» Oh! je défie qui que ce soit de dire qu’un seul cri soit parti de ma compagnie. C’est encore moi qui avais écrit de ma main le premier des dix mille écriteaux qui furent affichés dans Paris, lorsque le roi revint de Varennes: «Quiconque saluera le roi sera battu; quiconque l’insultera sera pendu.»
» Eh bien, continua Maurice sans remarquer le terrible effet que ses paroles produisaient dans l’assemblée, eh bien, j’ai donc prouvé que je suis un bon et franc patriote, que je déteste les rois et leurs partisans. Eh bien, je le déclare, malgré mes opinions, qui ne sont rien autre chose que des convictions profondes, malgré la certitude que j’ai que l’Autrichienne est, pour sa bonne part, dans les malheurs qui désolent la France, jamais, jamais un homme, quel qu’il soit, fût-ce Santerre lui-même, n’insultera l’ex-reine en ma présence.
– Citoyen, interrompit Dixmer, secouant la tête en homme qui désapprouve une telle hardiesse, savez-vous qu’il faut que vous soyez bien sûr de nous pour dire de pareilles choses devant nous?
– Devant vous, comme devant tous, Dixmer; et j’ajouterai: elle périra peut-être sur l’échafaud de son mari, mais je ne suis pas de ceux à qui une femme fait peur, et je respecterai toujours tout ce qui est plus faible que moi.
– Et la reine, demanda timidement Geneviève, vous a-t-elle témoigné parfois, monsieur Maurice, qu’elle fût sensible à cette délicatesse, à laquelle elle est loin d’être accoutumée?
– La prisonnière m’a remercié plusieurs fois de mes égards pour elle, madame.
– Alors, elle doit voir revenir votre tour de garde avec plaisir?
– Je le crois, répondit Maurice.
– Alors, dit Morand tremblant comme une femme, puisque vous avouez ce que personne n’avoue plus maintenant, c’est-à-dire un cœur généreux, vous ne persécutez pas non plus les enfants?
– Moi? dit Maurice. Demandez à l’infâme Simon ce que pèse le bras du municipal devant lequel il a eu l’audace de battre le petit Capet.
Cette réponse produisit un mouvement spontané à la table de Dixmer, tous les convives se levèrent respectueusement.
Maurice seul était resté assis et ne se doutait pas qu’il causait cet élan d’admiration.
– Eh bien, qu’y a-t-il donc? demanda-t-il avec étonnement.
– J’avais cru qu’on avait appelé de l’atelier, répondit Dixmer.
– Non, non, dit Geneviève. Je l’avais cru d’abord aussi; mais nous nous sommes trompés.
Et chacun reprit sa place.
– Ah! c’est donc vous, citoyen Maurice, dit Morand d’une voix tremblante, qui êtes le municipal dont on a tant parlé, et qui a si noblement défendu un enfant?
– On en a parlé? dit Maurice avec une naïveté presque sublime.
– Oh! voilà un noble cœur, dit Morand en se levant de table, pour ne point éclater, et en se retirant dans l’atelier, comme si un travail pressé le réclamait.
– Oui, citoyen, répondit Dixmer, oui, on en a parlé; et l’on doit dire que tous les gens de cœur et de courage vous ont loué sans vous connaître.
– Et laissons-le inconnu, dit Geneviève; la gloire que nous lui donnerions serait une gloire trop dangereuse.
Ainsi, dans cette conversation singulière, chacun, sans le savoir, avait placé son mot d’héroïsme, de dévouement et de sensibilité.
Il y avait eu jusqu’au cri de l’amour.
XVII Les mineurs
Au moment où l’on sortait de table, Dixmer fut prévenu que son notaire l’attendait dans son cabinet; il s’excusa près de Maurice, qu’il avait d’ailleurs l’habitude de quitter ainsi, et se rendit où l’attendait son tabellion.
Il s’agissait de l’achat d’une petite maison rue de la Corderie, en face du jardin du Temple. C’était plutôt, du reste, un emplacement qu’une maison qu’achetait Dixmer, car la bâtisse actuelle tombait en ruine; mais il avait l’intention de la faire relever.
Aussi le marché n’avait-il point traîné avec le propriétaire; le matin même, le notaire l’avait vu et était tombé d’accord à dix-neuf mille cinq cents livres. Il venait faire signer le contrat et toucher la somme en échange de cette bâtisse; le propriétaire devait complètement débarrasser, dans la journée même, la maison, où les ouvriers devaient être mis le lendemain.
Le contrat signé, Dixmer et Morand se rendirent avec le notaire rue de la Corderie, pour voir à l’instant même la nouvelle acquisition, car elle était achetée sauf visite.
C’était une maison située à peu près où est aujourd’hui le numéro 20, s’élevant à une hauteur de trois étages, et surmontée d’une mansarde. Le bas avait été loué autrefois à un marchand de vin, et possédait des caves magnifiques.
Le propriétaire vanta surtout les caves; c’était la partie remarquable de la maison. Dixmer et Morand parurent attacher un médiocre intérêt à ces caves, et cependant tous deux, comme par complaisance, descendirent dans ce que le propriétaire appelait ses souterrains.
Contre l’habitude des propriétaires, celui-là n’avait point menti; les caves étaient superbes: l’une d’elles s’étendait jusque sous la rue de la Corderie, et l’on entendait de cette cave rouler les voitures au-dessus de la tête.
Dixmer et Morand parurent médiocrement apprécier cet avantage, et parlèrent même de faire combler les caveaux, qui, excellents pour un marchand de vin, devenaient inutiles à de bons bourgeois qui comptaient occuper toute la maison.
Après les caves, on visita le premier, puis le second, puis le troisième: du troisième, on plongeait complètement dans le jardin du Temple; il était, comme d’habitude, envahi par la garde nationale, qui en avait la jouissance depuis que la reine ne s’y promenait plus.
Dixmer et Morand reconnurent leur amie, la veuve Plumeau, faisant, avec son activité ordinaire, les honneurs de sa cantine. Mais, sans doute, leur désir d’être à leur tour reconnus par elle n’était pas grand, car ils se tinrent cachés derrière le propriétaire, qui leur faisait remarquer les avantages de cette vue aussi variée qu’agréable.
L’acquéreur demanda alors à voir les mansardes.
Le propriétaire ne s’était sans doute pas attendu à cette exigence, car il n’avait pas la clef; mais, attendri par la liasse d’assignats qu’on lui avait montrée, il descendit aussitôt la chercher.
– Je ne m’étais pas trompé, dit Morand, et cette maison fait à merveille notre affaire.
– Et la cave, qu’en dites-vous?
– Que c’est un secours de la Providence, qui nous épargnera deux jours de travail.
– Croyez-vous qu’elle soit dans la direction de la cantine?
– Elle incline un peu à gauche, mais n’importe.
– Mais, demanda Dixmer, comment pourrez-vous suivre votre ligne souterraine avec certitude d’aboutir où vous voulez?
– Soyez tranquille, cher ami, cela me regarde.
– Si nous donnions toujours d’ici le signal que nous veillons?
– Mais, de la plate-forme, la reine ne pourrait point le voir; car les mansardes seules, je crois, sont à la hauteur de la plate-forme, et encore j’en doute.
– N’importe, dit Dixmer; ou Toulan, ou Mauny peuvent le voir d’une ouverture quelconque, et ils préviendront Sa Majesté.