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Lorin n’était pas homme à en entendre davantage. Il tira son sabre hors du fourreau.

En même temps la foule s’ouvrit devant un homme qui donnait tête baissée dans le groupe, et dont les larges épaules renversèrent trois ou quatre spectateurs qui se préparaient à devenir acteurs.

– Sois heureux, Simon, dit Maurice. Tu regrettais sans doute que je ne fusse point là, avec mon ami pour faire ton métier de dénonciateur en grand. Dénonce, Simon, dénonce, me voilà.

– Ma foi, oui, dit Simon avec son hideux ricanement, et tu arrives à propos. Celui-là, dit-il, c’est le beau Maurice Lindey, qui a été accusé en même temps que la fille Tison, et qui s’en est tiré parce qu’il est riche, lui.

– À la lanterne! à la lanterne! crièrent les Marseillais.

– Oui-da! essayez donc un peu, dit Maurice.

Et il fit un pas en avant et piqua, comme pour s’essayer, au milieu du front d’un des plus ardents égorgeurs que le sang aveugla aussitôt.

– Au meurtre! s’écria celui-ci.

Les Marseillais abaissèrent les piques, levèrent les haches, armèrent les fusils; la foule s’écarta effrayée, et les deux amis restèrent isolés et exposés comme une double cible à tous les coups.

Ils se regardèrent avec un dernier et sublime sourire, car ils s’attendaient à être dévorés par ce tourbillon de fer et de flamme qui les menaçait, quand tout à coup la porte de la maison à laquelle ils s’adossaient s’ouvrit et un essaim de jeunes gens en habit, de ceux qu’on appelait les muscadins, armés tous d’un sabre et ayant chacun une paire de pistolets à la ceinture, fondit sur les Marseillais et engagea une mêlée terrible.

– Hourra! crièrent ensemble Lorin et Maurice ranimés par ce secours, et sans réfléchir qu’en combattant dans les rangs des nouveaux venus, ils donnaient raison aux accusations de Simon. Hourra!

Mais, s’ils ne pensaient pas à leur salut, un autre y pensa pour eux. Un petit jeune homme de vingt-cinq à vingt-six ans, à l’œil bleu, maniant avec une adresse, et une ardeur infinies, un sabre de sapeur qu’on eût cru que sa main de femme ne pouvait soulever, s’apercevant que Maurice et Lorin, au lieu de fuir par la porte qu’il semblait avoir laissée ouverte avec intention, combattaient à ses côtés, se retourna en leur disant tout bas:

– Fuyez par cette porte; ce que nous venons faire ici ne vous regarde pas, et vous vous compromettez inutilement.

Puis tout à coup, en voyant que les deux amis hésitaient:

– Arrière! cria-t-il à Maurice, pas de patriotes avec nous; municipal Lindey, nous sommes des aristocrates, nous.

À ce nom, à cette audace qu’avait un homme d’accuser une qualité qui, à cette époque-là, valait sentence de mort, la foule poussa un grand cri.

Mais le jeune homme blond et trois ou quatre de ses amis, sans s’effrayer de ce cri, poussèrent Maurice et Lorin dans l’allée, dont ils refermèrent la porte derrière eux; puis ils revinrent se jeter dans la mêlée, qui était encore augmentée par l’approche de la charrette.

Maurice et Lorin, si miraculeusement sauvés, se regardèrent étonnés, éblouis.

Cette issue semblait ménagée exprès; ils entrèrent dans une cour, et au fond de cette cour trouvèrent une petite porte dérobée qui donnait sur la rue Saint-Germain-l’Auxerrois.

À ce moment, du pont au Change déboucha un détachement de gendarmes qui eut bientôt balayé le quai, quoique de la rue transversale où se tenaient les deux amis, on entendît pendant un instant une lutte acharnée.

Ils précédaient la charrette qui conduisait à la guillotine la pauvre Héloïse.

– Au galop! cria une voix; au galop!

La charrette partit au galop. Lorin aperçut la malheureuse jeune fille, debout, le sourire sur les lèvres et l’œil fier. Mais il ne put même échanger un geste avec elle; elle passa sans le voir auprès d’un tourbillon de peuple qui criait:

– À mort, l’aristocrate! À mort!

Et le bruit s’éloigna décroissant et gagnant les Tuileries.

En même temps, la petite porte par où étaient sortis Maurice et Lorin se rouvrit, et trois ou quatre muscadins, les habits déchirés et sanglants, sortirent. C’était probablement tout ce qui restait de la petite troupe.

Le jeune homme blond sortit le dernier.

– Hélas! dit-il, cette cause est donc maudite!

Et, jetant son sabre ébréché et sanglant, il s’élança vers la rue des Lavandières.

XXVIII Le chevalier de Maison-Rouge

Maurice se hâta de rentrer à la section pour y porter plainte contre Simon.

Il est vrai qu’avant de se séparer de Maurice, Lorin avait trouvé un moyen plus expéditif: c’était de rassembler quelques Thermopyles, d’attendre Simon à sa première sortie du Temple, et de le tuer en bataille rangée.

Mais Maurice s’était formellement opposé à ce plan.

– Tu es perdu, lui dit-il, si tu en viens aux voies de fait. Écrasons Simon, mais écrasons-le par la légalité. Ce doit être chose facile à des légistes.

En conséquence, le lendemain matin, Maurice se rendit à la section et formula sa plainte.

Mais il fut bien étonné quand à la section le président fit la sourde oreille, se récusant, disant qu’il ne pouvait prendre parti entre deux bons citoyens animés tous deux de l’amour de la patrie.

– Bon! dit Maurice, je sais maintenant ce qu’il faut faire pour mériter la réputation de bon citoyen. Ah! ah! rassembler le peuple pour assassiner un homme qui vous déplaît, vous appelez cela être animé de l’amour de la patrie? Alors j’en reviens au sentiment de Lorin, que j’ai eu le tort de combattre. À partir d’aujourd’hui, je vais faire du patriotisme, comme vous l’entendez, et j’expérimenterai sur Simon.

– Citoyen Maurice, répondit le président, Simon a peut-être moins de torts que toi dans cette affaire; il a découvert une conspiration, sans y être appelé par ses fonctions, là où tu n’as rien vu, toi dont c’était le devoir de la découvrir; de plus, tu as des connivences de hasard ou d’intention, – lesquelles? nous n’en savons rien, – mais tu en as avec les ennemis de la nation.

– Moi! dit Maurice. Ah! voilà du nouveau, par exemple; et avec qui donc, citoyen président?

– Avec le citoyen Maison-Rouge.

– Moi? dit Maurice stupéfait; moi, j’ai des connivences avec le chevalier de Maison-Rouge? Je ne le connais pas, je ne l’ai jamais…

– On t’a vu lui parler.

– Moi?

– Lui serrer la main.

– Moi?

– Oui.

– Où cela? quand cela?… Citoyen président, dit Maurice emporté par la conviction de son innocence, tu en as menti.

– Ton zèle pour la patrie t’emporte un peu loin, citoyen Maurice, dit le président, et tu seras fâché tout à l’heure de ce que tu viens de dire, quand je te donnerai la preuve que je n’ai avancé que la vérité. Voici trois rapports différents qui t’accusent.

– Allons donc! dit Maurice; est-ce que vous pensez que je suis assez niais pour croire à votre chevalier de Maison-Rouge?