À neuf heures, on arrivait au Temple.
Santerre faisait l’appel des municipaux.
– Me voici, dit Maurice en laissant Geneviève sous la garde de Morand.
– Ah! sois le bienvenu, dit Santerre en tendant la main au jeune homme.
Maurice se garda bien de refuser la main qui lui était offerte. L’amitié de Santerre était certainement une des plus précieuses de l’époque.
En voyant cet homme qui avait commandé le fameux roulement de tambours, Geneviève frissonna et Morand pâlit.
– Qui donc est cette belle citoyenne, demanda Santerre à Maurice, et que vient-elle faire ici?
– C’est la femme du brave citoyen Dixmer; il n’est point que tu n’aies entendu parler de ce brave patriote, citoyen général?
– Oui, oui, reprit Santerre, un chef de tannerie, capitaine aux chasseurs de la légion Victor.
– C’est cela même.
– Bon! bon! elle est ma foi jolie. Et cette espèce de magot qui lui donne le bras?
– C’est le citoyen Morand, l’associé de son mari, chasseur dans la compagnie Dixmer.
Santerre s’approcha de Geneviève.
– Bonjour, citoyenne, dit-il.
Geneviève fit un effort.
– Bonjour, citoyen général, répondit-elle en souriant.
Santerre fut à la fois flatté du sourire et du titre.
– Et que viens-tu faire ici, belle patriote? continua Santerre.
– La citoyenne, reprit Maurice, n’a jamais vu la veuve Capet, et elle voudrait la voir.
– Oui, dit Santerre, avant que…
Et il fit un geste atroce.
– Précisément, répondit froidement Maurice.
– Bien, dit Santerre; tâche seulement qu’on ne la voie pas entrer au donjon; ce serait un mauvais exemple; d’ailleurs, je m’en fie bien à toi.
Santerre serra de nouveau la main de Maurice, fit de la tête un geste amical et protecteur à Geneviève et alla vaquer à ses autres fonctions.
Après bon nombre d’évolutions de grenadiers et de chasseurs, après quelques manœuvres de canon dont on pensait que les sourds retentissements jetaient aux environs une intimidation salutaire, Maurice reprit le bras de Geneviève, et, suivi par Morand, s’avança vers le poste à la porte duquel Lorin s’égosillait, en commandant la manœuvre à son bataillon.
– Bon! s’écria-t-il, voilà Maurice; peste! avec une femme qui me paraît un peu agréable. Est-ce que le sournois voudrait faire concurrence à ma déesse Raison? S’il en était ainsi, pauvre Arthémise!
– Eh bien, citoyen adjudant? dit le capitaine.
– Ah! c’est juste; attention! cria Lorin. Par file à gauche, gauche… Bonjour, Maurice. Pas accéléré… marche!
Les tambours roulèrent; les compagnies allèrent prendre leur poste, et, quand chacune fut au sien, Lorin accourut.
Les premiers compliments s’échangèrent.
Maurice présenta Lorin à Geneviève et à Morand.
Puis les explications commencèrent.
– Oui, oui, je comprends, dit Lorin; tu veux que le citoyen et la citoyenne puissent entrer au donjon: c’est chose facile; je vais faire placer les factionnaires et leur dire qu’ils peuvent te laisser passer avec ta société.
Dix minutes après, Geneviève et Morand entraient à la suite des trois municipaux et prenaient place derrière le vitrage.
XXI L’œillet rouge
La reine venait de se lever seulement. Malade depuis deux ou trois jours, elle restait au lit plus longtemps que d’habitude. Seulement, ayant appris de sa sœur que le soleil s’était levé, magnifique, elle avait fait un effort, et avait, pour faire prendre l’air à sa fille, demandé à se promener sur la terrasse, ce qui lui avait été accordé sans difficulté.
Et puis une autre raison la déterminait. Une fois, une seule, il est vrai, elle avait du haut de la tour aperçu le dauphin dans le jardin. Mais, au premier geste qu’avaient échangé le fils et la mère, Simon était intervenu et avait fait rentrer l’enfant.
N’importe, elle l’avait aperçu, et c’était beaucoup. Il est vrai que le pauvre petit prisonnier était bien pâle et bien changé. Puis il était vêtu, comme un enfant du peuple, d’une carmagnole et d’un gros pantalon. Mais on lui avait laissé ses beaux cheveux blonds bouclés, qui lui faisaient une auréole que Dieu a sans doute voulu que l’enfant martyr gardât au ciel.
Si elle pouvait le revoir une fois encore seulement, quelle fête pour ce cœur de mère!
Puis enfin il y avait encore autre chose.
– Ma sœur, lui avait dit Madame Élisabeth, vous savez que nous avons trouvé dans le corridor un fétu de paille dressé dans l’angle du mur. Dans la langue de nos signaux, cela veut dire de faire attention autour de nous et qu’un ami s’approche.
– C’est vrai, avait répondu la reine, qui, regardant sa sœur et sa fille en pitié, s’encourageait elle-même à ne point désespérer de leur salut.
Les exigences du service étant accomplies, Maurice était alors d’autant plus le maître, dans le donjon du Temple, que le hasard l’avait désigné pour la garde du jour, en faisant des municipaux Agricola et Mercevault les veilleurs de nuit.
Les municipaux sortants étaient partis, après avoir laissé leur procès-verbal au conseil du Temple.
– Eh bien, citoyen municipal, dit la femme Tison en venant saluer Maurice, vous amenez donc de la société pour voir nos pigeons? Il n’y a que moi qui suis condamnée à ne plus voir ma pauvre Sophie.
– Ce sont des amis à moi, dit Maurice, qui n’ont jamais vu la femme Capet.
– Eh bien, ils seront à merveille derrière le vitrage.
– Assurément, dit Morand.
– Seulement, dit Geneviève, nous allons avoir l’air de ces curieux cruels qui viennent, de l’autre côté d’une grille, jouir des tourments d’un prisonnier.
– Eh bien, que ne les avez-vous conduits sur le chemin de la tour, vos amis, puisque la femme Capet s’y promène aujourd’hui avec sa sœur et sa fille; car ils lui ont laissé sa fille, à elle, tandis que moi, qui ne suis pas coupable, ils m’ont ôté la mienne. Oh! les aristocrates! il y aura toujours, quoi qu’on fasse, des faveurs pour eux, citoyen Maurice.
– Mais ils lui ont ôté son fils, répondit celui-ci.
– Ah! si j’avais un fils, murmura la geôlière, je crois que je regretterais moins ma fille.
Geneviève avait pendant ce temps-là échangé quelques regards avec Morand.
– Mon ami, dit la jeune femme à Maurice, la citoyenne a raison. Si vous vouliez, d’une façon quelconque, me placer sur le passage de Marie-Antoinette, cela me répugnerait moins que de la regarder d’ici. Il me semble que cette manière de voir les personnes est humiliante à la fois pour elles et pour nous.
– Bonne Geneviève, dit Maurice, vous avez donc toutes les délicatesses?
– Ah! pardieu! citoyenne, s’écria un des deux collègues de Maurice, qui déjeunait dans l’antichambre avec du pain et des saucisses, si vous étiez prisonnière et que la veuve Capet fût curieuse de vous voir, elle ne ferait pas tant de façons pour se passer cette fantaisie, la coquine.