» Maintenant cette promenade est insuffisante à la santé de ma pauvre enfant. Je vous prie donc, citoyen municipal, de réclamer en mon nom, auprès du général Santerre, l’usage de cette liberté qui m’avait été accordée; je vous en serai reconnaissante.
La reine avait prononcé ces mots avec un accent si doux et si digne à la fois, elle avait si bien évité toute qualification qui pouvait blesser la pruderie républicaine de son interlocuteur, que celui-ci, qui s’était présenté à elle couvert, comme c’était l’habitude de la plupart de ces hommes, souleva peu à peu son bonnet rouge de dessus sa tête, et, lorsqu’elle eut achevé, la salua en disant:
– Soyez tranquille, madame, on demandera au citoyen général la permission que vous désirez.
Puis, en se retirant, comme pour se convaincre lui-même qu’il cédait à l’équité et non à la faiblesse:
– C’est juste, répéta-t-il; au bout du compte, c’est juste.
– Qu’est-ce qui est juste? demanda l’autre municipal.
– Que cette femme promène sa fille qui est malade.
– Après?… que demande-t-elle?
– Elle demande à descendre et à se promener une heure dans le jardin.
– Bah! dit l’autre, qu’elle demande à aller à pied du Temple à la place de la Révolution, ça la promènera.
La reine entendit ces mots et pâlit; mais elle puisa dans ces mots un nouveau courage pour le grand événement qui se préparait.
Le municipal acheva son déjeuner et descendit. De son côté, la reine demanda à faire le sien dans la chambre de sa fille, ce qui lui fut accordé.
Madame Royale, pour confirmer le bruit de sa maladie, resta couchée, et Madame Élisabeth et la reine demeurèrent près de son lit.
À onze heures, Santerre arriva. Son arrivée fut, comme à l’ordinaire, annoncée par les tambours qui battirent aux champs, et par l’entrée du nouveau bataillon et des nouveaux municipaux qui venaient relever ceux dont la garde finissait.
Quand Santerre eut inspecté le bataillon sortant et le bataillon entrant, lorsqu’il eut fait parader son lourd cheval aux membres trapus dans la cour du Temple, il s’arrêta un instant: c’était le moment où ceux qui avaient à lui parler lui adressaient leurs réclamations, leur dénonciations ou leurs demandes.
Le municipal profita de cette halte pour s’approcher de lui.
– Que veux-tu? lui dit brusquement Santerre.
– Citoyen, dit le municipal, je viens te dire de la part de la reine…
– Qu’est-ce que cela, la reine? demanda Santerre.
– Ah! c’est vrai, dit le municipal, étonné lui-même de s’être laissé entraîner.
– Qu’est-ce que je dis donc là, moi? Est-ce que je suis fou? Je viens te dire de la part de madame Veto…
– À la bonne heure, dit Santerre, comme cela je comprends. Eh bien, que viens-tu me dire? Voyons.
– Je viens te dire que la petite Veto est malade, à ce qu’il paraît, faute d’air et de mouvement.
– Eh bien, faut-il encore s’en prendre de cela à la nation? La nation lui avait permis la promenade dans le jardin, elle l’a refusée; bonsoir!
– C’est justement cela, elle se repent maintenant, et elle demande si tu veux permettre qu’elle descende.
– Il n’y a pas de difficulté à cela. Vous entendez, vous autres, dit Santerre en s’adressant à tout le bataillon, la veuve Capet va descendre pour se promener dans le jardin. La chose lui est accordée par la nation; mais prenez garde qu’elle ne se sauve par-dessus les murs, car, si cela arrive, je vous fais couper la tête à tous.
Un éclat de rire homérique accueillit la plaisanterie du citoyen général.
– Et maintenant que vous voilà prévenus, dit Santerre, adieu. Je vais à la Commune. Il paraît qu’on vient de rejoindre Roland et Barbaroux, et qu’il s’agit de leur délivrer un passeport pour l’autre monde.
C’était cette nouvelle qui mettait le citoyen général de si plaisante humeur.
Santerre partit au galop.
Le bataillon qui descendait la garde sortait derrière lui.
Enfin, les municipaux cédèrent la place aux nouveaux venus, lesquels avaient reçu les instructions de Santerre relativement à la reine.
L’un des municipaux monta près de Marie-Antoinette, et lui annonça que le général faisait droit à sa demande.
«Oh! pensa-t-elle en regardant le ciel à travers sa fenêtre, votre colère se reposerait-elle, Seigneur, et votre droite terrible serait-elle lasse de s’appesantir sur nous?»
– Merci, monsieur, dit-elle au municipal avec ce charmant sourire qui perdit Barnave et rendit tant d’hommes insensés, merci!
Puis, se retournant vers son petit chien, qui sautait après elle tout en marchant sur les pattes de derrière, car il comprenait aux regards de sa maîtresse qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire:
– Allons, Black, dit-elle, nous allons nous promener. Le petit chien se mit à japper et à bondir, et, après avoir bien regardé le municipal, comprenant sans doute que c’était de cet homme que venait la nouvelle qui rendait sa maîtresse joyeuse, il s’approcha de lui tout en rampant, en faisant frétiller sa longue queue soyeuse, et se hasarda jusqu’à le caresser.
Cet homme, qui, peut-être, fût resté insensible aux prières de la reine, se sentit tout ému aux caresses du chien.
– Rien que pour cette petite bête, citoyenne Capet, vous eussiez dû sortir plus souvent, dit-il. L’humanité commande que l’on ait soin de toutes les créatures.
– À quelle heure sortirons-nous, monsieur? demanda la reine. Ne pensez-vous pas que le grand soleil nous ferait du bien?
– Vous sortirez quand vous voudrez, dit le municipal; il n’y a pas de recommandation particulière à ce sujet. Cependant, si vous voulez sortir à midi, comme c’est le moment où l’on change les factionnaires, cela fera moins de mouvement dans la tour.
– Eh bien, à midi, soit, dit la reine en appuyant la main sur son cœur pour en comprimer les battements.
Et elle regarda cet homme qui semblait moins dur que ses confrères, et qui, peut-être, pour prix de sa condescendance aux désirs de la prisonnière, allait perdre la vie dans la lutte que méditaient les conjurés.
Mais aussi, en ce moment où une certaine compassion allait amollir le cœur de la femme, l’âme de la reine se réveilla. Elle songea au 10 août et aux cadavres de ses amis jonchant les tapis de son palais; elle songea au 2 septembre et à la tête de la princesse de Lamballe surgissant au bout d’une pique devant ses fenêtres; elle songea au 21 janvier et à son mari mourant sur un échafaud, au bruit des tambours qui éteignaient sa voix; enfin, elle songea à son fils, pauvre enfant dont plus d’une fois elle avait, sans pouvoir lui porter secours, entendu de sa chambre les cris de douleur, et son cœur s’endurcit.
– Hélas! murmura-t-elle, le malheur est comme le sang des hydres antiques: il féconde des moissons de nouveaux malheurs!