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Et Santerre passa aux autres détails.

À quelques pas du général, au moment où il prononçait ces paroles, un capitaine de chasseurs et un soldat se tenaient à l’écart: l’un appuyé sur son fusil, l’autre assis sur un canon.

– Avez-vous entendu? dit à demi-voix le capitaine au soldat; Maurice n’est point encore arrivé.

– Oui, mais il arrivera, soyez tranquille, à moins qu’il ne soit d’émeute.

– S’il pouvait ne pas venir, dit le capitaine, je vous placerais en sentinelle sur l’escalier, et, comme elle montera probablement à la tour, vous pourriez lui dire un mot.

En ce moment, un homme, qu’on reconnut pour un municipal à son écharpe tricolore, entra; seulement, cet homme était inconnu du capitaine et du chasseur, aussi leurs yeux se fixèrent-ils sur lui.

– Citoyen général, dit le nouveau venu en s’adressant à Santerre, je te prie de m’accepter en place du citoyen Maurice Lindey, qui est malade; voici le certificat du médecin; mon tour de garde arrivait dans huit jours, je permute avec lui; dans huit jours, il fera mon service, comme je vais faire aujourd’hui le sien.

– Si, toutefois, les Capet et les Capettes vivent encore huit jours, dit un des municipaux.

Santerre répondit par un petit sourire à la plaisanterie de ce zélé; puis, se tournant vers le mandataire de Maurice:

– C’est bien, dit-il, va signer sur le registre à la place de Maurice Lindey, et consigne, à la colonne des observations, les causes de cette mutation.

Cependant le capitaine et le chasseur s’étaient regardés avec une surprise joyeuse.

– Dans huit jours, se dirent-ils.

– Capitaine Dixmer, cria Santerre, prenez position dans le jardin avec votre compagnie.

– Venez, Morand, dit le capitaine au chasseur, son compagnon.

Le tambour retentit, et la compagnie, conduite par le maître tanneur, s’éloigna dans la direction prescrite.

On mit les armes en faisceaux, et la compagnie se sépara par groupes, qui commencèrent à se promener en long et en large, selon leur fantaisie.

Le lieu de leur promenade était le jardin même, où, du temps de Louis XVI, la famille royale venait, quelquefois, prendre l’air. Ce jardin était nu, aride, désolé, complètement dépouillé de fleurs, d’arbres et de verdure.

À vingt-cinq pas, à peu près, de la portion du mur qui donnait sur la rue Porte-Foin, s’élevait une espèce de cahute, que la prévoyance de la municipalité avait permis d’établir, pour la plus grande commodité des gardes nationaux qui stationnaient au Temple, et qui trouvaient là, dans les jours d’émeute, où il était défendu de sortir, à boire et à manger. La direction de cette petite guinguette intérieure avait été fort ambitionnée ; enfin, la concession en avait été faite à une excellente patriote, veuve d’un faubourien tué au 10 août, et qui répondait au nom de femme Plumeau.

Cette petite cabane, bâtie en planches et en torchis, était située au milieu d’une plate-bande, dont on reconnaissait encore les limites à une haie naine en buis. Elle se composait d’une seule chambre d’une douzaine de pieds carrés, au-dessous de laquelle s’étendait une cave, où on descendait par des escaliers grossièrement taillés dans la terre même. C’était là que la veuve Plumeau enfermait ses liquides et ses comestibles, sur lesquels elle et sa fille, enfant de douze à quinze ans, veillaient à tour de rôle.

À peine installés à leur biv ac, les gardes nationaux se mirent donc, comme nous l’avons dit, les uns à se promener dans le jardin, les autres à causer avec les concierges; ceux-ci à regarder les dessins tracés sur la muraille, et qui représentaient tous quelque dessin patriotique, tel que le roi pendu, avec cette inscription: «M. Veto prenant un bain d’air», – ou le roi guillotiné, avec cette autre: «M. Veto crachant dans le sac»; ceux-là à faire des ouvertures à madame Plumeau sur les desseins gastronomiques que leur suggérait leur plus ou moins d’appétit.

Au nombre de ces derniers étaient le capitaine et le chasseur que nous avons déjà remarqués.

– Ah! capitaine Dixmer, dit la cantinière, j’ai du fameux vin de Saumur, allez!

– Bon, citoyenne Plumeau; mais le vin de Saumur, à mon avis du moins, ne vaut rien sans le fromage de Brie, répondit le capitaine, qui, avant d’émettre ce système, avait regardé avec soin autour de lui et avait remarqué parmi les différents comestibles, qu’étalaient orgueilleusement les rayons de la cantine, l’absence de ce comestible apprécié par lui.

– Ah! mon capitaine, c’est comme un fait exprès, mais le dernier morceau vient d’être enlevé.

– Alors, dit le capitaine, pas de fromage de Brie, pas de vin de Saumur; et remarque, citoyenne, que la consommation en valait la peine, attendu que je comptais en offrir à toute la compagnie.

– Mon capitaine, je te demande cinq minutes et je cours en chercher chez le citoyen concierge qui me fait concurrence, et qui en a toujours; je le payerai plus cher, mais tu es trop bon patriote pour ne pas m’en dédommager.

– Oui, oui, va, répondit Dixmer, et nous, pendant ce temps, nous allons descendre à la cave et choisir nous-mêmes notre vin.

– Fais comme chez toi, capitaine, fais.

Et la veuve Plumeau se mit à courir de toutes ses forces vers la loge du concierge, tandis que le capitaine et le chasseur, munis d’une chandelle, soulevaient la trappe et descendaient dans la cave.

– Bon! dit Morand après un instant d’examen, la cave s’avance dans la direction de la rue Porte-Foin. Elle est profonde de neuf à dix pieds, et il n’y a aucune maçonnerie.

– Quelle est la nature du sol? demanda Dixmer.

– Tuf crayeux. Ce sont des terres rapportées; tous ces jardins ont été bouleversés à plusieurs reprises, il n’y a de roche nulle part.

– Vite, s’écria Dixmer, j’entends les sabots de notre vivandière; prenez deux bouteilles de vin et remontons.

Ils apparaissaient tous deux à l’orifice de la trappe, quand la Plumeau rentra, portant le fameux fromage de Brie demandé avec tant d’insistance.

Derrière elle venaient plusieurs chasseurs, alléchés par la bonne apparence du susdit fromage.

Dixmer fit les honneurs: il offrit une vingtaine de bouteilles de vin à sa compagnie, tandis que le citoyen Morand racontait le dévouement de Curtius, le désintéressement de Fabricius et le patriotisme de Brutus et de Cassius, toutes histoires qui furent presque autant appréciées que le fromage de Brie et le vin d’Anjou offerts par Dixmer, ce qui n’est pas peu dire.

Onze heures sonnèrent. C’était à onze heures et demie qu’on relevait les sentinelles.

– N’est-ce point d’ordinaire de midi à une heure que l’Autrichienne se promène? demanda Dixmer à Tison, qui passait devant la cabane.

– De midi à une heure, justement.

Et il se mit à chanter:

Madame monte à sa tour…

Mironton, tonton, mirontaine.

Cette nouvelle facétie fut accueillie par les rires universels des gardes nationaux.

Aussitôt Dixmer fit l’appel des hommes de sa compagnie qui devaient monter leur garde de onze heures et demie à une heure et demie, recommanda de hâter le déjeuner et fit prendre les armes à Morand pour le placer, comme il était convenu, au dernier étage de la tour, dans cette même guérite derrière laquelle Maurice s’était caché, le jour où il avait intercepté les signes qui avaient été faits à la reine, d’une fenêtre de la rue Porte-Foin.