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– Impossible! tous nos hommes t’ont vu.

– Eh bien, tu diras que tu m’as rencontré et que je n’ai pas voulu être des vôtres.

– Impossible encore.

– Et pourquoi cela?

– Parce que, cette fois, tu ne seras pas un tiède, mais un suspect… Et tu sais ce qu’on en fait, des suspects: on les conduit sur la place de la Révolution et on les invite à saluer la statue de la Liberté; seulement, au lieu de saluer avec le chapeau, ils saluent avec la tête.

– Eh bien, Lorin, il arrivera ce qu’il pourra; mais en vérité, cela te paraîtra sans doute étrange, ce que je vais te dire là?

Lorin ouvrit de grands yeux et regarda Maurice.

– Eh bien, reprit Maurice, je suis dégoûté de la vie…

Lorin éclata de rire.

– Bon! dit-il; nous sommes en bisbille avec notre bien-aimée, et cela nous donne des idées mélancoliques. Allons, bel Amadis! redevenons un homme, et de là nous passerons au citoyen; moi, au contraire, je ne suis jamais meilleur patriote que lorsque je suis en brouille avec Arthémise. À propos, Sa Divinité la déesse Raison te dit des millions de choses gracieuses.

– Tu la remercieras de ma part. Adieu, Lorin.

– Comment, adieu?

– Oui, je m’en vais.

– Où vas-tu?

– Chez moi, parbleu!

– Maurice, tu te perds.

– Je m’en moque.

– Maurice, réfléchis, ami, réfléchis.

– C’est fait.

– Je ne t’ai pas tout répété…

– Tout, quoi?

– Tout ce que m’avait dit Santerre.

– Que t’a-t-il dit?

– Quand je t’ai demandé comme chef de l’expédition, il m’a dit: «- Prends garde!

«- À qui? «- À Maurice.

– À moi?

– Oui. «Maurice, a-t-il ajouté, va bien souvent dans ce quartier-là.»

– Dans quel quartier?

– Dans celui de Maison-Rouge.

– Comment! s’écria Maurice, c’est par ici qu’il se cache?

– On le présume, du moins, puisque c’est par ici que loge son complice présumé, l’acheteur de la maison de la rue de la Corderie.

– Faubourg Victor? demanda Maurice.

– Oui, faubourg Victor.

– Et dans quelle rue du faubourg?

– Dans la vieille rue Saint-Jacques.

– Ah! mon Dieu! murmura Maurice ébloui comme par un éclair.

Et il porta sa main à ses yeux.

Puis, au bout d’un instant, et comme si pendant cet instant il avait appelé tout son courage:

– Son état? dit-il.

– Maître tanneur.

– Et son nom?

– Dixmer.

– Tu as raison, Lorin, dit Maurice comprimant jusqu’à l’apparence de l’émotion par la force de sa volonté; je vais avec vous.

– Et tu fais bien. Es-tu armé?

– J’ai mon sabre, comme toujours.

– Prends encore ces deux pistolets.

– Et toi?

– Moi, j’ai ma carabine. Portez armes! armes bras! en avant, marche!

La patrouille se remit en marche, accompagnée de Maurice, qui marchait près de Lorin, et précédée d’un homme vêtu de gris qui la dirigeait; c’était l’homme de la police.

De temps en temps on voyait se détacher des angles des rues ou des portes des maisons une espèce d’ombre qui venait échanger quelques paroles avec l’homme vêtu de gris; c’étaient des surveillants.

On arriva à la ruelle.

L’homme gris n’hésita pas un seul instant; il était bien renseigné: il prit la ruelle.

Devant la porte du jardin par laquelle on avait fait entrer Maurice garrotté, il s’arrêta.

– C’est ici, dit-il.

– C’est ici, quoi? demanda Lorin.

– C’est ici que nous trouverons les deux chefs.

Maurice s’appuya au mur; il lui sembla qu’il allait tomber à la renverse.

– Maintenant, dit l’homme gris, il y a trois entrées: l’entrée principale, celle-ci, et une entrée qui donne dans un pavillon. J’entrerai avec six ou huit hommes par l’entrée principale; gardez cette entrée-ci avec quatre ou cinq hommes, et mettez trois hommes sûrs à la sortie du pavillon.

– Moi, dit Maurice, je vais passer par-dessus le mur et je veillerai dans le jardin.

– À merveille, dit Lorin, d’autant plus que, de l’intérieur, tu nous ouvriras la porte.

– Volontiers, dit Maurice. Mais n’allez pas dégarnir le passage et venir sans que je vous appelle. Tout ce qui se passera dans l’intérieur, je le verrai du jardin.

– Tu connais donc la maison? demanda Lorin.

– Autrefois, j’ai voulu l’acheter.

Lorin embusqua ses hommes dans les angles des haies, dans les encoignures des portes, tandis que l’agent de police s’éloignait avec huit ou dix gardes nationaux pour forcer, comme il l’avait dit, l’entrée principale.

Au bout d’un instant, le bruit de leurs pas s’était éteint sans avoir, dans ce désert, éveillé la moindre attention.

Les hommes de Maurice étaient à leur poste et s’effaçaient de leur mieux. On eût juré que tout était tranquille et qu’il ne se passait rien d’extraordinaire dans la vieille rue Saint-Jacques.

Maurice commença donc d’enjamber le mur.

– Attends, dit Lorin.

– Quoi?

– Et le mot d’ordre.

– C’est juste.

– Œillet et souterrain. Arrête tous ceux qui ne te diront pas ces deux mots. Laisse passer tous ceux qui te les diront. Voilà la consigne.

– Merci, dit Maurice.

Et il sauta du haut du mur dans le jardin.

XXX Œillet et souterrain

Le premier coup avait été terrible, et il avait fallu à Maurice toute la puissance qu’il avait sur lui-même pour cacher à Lorin le bouleversement qui s’était fait dans toute sa personne; mais, une fois dans le jardin, une fois seul, une fois dans le silence de la nuit, son esprit devint plus calme, et ses idées, au lieu de rouler désordonnées dans son cerveau, se présentèrent à son esprit et purent être commentées par sa raison.

Quoi! cette maison que Maurice avait si souvent visitée avec le plaisir le plus pur, cette maison dont il avait fait son paradis sur la terre, n’était qu’un repaire de sanglantes intrigues! Tout ce bon accueil fait à son ardente amitié, c’était de l’hypocrisie; tout cet amour de Geneviève, c’était de la peur!

On connaît la distribution de ce jardin, où plus d’une fois nos lecteurs ont suivi nos jeunes gens. Maurice se glissa de massif en massif jusqu’à ce qu’il fût abrité contre les rayons de la lune par l’ombre de cette espèce de serre dans laquelle il avait été enfermé le premier jour où il avait pénétré dans la maison. Cette serre était en face du pavillon qu’habitait Geneviève.

Mais, ce soir-là, au lieu d’éclairer isolée et immobile la chambre de la jeune femme, la lumière se promenait d’une fenêtre à l’autre. Maurice aperçut Geneviève à travers un rideau soulevé à moitié par accident; elle entassait à la hâte des effets dans un portemanteau, et il vit avec étonnement briller des armes dans ses mains.