– Prendre le chevalier de Maison-Rouge?
– Oui.
– Tu t’es donc fait gendarme?
– Non; mais je suis patriote. Un patriote se doit à sa patrie. Or, ma patrie est abominablement ravagée par ce chevalier de Maison-Rouge, qui fait complots sur complots. Or, la patrie m’ordonne, à moi qui suis un patriote, de la débarrasser du susdit chevalier de Maison-Rouge qui la gêne horriblement, et j’obéis à la patrie.
– C’est égal, dit Maurice, il est singulier que tu te charges d’une pareille commission.
– Je ne m’en suis pas chargé, on m’en a chargé; mais, d’ailleurs, je dois dire que je l’eusse briguée, la commission. Il nous faut un coup éclatant pour nous réhabiliter, attendu que notre réhabilitation, c’est non seulement la sécurité de notre existence, mais encore le droit de mettre à la première occasion six pouces de lame dans le ventre de cet affreux Simon.
– Mais comment a-t-on su que c’était le chevalier de Maison-Rouge qui était à la tête de la conspiration du souterrain?
– Ce n’est pas encore bien sûr, mais on le présume.
– Ah! vous procédez par induction?
– Nous procédons par certitude.
– Comment arranges-tu tout cela? Voyons; car enfin…
– Écoute bien.
– Je t’écoute.
– À peine ai-je entendu crier: «Grande conspiration découverte par le citoyen Simon…» (cette canaille de Simon! il est partout, ce misérable!), que j’ai voulu juger de la vérité par moi-même. Or, on parlait d’un souterrain.
– Existe-t-il?
– Oh! il existe, je l’ai vu.
Vu, de mes deux yeux vu, ce qui s’appelle vu.
» Tiens, pourquoi ne siffles-tu pas?
– Parce que c’est du Molière, et que, je te l’avoue d’ailleurs, les circonstances me paraissent un peu graves pour plaisanter.
– Eh bien, de quoi plaisantera-t-on, alors, si l’on ne plaisante pas des choses graves?
– Tu dis donc que tu as vu…
– Le souterrain… Je répète que j’ai vu le souterrain, que je l’ai parcouru, et qu’il correspondait de la cave de la citoyenne Plumeau à une maison de la rue de la Corderie, à la maison no 12 ou 14, je ne me le rappelle plus bien.
– Vrai! Lorin, tu l’as parcouru?…
– Dans toute sa longueur, et, ma foi! je t’assure que c’était un boyau fort joliment taillé; de plus, il était coupé par trois grilles en fer, que l’on a été obligé de déchausser les unes après les autres; mais qui, dans le cas où les conjurés auraient réussi, leur eussent donné tout le temps, en sacrifiant trois ou quatre des leurs, de mettre madame veuve Capet en lieu de sûreté. Heureusement, il n’en est pas ainsi, et cet affreux Simon a encore découvert celle-là.
– Mais il me semble, dit Maurice, que ceux qu’on aurait dû arrêter d’abord étaient les habitants de cette maison de la rue de la Corderie.
– C’est ce que l’on aurait fait aussi si l’on n’eût pas trouvé la maison parfaitement dénuée de locataires.
– Mais enfin, cette maison appartient à quelqu’un?
– Oui, à un nouveau propriétaire, mais personne ne le connaissait; on savait que la maison avait changé de maître depuis quinze jours ou trois semaines, voilà tout. Les voisins avaient bien entendu du bruit; mais, comme la maison était vieille, ils avaient cru qu’on travaillait aux réparations. Quant à l’autre propriétaire, il avait quitté Paris.
» J’arrivai sur ces entrefaites. «Pour Dieu! dis-je à Santerre en le tirant à part, vous êtes tous bien embarrassés» – «C’est vrai, répondit-il, nous le sommes.» – «Cette maison a été vendue, n’est-ce pas?» – «Oui.» – «Il y a quinze jours?» – «Quinze jours ou trois semaines.» – «Vendue par-devant notaire?» – «Oui.» – «Eh bien, il faut chercher chez tous les notaires de Paris, savoir lequel a vendu cette maison et se faire communiquer l’acte. On verra dessus le nom et le domicile de l’acheteur.» – «À la bonne heure! c’est un conseil cela, dit Santerre; et voilà pourtant un homme qu’on accuse d’être un mauvais patriote. Lorin, Lorin! je te réhabiliterai, ou le diable me brûle.»
«Bref, continua Lorin, ce qui fut dit fut fait. On chercha le notaire, on retrouva l’acte, et, sur l’acte, le nom et le domicile du coupable. Alors Santerre m’a tenu parole, il m’a désigné pour l’arrêter.
– Et cet homme, c’était le chevalier de Maison-Rouge?
– Non pas, son complice seulement, c’est-à-dire probablement.
– Mais alors comment dis-tu que vous allez arrêter le chevalier de Maison-Rouge?
– Nous allons les arrêter tous ensemble.
– D’abord, connais-tu ce chevalier de Maison-Rouge?
– À merveille.
– Tu as donc son signalement?
– Parbleu! Santerre me l’a donné. Cinq pieds deux ou trois pouces, cheveux blonds, yeux bleus, nez droit, barbe châtaine; d’ailleurs, je l’ai vu.
– Quand?
– Aujourd’hui même.
– Tu l’as vu?
– Et toi aussi.
Maurice tressaillit.
– Ce petit jeune homme blond qui nous a délivrés ce matin, tu sais, celui qui commandait la troupe des muscadins, qui tapait si dur.
– C’était donc lui? demanda Maurice.
– Lui-même. On l’a suivi et on l’a perdu dans les environs du domicile de notre propriétaire de la rue de la Corderie; de sorte qu’on présume qu’ils logent ensemble.
– En effet, c’est probable.
– C’est sûr.
– Mais il me semble, Lorin, ajouta Maurice, que, si tu arrêtes ce soir celui qui nous a sauvés ce matin, tu manques quelque peu de reconnaissance.
– Allons donc! dit Lorin. Est-ce que tu crois qu’il nous a sauvés pour nous sauver?
– Et pourquoi donc?
– Pas du tout. Ils étaient embusqués là pour enlever la pauvre Héloïse Tison quand elle passerait. Nos égorgeurs les gênaient, ils sont tombés sur nos égorgeurs. Nous avons été sauvés par contrecoup. Or, comme tout est dans l’intention, et que l’intention n’y était pas, je n’ai pas à me reprocher la plus petite ingratitude. D’ailleurs, vois-tu, Maurice, le point capital c’est la nécessité; et il y a nécessité à ce que nous nous réhabilitions par un coup d’éclat. J’ai répondu de toi.
– À qui?
– À Santerre; il sait que tu commandes l’expédition.
– Comment cela?
– «Es-tu sûr d’arrêter les coupables?» a-t-il dit. – Oui, ai-je répondu, si Maurice en est.» – «Mais es-tu sûr de Maurice? Depuis quelque temps il tiédit.» – «Ceux qui disent cela se trompent. Maurice ne tiédit pas plus que moi.» – «Et tu en réponds?» – «Comme de moi-même.»
» Alors j’ai passé chez toi, mais je ne t’ai pas trouvé; j’ai pris ensuite ce chemin, d’abord parce que c’était le mien, et ensuite parce que c’était celui que tu prends d’ordinaire; enfin, je t’ai rencontré, te voilà: en avant, marche!
La victoire en chantant
Nous ouvre la barrière…
– Mon cher Lorin, j’en suis désespéré, mais je ne me sens pas le moindre goût pour cette expédition; tu diras que tu ne m’as pas rencontré.