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Il se souleva sur une borne afin de mieux plonger ses regards dans la chambre. Un grand feu brillait dans l’âtre et attira son attention; c’étaient des papiers que Geneviève brûlait.

En ce moment une porte s’ouvrit, et un jeune homme entra chez Geneviève.

La première idée de Maurice fut que cet homme était Dixmer.

La jeune femme courut à lui, saisit ses mains, et tous deux se tinrent un instant en face l’un de l’autre, paraissant en proie à une vive émotion. Quelle était cette émotion? Maurice ne pouvait le deviner, le bruit de leurs paroles n’arrivait pas jusqu’à lui.

Mais tout à coup Maurice mesura sa taille des yeux.

– Ce n’est pas Dixmer, murmura-t-il.

En effet, celui qui venait d’entrer était mince et de petite taille; Dixmer était grand et fort.

La jalousie est un actif stimulant; en une minute Maurice avait supputé la taille de l’inconnu à une ligne près, et analysé la silhouette du mari.

– Ce n’est pas Dixmer, murmura-t-il, comme s’il eût été obligé de se le redire à lui-même pour être convaincu de la perfidie de Geneviève.

Il se rapprocha de la fenêtre, mais plus il se rapprochait moins il voyait: son front était en feu.

Son pied heurta une échelle; la fenêtre avait sept ou huit pieds de hauteur: il prit l’échelle et alla la dresser contre la muraille.

Il monta, colla son œil à la fente du rideau.

L’inconnu de la chambre de Geneviève était un jeune homme de vingt-sept ou vingt-huit ans, à l’œil bleu, à la tournure élégante; il tenait les mains de la jeune femme, et lui parlait tout en essuyant les larmes qui voilaient le charmant regard de Geneviève.

Un léger bruit que fit Maurice amena le jeune homme à tourner la tête du côté de la fenêtre.

Maurice retint un cri de surprise: il venait de reconnaître son sauveur mystérieux de la place du Châtelet.

En ce moment Geneviève retira ses mains de celles de l’inconnu. Geneviève s’avança vers la cheminée, et s’assura que tous les papiers étaient consumés.

Maurice ne put se contenir davantage; toutes les terribles passions qui torturent l’homme, l’amour, la vengeance, la jalousie, lui étreignaient le cœur de leurs dents de feu. Il saisit son temps, repoussa violemment la croisée mal fermée et sauta dans la chambre. Au même instant deux pistolets se posèrent sur sa poitrine.

Geneviève s’était retournée au bruit; elle resta muette en apercevant Maurice.

– Monsieur, dit froidement le jeune républicain à celui qui tenait deux fois sa vie au bout de ces armes, monsieur, vous êtes le chevalier de Maison-Rouge?

– Et quand cela serait? répondit le chevalier.

– Oh! c’est que si cela est, vous êtes un homme brave et par conséquent un homme calme, et je vais vous dire deux mots.

– Parlez, dit le chevalier sans détourner ses pistolets.

– Vous pouvez me tuer, mais vous ne me tuerez pas avant que j’aie poussé un cri, ou plutôt je ne mourrai pas sans l’avoir poussé. Si je pousse ce cri, mille hommes qui cernent cette maison l’auront réduite en cendres avant dix minutes. Ainsi abaissez vos pistolets, et écoutez ce que je vais dire à madame.

– À Geneviève? dit le chevalier.

– À moi? murmura la jeune femme.

– Oui, à vous.

Geneviève, plus pâle qu’une statue, saisit le bras de Maurice; le jeune homme la repoussa.

– Vous savez ce que vous m’avez affirmé, madame, dit Maurice avec un profond mépris. Je vois maintenant que vous avez dit vrai. En effet, vous n’aimez pas M. Morand.

– Maurice, écoutez-moi! s’écria Geneviève.

– Je n’ai rien à entendre, madame, dit Maurice. Vous m’avez trompé; vous avez brisé d’un seul coup tous les liens qui scellaient mon cœur au vôtre. Vous avez dit que vous n’aimiez pas M. Morand, mais vous ne m’avez pas dit que vous en aimiez un autre.

– Monsieur, dit le chevalier, que parlez-vous de Morand, ou plutôt de quel Morand parlez-vous?

– De Morand le chimiste.

– Morand le chimiste est devant vous. Morand le chimiste et le chevalier de Maison-Rouge ne font qu’un.

Et allongeant la main vers une table voisine, il eut en un instant coiffé cette perruque noire qui l’avait si longtemps rendu méconnaissable aux yeux du jeune républicain.

– Ah! oui, dit Maurice avec un redoublement de dédain; oui, je comprends, ce n’est pas Morand que vous aimiez, puisque Morand n’existait pas; mais le subterfuge, pour en être plus adroit, n’en est pas moins méprisable.

Le chevalier fit un mouvement de menace.

– Monsieur, continua Maurice, veuillez me laisser causer un instant avec madame; assistez même à la causerie, si vous voulez; elle ne sera pas longue, je vous en réponds.

Geneviève fit un mouvement pour inviter Maison-Rouge à prendre patience.

– Ainsi, continua Maurice, ainsi, vous, Geneviève, vous m’avez rendu la risée de mes amis! l’exécration des miens! Vous m’avez fait servir, aveugle que j’étais, à tous vos complots! vous avez tiré de moi l’utilité que l’on tire d’un instrument! Écoutez: c’est une action infâme! mais vous en serez punie, madame! car monsieur que voici va me tuer sous vos yeux! Mais avant cinq minutes, il sera là, lui aussi, gisant à vos pieds, ou, s’il vit, ce sera pour porter sa tête sur un échafaud.

– Lui mourir! s’écria Geneviève; lui porter sa tête sur l’échafaud! Mais vous ne savez donc pas, Maurice, que lui c’est mon protecteur, celui de ma famille; que je donnerais ma vie pour la sienne; que s’il meurt je mourrai, et que si vous êtes mon amour, vous, lui est ma religion?

– Ah! dit Maurice, vous allez peut-être continuer de dire que vous m’aimez. En vérité, les femmes sont trop faibles et trop lâches.

Puis, se retournant:

– Allons, monsieur, dit-il au jeune royaliste, il faut me tuer ou mourir.

– Pourquoi cela?

– Parce que si vous ne me tuez pas, je vous arrête.

Maurice étendit la main pour le saisir au collet.

– Je ne vous disputerai pas ma vie, dit le chevalier de Maison-Rouge, tenez!

Et il jeta ses armes sur un fauteuil.

– Et pourquoi ne me disputerez-vous pas votre vie?

– Parce que ma vie ne vaut pas le remords que j’éprouverais de tuer un galant homme; et puis surtout, surtout parce que Geneviève vous aime.

– Ah! s’écria la jeune femme en joignant les mains; ah! que vous êtes toujours bon, grand, loyal et généreux, Armand!

Maurice les regardait tous deux avec un étonnement presque stupide.

– Tenez, dit le chevalier, je rentre dans ma chambre; je vous donne ma parole d’honneur que ce n’est point pour fuir, mais pour cacher un portrait.

Maurice porta vivement les yeux vers celui de Geneviève; il était à sa place.

Soit que Maison-Rouge eût deviné la pensée de Maurice, soit qu’il eût voulu pousser au comble la générosité: