reconnaissant, en vérité. Comment! pendant six mois, je vous ai laissé filer le parfait amour avec ma femme; pendant six mois, j’ai respecté vos rendez-vous, laissé passer vos sourires. Jamais homme, convenez-en, n’a été si peu tigre que moi.
– C’est-à-dire que tu croyais que je pouvais t’être utile, et que tu me ménageais.
– Sans doute! répondit avec calme Dixmer, qui se dominait autant que s’emportait Maurice. Sans doute! tandis que vous trahissiez votre république et que vous me la vendiez pour un regard de ma femme; pendant que vous vous déshonoriez, vous par votre trahison, elle par son adultère, j’étais, moi, le sage et le héros. J’attendais et je triomphais.
– Horreur! dit Maurice.
– Oui! n’est-ce pas? vous appréciez votre conduite, monsieur. Elle est horrible! elle est infâme!
– Vous vous trompez, monsieur; la conduite que j’appelle horrible et infâme, c’est celle de l’homme à qui l’honneur d’une femme avait été confié, qui avait juré de garder cet honneur pur et intact, et qui, au lieu de tenir son serment, a fait de sa beauté l’amorce honteuse où il a pris le faible cœur. Vous aviez, avant toute chose, pour devoir sacré de protéger cette femme, monsieur, et, au lieu de la protéger, vous l’avez vendue.
– Ce que j’avais à faire, monsieur, répondit Dixmer, je vais vous le dire; j’avais à sauver mon ami, qui soutenait avec moi une cause sacrée. De même que j’ai sacrifié mes biens à cette cause, je lui ai sacrifié mon honneur. Quant à moi, je me suis complètement oublié, complètement effacé. Je n’ai songé à moi qu’en dernier lieu. Maintenant, plus d’ami: mon ami est mort poignardé; maintenant, plus de reine: ma reine est morte sur l’échafaud; maintenant, eh bien, maintenant, je songe à ma vengeance.
– Dites à votre assassinat.
– On n’assassine pas une adultère en la frappant, on la punit.
– Cet adultère, vous le lui avez imposé, donc il était légitime.
– Vous croyez? fit Dixmer avec un sombre sourire. Demandez à ses remords si elle croit avoir agi légitimement.
– Celui qui punit frappe au jour; toi, tu ne punis pas, puisqu’en jetant sa tête à la guillotine, tu te caches.
– Moi, je fuis! moi, je me cache! et où vois-tu cela, pauvre cervelle que tu es? demanda Dixmer. Est-ce se cacher que d’assister à sa condamnation? Est-ce fuir que d’aller jusque dans la salle des Morts lui jeter son dernier adieu?
– Tu vas la revoir? s’écria Maurice, tu vas lui dire adieu?
– Allons, répondit Dixmer en haussant les épaules, décidément tu n’es pas expert en vengeance, citoyen Maurice. Ainsi, à ma place, tu serais satisfait en abandonnant les événements à leur seule force, les circonstances à leur seul entraînement; ainsi, par exemple, la femme adultère ayant mérité la mort, du moment où je la punis de mort, je suis quitte envers elle, ou plutôt elle est quitte envers moi. Non, citoyen Maurice, j’ai trouvé mieux que cela, moi: j’ai trouvé un moyen de rendre à cette femme tout le mal qu’elle m’a fait. Elle t’aime, elle va mourir loin de toi; elle me déteste, elle va me revoir. Tiens, ajouta-t-il en tirant un portefeuille de sa poche, vois-tu ce portefeuille? Il renferme une carte signée du greffier du Palais. Avec cette carte, je puis pénétrer près des condamnés; eh bien, je pénétrerai près de Geneviève et je l’appellerai adultère; je verrai tomber ses cheveux sous la main du bourreau, et, tandis que ses cheveux tomberont, elle entendra ma voix qui répétera: «Adultère!» Je l’accompagnerai jusqu’à la charrette, et, quand elle posera le pied sur l’échafaud, le dernier mot qu’elle entendra sera le mot adultère.
– Prends garde! elle n’aura pas la force de supporter tant de lâchetés, et elle te dénoncera.
– Non! dit Dixmer, elle me hait trop pour cela; si elle avait dû me dénoncer, elle m’eût dénoncé quand ton ami lui en donnait le conseil tout bas: puisqu’elle ne m’a pas dénoncé pour sauver sa vie, elle ne me dénoncera point pour mourir avec moi; car elle sait bien que, si elle me dénonçait, je ferais retarder son supplice d’un jour; elle sait bien que, si elle me dénonçait, j’irais avec elle, non seulement jusqu’au bas des degrés du Palais, mais encore jusqu’à l’échafaud; car elle sait bien qu’au lieu de l’abandonner au pied de l’escabeau, je monterais avec elle dans la charrette; car elle sait bien que, tout le long du chemin, je lui répéterais ce mot terrible: adultère; que, sur l’échafaud, je le lui répéterais toujours, et qu’au moment où elle tomberait dans l’éternité, l’accusation y tomberait avec elle.
Dixmer était effrayant de colère et de haine; sa main avait saisi la main de Maurice; il la secouait avec une force inconnue au jeune homme, sur lequel un effet contraire s’opérait. À mesure que s’exaltait Dixmer, Maurice se calmait.
– Écoute, dit le jeune homme, à cette vengeance il manque une chose.
– Laquelle?
– C’est que tu puisses lui dire: «En sortant du tribunal, j’ai rencontré ton amant et je l’ai tué.»
– Au contraire, j’aime mieux lui dire que tu vis, et que, tout le reste de ta vie, tu souffriras du spectacle de sa mort.
– Tu me tueras cependant, dit Maurice; ou, ajouta-t-il en regardant autour de lui et en se voyant à peu près maître de la position, c’est moi qui te tuerai.
Et, pâle d’émotion, exalté par la colère, sentant sa force doublée de la contrainte qu’il s’était imposée pour entendre Dixmer dérouler jusqu’au bout son terrible projet, il le saisit à la gorge et l’attira à lui tout en marchant à reculons vers un escalier qui conduisait à la berge de la rivière.
Au contact de cette main, Dixmer à son tour sentit la haine monter en lui comme une lave.
– C’est bien, dit-il, tu n’as pas besoin de me traîner de force, j’irai.
– Viens donc, tu es armé.
– Je te suis.
– Non, précède-moi; mais, je t’en préviens, au moindre signe, au moindre geste, je te fends la tête d’un coup de sabre.
– Oh! tu sais bien que je n’ai pas peur, dit Dixmer avec ce sourire que la pâleur de ses lèvres rendait si effrayant.
– Peur de mon sabre, non, murmura Maurice, mais peur de perdre ta vengeance. Et cependant, ajouta-t-il, maintenant que nous voilà face à face, tu peux lui dire adieu.
En effet, ils étaient arrivés au bord de l’eau, et, si le regard pouvait encore les suivre où ils étaient, nul ne pouvait arriver assez à temps pour empêcher le duel d’avoir lieu.