Выбрать главу

À la manière dont il était parti, Geneviève désespéra presque de le voir.

En effet, midi sonna sans qu’on aperçût Maurice; puis midi et demi, puis une heure.

Il serait impossible d’exprimer ce qui se passait, pendant cette attente, dans le cœur de Geneviève.

Elle s’était d’abord habillée le plus simplement possible; puis, voyant qu’il tardait à venir, par ce sentiment de coquetterie naturelle au cœur de la femme, elle avait mis une fleur à son côté, une fleur dans ses cheveux, et elle avait attendu encore en sentant son cœur se serrer de plus en plus. On en était arrivé ainsi presque au moment de se mettre à table, et Maurice ne paraissait pas.

À deux heures moins dix minutes, Geneviève entendit le pas du cheval de Maurice, ce pas qu’elle connaissait si bien.

– Oh! le voici, s’écria-t-elle; son orgueil n’a pu lutter contre son amour. Il m’aime! il m’aime!

Maurice sauta à bas de son cheval qu’il remit aux mains du garçon jardinier, mais en lui ordonnant de l’attendre où il était. Geneviève le regardait descendre et vit avec inquiétude que le jardinier ne conduisait point le cheval à l’écurie.

Maurice entra. Il était ce jour-là d’une beauté resplendissante. Le large habit noir carré à grands revers, le gilet blanc, la culotte de peau de chamois dessinant des jambes moulées sur celles de l’Apollon; le col de batiste blanche et ses beaux cheveux, découvrant un front large et poli, en faisaient un type d’élégante et vigoureuse nature.

Il entra.

Comme nous l’avons dit, sa présence dilatait le cœur de Geneviève; elle l’accueillit radieuse.

– Ah! vous voilà, dit-elle en lui tendant la main; vous dînez avec nous, n’est-ce pas?

– Au contraire, citoyenne, dit Maurice d’un ton froid, je venais vous demander la permission de m’absenter.

– Vous absenter?

– Oui, les affaires de la section me réclament. J’ai craint que vous ne m’attendiez et que vous ne m’accusiez d’impolitesse; voilà pourquoi je suis venu.

Geneviève sentit son cœur, un instant à l’aise, se comprimer de nouveau.

– Oh! mon Dieu! dit-elle, et Dixmer qui ne dîne pas ici, Dixmer qui comptait vous retrouver à son retour et m’avait recommandé de vous retenir ici!

– Ah! alors je comprends votre insistance, madame. Il y avait un ordre de votre mari. Et moi qui ne devinais point cela! En vérité, je ne me corrigerai jamais de mes fatuités.

– Maurice!

– Mais c’est à moi, madame, de m’arrêter à vos actions plutôt qu’à vos paroles; c’est à moi de comprendre que, si Dixmer n’est point ici, raison de plus pour que je n’y reste pas. Son absence serait un surcroît de gêne pour vous.

– Pourquoi cela? demanda timidement Geneviève.

– Parce que, depuis mon retour, vous semblez prendre à tâche de m’éviter; parce que j’étais revenu, pour vous, pour vous seule, vous le savez, mon Dieu! et que, depuis que je suis revenu, j’ai sans cesse trouvé d’autres que vous.

– Allons, dit Geneviève, vous voilà encore fâché, mon ami, et cependant je fais de mon mieux.

– Non pas, Geneviève, vous pouvez mieux faire encore: c’est de me recevoir comme auparavant, ou de me chasser tout à fait.

– Voyons, Maurice, dit tendrement Geneviève, comprenez ma situation, devinez mes angoisses, et ne faites pas davantage le tyran avec moi.

Et la jeune femme s’approcha de lui, et le regarda avec tristesse.

Maurice se tut.

– Mais que voulez-vous donc? continua-t-elle.

– Je veux vous aimer, Geneviève, puisque je sens que maintenant je ne puis vivre sans cet amour.

– Maurice, par pitié!

– Mais alors, madame, s’écria Maurice, il fallait me laisser mourir.

– Mourir?

– Oui, mourir ou oublier.

– Vous pouviez donc oublier, vous? s’écria Geneviève, dont les larmes jaillirent du cœur aux yeux.

– Oh! non, non, murmura Maurice en tombant à genoux, non, Geneviève, mourir peut-être, oublier jamais, jamais!

– Et cependant, reprit Geneviève avec fermeté, ce serait le mieux, Maurice, car cet amour est criminel.

– Avez-vous dit cela à M. Morand? dit Maurice, ramené à lui par cette froideur subite.

– M. Morand n’est point un fou comme vous, Maurice, et je n’ai jamais eu besoin de lui indiquer la manière dont il se devait conduire dans la maison d’un ami.

– Gageons, répondit Maurice en souriant avec ironie, gageons que, si Dixmer dîne dehors, Morand ne s’est pas absenté, lui. Ah! voilà ce qu’il faut m’opposer, Geneviève, pour m’empêcher de vous aimer; car tant que ce Morand sera là, à vos côtés, ne vous quittant pas d’une seconde, continua-t-il avec mépris, oh! non, non, je ne vous aimerai pas, ou, du moins, je ne m’avouerai pas que je vous aime.

– Et moi, s’écria Geneviève poussée à bout par cette éternelle suspicion, en étreignant le bras du jeune homme avec une sorte de frénésie, moi, je vous jure, entendez-vous bien, Maurice, et que cela soit dit une fois pour toutes, que cela soit dit pour n’y plus revenir jamais, je vous jure que Morand ne m’a jamais adressé un seul mot d’amour, que jamais Morand ne m’a aimée, que jamais Morand ne m’aimera; je vous le jure sur mon honneur, je vous le jure sur l’âme de ma mère.

– Hélas! hélas! s’écria Maurice, que je voudrais donc vous croire!

– Oh! croyez-moi, pauvre fou! dit-elle avec un sourire qui, pour tout autre qu’un jaloux, eût été un aveu charmant. Croyez-moi; d’ailleurs, en voulez-vous savoir davantage? Eh bien, Morand aime une femme devant laquelle s’effacent toutes les femmes de la terre, comme les fleurs des champs s’effacent devant les étoiles du ciel.

– Et quelle femme, demanda Maurice, peut donc effacer ainsi les autres femmes, quand au nombre de ces femmes se trouve Geneviève?

– Celle qu’on aime, reprit en souriant Geneviève, n’est-elle pas toujours, dites-moi, le chef-d’œuvre de la création?

– Alors, dit Maurice, si vous ne m’aimez pas, Geneviève…

La jeune femme attendit avec anxiété la fin de la phrase.

– Si vous ne m’aimez pas, continua Maurice, pouvez-vous me jurer au moins de n’en jamais aimer d’autre?

– Oh! pour cela, Maurice, je vous le jure et de grand cœur, s’écria Geneviève, enchantée que Maurice lui offrît lui-même cette transaction avec sa conscience.

Maurice saisit les deux mains que Geneviève élevait au ciel, et les couvrit de baisers ardents.

– Eh bien, à présent, dit-il, je serai bon, facile, confiant; à présent, je serai généreux. Je veux vous sourire, je veux être heureux.

– Et vous n’en demanderez point davantage?

– Je tâcherai.

– Maintenant, dit Geneviève, je pense qu’il est inutile qu’on vous tienne ce cheval en main. La section attendra.

– Oh! Geneviève, je voudrais que le monde tout entier attendît et pouvoir le faire attendre pour vous.

On entendit des pas dans la cour.

– On vient nous annoncer que nous sommes servis, dit Geneviève.

Ils se serrèrent la main furtivement.

C’était Morand qui venait annoncer qu’on n’attendait, pour se mettre à table, que Maurice et Geneviève.