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– Et pourquoi n’y croirais-tu pas?

– Parce que c’est un spectre de conspirateur avec lequel vous tenez toujours une conspiration prête pour englober vos ennemis.

– Lis les dénonciations.

– Je ne lirai rien, dit Maurice: je proteste que je n’ai jamais vu le chevalier de Maison-Rouge, et que je ne lui ai jamais parlé. Que celui qui ne croira pas à ma parole d’honneur vienne me le dire, je sais ce que j’aurai à lui répondre.

Le président haussa les épaules; Maurice, qui ne voulait être en reste avec personne, en fit autant.

Il y eut quelque chose de sombre et de réservé pendant le reste de la séance.

Après la séance, le président, qui était un brave patriote élevé au premier rang du district par le suffrage de ses concitoyens, s’approcha de Maurice et lui dit:

– Viens, Maurice, j’ai à te parler.

Maurice suivit le président, qui le conduisit dans un petit cabinet attenant à la chambre des séances. Arrivé là, il le regarda en face, et, lui posant la main sur l’épaule:

– Maurice, lui dit-il, j’ai connu, j’ai estimé ton père, ce qui fait que je t’estime et que je t’aime. Maurice, crois-moi, tu cours un grand danger en te laissant aller au manque de foi, première décadence d’un esprit vraiment révolutionnaire. Maurice, mon ami, dès qu’on perd la foi, on perd la fidélité. Tu ne crois pas aux ennemis de la nation: de là vient que tu passes près d’eux sans les voir, et que tu deviens l’instrument de leurs complots sans t’en douter.

– Que diable! citoyen, dit Maurice, je me connais, je suis homme de cœur, zélé patriote; mais mon zèle ne me rend pas fanatique: voilà vingt conspirations prétendues que la République signe toutes du même nom. Je demande, une fois pour toutes, à voir l’éditeur responsable.

– Tu ne crois pas aux conspirateurs, Maurice, dit le président; eh bien, dis-moi, crois-tu à l’œillet rouge pour lequel on a guillotiné hier la fille Tison?

Maurice tressaillit.

– Crois-tu au souterrain pratiqué dans le jardin du Temple et communiquant de la cave de la citoyenne Plumeau à certaine maison de la rue de la Corderie?

– Non, dit Maurice.

– Alors, fais comme Thomas l’apôtre, va voir.

– Je ne suis pas de garde au Temple, et l’on ne me laissera pas entrer.

– Tout le monde peut entrer au Temple maintenant.

– Comment cela?

– Lis ce rapport; puisque tu es si incrédule, je ne procéderai plus que par pièces officielles.

– Comment! s’écria Maurice lisant le rapport, c’est à ce point?

– Continue.

– On transporte la reine à la Conciergerie?

– Eh bien? répondit le président.

– Ah! ah! fit Maurice.

– Crois-tu que ce soit sur un rêve, sur ce que tu appelles une imagination, sur une billevesée, que le comité de Salut public ait adopté une si grave mesure?

– Cette mesure a été adoptée, mais elle ne sera pas exécutée, comme une foule de mesures que j’ai vu prendre, et voilà tout…

– Lis donc jusqu’au bout, dit le président.

Et il lui présenta un dernier papier.

– Le récépissé de Richard, le geôlier de la Conciergerie! s’écria Maurice.

– Elle y a été écrouée à deux heures.

Cette fois, Maurice demeura pensif.

– La Commune, tu le sais, continua le président, agit dans des vues profondes. Elle s’est creusé un sillon large et droit; ses mesures ne sont pas des enfantillages, et elle a mis en exécution ce principe de Cromwelclass="underline" «Il ne faut frapper les rois qu’à la tête.» Lis cette note secrète du ministre de la police.

Maurice lut:

Attendu que nous avons la certitude que le ci-devant chevalier de Maison-Rouge est à Paris; qu’il y a été vu en différents endroits; qu’il a laissé des traces de son passage en plusieurs complots heureusement déjoués, j’invite tous les chefs de section à redoubler de surveillance.

– Eh bien? demanda le président.

– Il faut que je te croie, citoyen président, s’écria Maurice.

Et il continua:

Signalement du chevalier de Maison-Rouge: cinq pieds trois pouces, cheveux blonds, yeux bleus, nez droit, barbe châtaine, menton rond, voix douce, mains de femme.

Trente-cinq à trente-six ans.

Au signalement, une lueur étrange passa à travers l’esprit de Maurice; il songea à ce jeune homme qui commandait la troupe de muscadins qui les avait sauvés la veille, Lorin et lui, et qui frappait si résolument sur les Marseillais avec son sabre de sapeur.

– Mordieu! murmura Maurice, serait-ce lui? En ce cas, la dénonciation qui dit qu’on m’a vu lui parler ne serait point fausse. Seulement, je ne me rappelle pas lui avoir serré la main.

– Eh bien, Maurice, demanda le président, que dites-vous de cela maintenant, mon ami?

– Je dis que je vous crois, répondit Maurice en méditant avec tristesse, car, depuis quelque temps, sans savoir quelle mauvaise influence attristait sa vie, il voyait toutes choses s’assombrir autour de lui.

– Ne joue pas ainsi ta popularité, Maurice, continua le président. La popularité, aujourd’hui, c’est la vie; l’impopularité, prends-y garde, c’est le soupçon de trahison, et le citoyen Lindey ne peut pas être soupçonné d’être un traître.

Maurice n’avait rien à répondre à une doctrine qu’il sentait bien être la sienne. Il remercia son vieil ami et quitta la section.

– Ah! murmura-t-il, respirons un peu; c’est trop de soupçons et de luttes. Allons droit au repos, à l’innocence et à la joie; allons à Geneviève.

Et Maurice prit le chemin de la vieille rue Saint-Jacques.

Lorsqu’il arriva chez le maître tanneur, Dixmer et Morand soutenaient Geneviève, en proie à une violente attaque de nerfs.

Aussi, au lieu de lui laisser l’entrée libre, comme d’habitude, un domestique lui barra-t-il le passage.

– Annonce-moi toujours, dit Maurice inquiet, et si Dixmer ne peut pas me recevoir en ce moment, je me retirerai.

Le domestique entra dans le petit pavillon, tandis que lui, Maurice, demeurait dans le jardin.

Il lui sembla qu’il se passait quelque chose d’étrange dans la maison. Les ouvriers tanneurs n’étaient point à leur ouvrage, et traversaient le jardin d’un air inquiet.

Dixmer revint lui-même jusqu’à la porte.

– Entrez, dit-il, cher Maurice, entrez; vous n’êtes pas de ceux pour qui la porte est fermée.

– Mais qu’y a-t-il donc? demanda le jeune homme.

– Geneviève est souffrante, dit Dixmer; plus que souffrante, car elle délire.

– Ah! mon Dieu! s’écria le jeune homme, ému de retrouver là encore le trouble et la souffrance. Qu’a-t-elle donc?

– Vous savez, mon cher, reprit Dixmer, aux maladies des femmes, personne ne connaît rien, et surtout le mari.

Geneviève était renversée sur une espèce de chaise longue. Près d’elle était Morand, qui lui faisait respirer des sels.

– Eh bien? demanda Dixmer.