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– Geneviève, dit Dixmer, pour ce que nous attendions de Maurice, il faudrait plus que de la politesse, et ce n’était point trop d’une amitié réelle et profonde. Cette amitié est brisée; il n’y a donc plus d’espoir de ce côté-là.

Et Dixmer poussa un profond soupir, tandis que son front, d’ordinaire si calme, se plissait tristement.

– Mais, dit timidement Geneviève, si vous croyez M. Maurice si nécessaire à vos projets…

– C’est-à-dire, répondit Dixmer, que je désespère de les voir réussir sans lui.

– Eh bien, alors, pourquoi ne tentez-vous pas une nouvelle démarche auprès du citoyen Lindey?

Il lui semblait qu’en appelant le jeune homme par son nom de famille, l’intonation de sa voix était moins tendre que lorsqu’elle l’appelait par son nom de baptême.

– Non, répondit Dixmer en secouant la tête, non, j’ai fait tout ce que je pouvais faire: une nouvelle démarche semblerait singulière et éveillerait nécessairement ses soupçons; non, et puis, voyez-vous, Geneviève, je vois plus loin que vous dans toute cette affaire: il y a une plaie au fond du cœur de Maurice.

– Une plaie? demanda Geneviève fort émue. Eh! mon Dieu! que voulez-vous dire? Parlez, mon ami.

– Je veux dire, et vous en êtes convaincue comme moi, Geneviève, qu’il y a dans notre rupture avec le citoyen Lindey plus qu’un caprice.

– Et à quoi donc alors attribuez-vous cette rupture?

– À l’orgueil, peut-être, dit vivement Dixmer.

– À l’orgueil?…

– Oui, il nous faisait honneur, à son avis du moins, ce bon bourgeois de Paris, ce demi-aristocrate de robe, conservant ses susceptibilités sous son patriotisme; il nous faisait honneur, ce républicain tout-puissant dans sa section, dans son club, dans sa municipalité, en accordant son amitié à des fabricants de pelleteries. Peut-être avons-nous fait trop peu d’avances, peut-être nous sommes-nous oubliés.

– Mais, reprit Geneviève, si nous lui avons fait trop peu d’avances, si nous nous sommes oubliés, il me semble que la démarche que vous avez faite rachetait tout cela.

– Oui, en supposant que le tort vînt de moi; mais si, au contraire, le tort venait de vous?

– De moi! Et comment voulez-vous, mon ami, que j’aie eu un tort envers M. Maurice? dit Geneviève étonnée.

– Eh! qui sait, avec un pareil caractère? Ne l’avez-vous pas vous-même, et la première, accusé de caprice? Tenez, j’en reviens à ma première idée, Geneviève, vous avez eu tort de ne pas écrire à Maurice.

– Moi! s’écria Geneviève, y pensez-vous?

– Non seulement j’y pense, dit Dixmer, mais encore, depuis trois semaines que dure cette rupture, j’y ai beaucoup pensé.

– Et…? demanda timidement Geneviève.

– Et je regarde cette démarche comme indispensable.

– Oh! s’écria Geneviève, non, non, Dixmer, n’exigez point cela de moi.

– Vous savez, Geneviève, que je n’exige jamais rien de vous; je vous prie seulement. Eh bien, entendez-vous? je vous prie d’écrire au citoyen Maurice.

– Mais…, fit Geneviève.

– Écoutez, reprit Dixmer en l’interrompant: ou il y a entre vous et Maurice de graves sujets de querelle, car, quant à moi, il ne s’est jamais plaint de mes procédés, ou votre brouille avec lui résulte de quelque enfantillage.

Geneviève ne répondit point.

– Si cette brouille est causée par un enfantillage, ce serait folie à vous de l’éterniser; si elle a pour cause un motif sérieux, au point où nous en sommes, nous ne devons plus, comprenez bien cela, compter avec notre dignité, ni même avec notre amour-propre. Ne mettons donc point en balance, croyez-moi, une querelle de jeunes gens avec d’immenses intérêts. Faites un effort sur vous-même, écrivez un mot au citoyen Maurice Lindey et il reviendra.

Geneviève réfléchit un instant.

– Mais, dit-elle, ne saurait-on trouver un moyen, moins compromettant, de ramener la bonne intelligence entre vous et M. Maurice?

– Compromettant, dites-vous? Mais, au contraire, c’est un moyen tout naturel, ce me semble.

– Non, pas pour moi, mon ami.

– Vous êtes bien opiniâtre, Geneviève.

– Accordez-moi de dire que c’est la première fois, au moins, que vous vous en apercevez.

Dixmer, qui froissait son mouchoir entre ses mains, depuis quelques instants, essuya son front couvert de sueur.

– Oui, dit-il, et c’est pour cela que mon étonnement s’en augmente.

– Mon Dieu! dit Geneviève, est-il possible, Dixmer, que vous ne compreniez point les causes de ma résistance et que vous vouliez me forcer à parler?

Et elle laissa, faible et comme poussée à bout, tomber sa tête sur sa poitrine, et ses bras à ses côtés.

Dixmer parut faire un violent effort sur lui-même, prit la main de Geneviève, la força de relever la tête, et, la regardant entre les yeux, se mit à rire avec un éclat qui eût paru bien forcé à Geneviève si elle-même eût été moins agitée en ce moment.

– Je vois ce que c’est, dit-il; en vérité, vous avez raison. J’étais aveugle. Avec tout votre esprit, ma chère Geneviève, avec toute votre distinction, vous vous êtes laissé prendre à une banalité, vous avez eu peur que Maurice ne devînt amoureux de vous.

Geneviève sentit comme un froid mortel pénétrer jusqu’à son cœur. Cette ironie de son mari, à propos de l’amour que Maurice avait pour elle, amour dont, d’après la connaissance qu’elle avait du caractère du jeune homme, elle pouvait estimer toute la violence, amour enfin que, sans se l’avouer autrement que par de sourds remords, elle partageait elle-même au fond du cœur, cette ironie la pétrifia. Elle n’eut point la force de regarder. Elle sentit qu’il lui serait impossible de répondre.

– J’ai deviné, n’est-ce pas? reprit Dixmer. Eh bien, rassurez-vous, Geneviève, je connais Maurice; c’est un farouche républicain qui n’a point dans le cœur d’autre amour que l’amour de la patrie.

– Monsieur, s’écria Geneviève, êtes-vous bien sûr de ce que vous dites?

– Eh! sans doute, reprit Dixmer; si Maurice vous aimait, au lieu de se brouiller avec moi, il eût redoublé de soins et de prévenances pour celui qu’il avait intérêt à tromper. Si Maurice vous aimait, il n’eût point si facilement renoncé à ce titre d’ami de la maison, à l’aide duquel, d’ordinaire, on couvre ces sortes de trahisons.

– En honneur, s’écria Geneviève, ne plaisantez point, je vous prie, sur de pareilles choses!

– Je ne plaisante point, madame; je vous dis que Maurice ne vous aime pas, voilà tout.

– Et moi, moi, s’écria Geneviève en rougissant, moi, je vous dis que vous vous trompez.

– En ce cas, reprit Dixmer, Maurice, qui a eu la force de s’éloigner plutôt que de tromper la confiance de son hôte, est un honnête homme; or, les honnêtes gens sont rares, Geneviève, et l’on ne peut trop faire pour les ramener à soi quand ils se sont écartés. Geneviève, vous écrirez à Maurice, n’est-ce pas?

– Oh! mon Dieu! dit la jeune femme.

Et elle laissa tomber sa tête entre ses deux mains; car celui sur lequel elle comptait s’appuyer au moment du danger lui manquait tout à coup et la précipitait au lieu de la retenir.