– Allons, dit-il, je sais que vous êtes républicain; mais je sais que vous êtes en même temps un cœur pur et loyal. Je me confierai à vous jusqu’à la fin: regardez!
Et il tira de sa poitrine une miniature qu’il montra à Maurice: c’était le portrait de la reine.
Maurice baissa la tête et appuya la main sur son front.
– J’attends vos ordres, monsieur, dit Maison-Rouge; si vous voulez mon arrestation, vous frapperez à cette porte quand il sera temps que je me livre. Je ne tiens plus à la vie, du moment où cette vie n’est plus soutenue par l’espérance de sauver la reine.
Le chevalier sortit sans que Maurice fît un seul geste pour le retenir.
À peine fut-il hors de la chambre que Geneviève se précipita aux pieds du jeune homme.
– Pardon, dit-elle, pardon, Maurice, pour tout le mal que je vous ai fait; pardon pour mes tromperies, pardon au nom de mes souffrances et de mes larmes, car, je vous le jure, j’ai bien pleuré, j’ai bien souffert. Ah! mon mari est parti ce matin; je ne sais où il est allé, et peut-être ne le reverrai-je plus; et maintenant un seul ami me reste, non pas un ami, un frère, et vous allez le faire tuer. Pardon, Maurice! pardon!
Maurice releva la jeune femme.
– Que voulez-vous? dit-il, il y a de ces fatalités-là; tout le monde joue sa vie à cette heure; le chevalier de Maison-Rouge a joué comme les autres, mais il a perdu; maintenant il faut qu’il paye.
– C’est-à-dire qu’il meure, si je vous comprends bien.
– Oui.
– Il faut qu’il meure, et c’est vous qui me dites cela?
– Ce n’est pas moi, Geneviève, c’est la fatalité.
– La fatalité n’a pas dit son dernier mot dans cette affaire, puisque vous pouvez le sauver, vous.
– Aux dépens de ma parole, et par conséquent de mon honneur. Je comprends, Geneviève.
– Fermez les yeux, Maurice, voilà tout ce que je vous demande, et jusqu’où la reconnaissance d’une femme peut aller, je vous promets que la mienne y montera.
– Je fermerais inutilement les yeux, madame; il y a un mot d’ordre donné, un mot d’ordre, sans lequel personne ne peut sortir, car je vous le répète, la maison est cernée.
– Et vous le savez?
– Sans doute que je le sais.
– Maurice!
– Eh bien?
– Mon ami, mon cher Maurice, ce mot d’ordre, dites-le-moi, il me le faut.
– Geneviève! s’écria Maurice, Geneviève! mais qui donc êtes-vous pour venir me dire: «Maurice, au nom de l’amour que j’ai pour toi, sois sans parole, sois sans honneur, trahis ta cause, renie tes opinions»? Que m’offrez-vous, Geneviève, en échange de tout cela, vous qui me tentez ainsi?
– Oh! Maurice, sauvez-le, sauvez-le d’abord, et ensuite demandez-moi la vie.
– Geneviève, répondit Maurice d’une voix sombre, écoutez-moi: j’ai un pied dans le chemin de l’infamie; pour y descendre tout à fait, je veux avoir au moins une bonne raison contre moi-même; Geneviève, jurez-moi que vous n’aimez pas le chevalier de Maison-Rouge…
– J’aime le chevalier de Maison-Rouge comme une sœur, comme une amie, pas autrement, je vous le jure!
– Geneviève, m’aimez-vous?
– Maurice, je vous aime, aussi vrai que Dieu m’entend.
– Si je fais ce que vous me demandez, abandonnerez-vous parents, amis, patrie, pour fuir avec le traître?
– Maurice! Maurice!
– Elle hésite… oh! elle hésite! Et Maurice se rejeta en arrière avec toute la violence du dédain.
Geneviève, qui s’était appuyée à lui, sentit tout à coup son appui manquer, elle tomba sur ses genoux.
– Maurice, dit-elle en se renversant en arrière et en tordant ses mains jointes; Maurice, tout ce que tu voudras, je te le jure; ordonne, j’obéis.
– Tu seras à moi, Geneviève?
– Quand tu l’exigeras.
– Jure sur le Christ!
Geneviève étendit le bras:
– Mon Dieu! dit-elle, vous avez pardonné à la femme adultère, j’espère que vous me pardonnerez.
Et de grosses larmes roulèrent sur ses joues, et tombèrent sur ses longs cheveux épars et flottants sur sa poitrine.
– Oh! pas ainsi, ne jurez pas ainsi, dit Maurice, ou je n’accepte pas votre serment.
– Mon Dieu! reprit-elle, je jure de consacrer ma vie à Maurice, de mourir avec lui, et, s’il le faut, pour lui, s’il sauve mon ami, mon protecteur, mon frère, le chevalier de Maison-Rouge.
– C’est bien; il sera sauvé, dit Maurice.
Il alla vers la chambre.
– Monsieur, dit-il, revêtez le costume du tanneur Morand. Je vous rends votre parole, vous êtes libre.
» Et vous, madame, dit-il à Geneviève, voilà les deux mots de passe: œillet et souterrain.
Et comme s’il eût eu horreur de rester dans la chambre où il avait prononcé ces deux mots qui le faisaient traître, il ouvrit la fenêtre et sauta de la chambre dans le jardin.
XXXI Perquisition
Maurice avait repris son poste dans le jardin, en face de la croisée de Geneviève: seulement cette croisée s’était éteinte, Geneviève étant rentrée chez le chevalier de Maison-Rouge.
Il était temps que Maurice quittât la chambre, car à peine avait-il atteint l’angle de la serre, que la porte du jardin s’ouvrit, et l’homme gris parut, suivi de Lorin et de cinq ou six grenadiers.
– Eh bien? demanda Lorin.
– Vous le voyez, dit Maurice, je suis à mon poste.
– Personne n’a tenté de forcer la consigne? dit Lorin.
– Personne, répondit Maurice, heureux d’échapper à un mensonge par la manière dont la demande avait été posée; personne! Et vous, qu’avez-vous fait?
– Nous, nous avons acquis la certitude que le chevalier de Maison-Rouge est entré dans la maison, il y a une heure, et n’en est pas sorti depuis, répondit l’homme de la police.
– Et vous connaissez sa chambre? dit Lorin.
– Sa chambre n’est séparée de la chambre de la citoyenne Dixmer que par un corridor.
– Ah! ah! dit Lorin.
– Pardieu, il n’y avait pas besoin de séparation du tout; il paraît que ce chevalier de Maison-Rouge est un gaillard.
Maurice sentit le sang lui monter à la tête; il ferma les yeux et vit mille éclairs intérieurs.
– Eh bien! mais… et le citoyen Dixmer, que disait-il de cela? demanda Lorin.
– Il trouvait que c’était bien de l’honneur pour lui.
– Voyons? dit Maurice d’une voix étranglée, que décidons-nous?
– Nous décidons, dit l’homme de la police, que nous allons le prendre dans sa chambre, et peut-être même dans son lit.
– Il ne se doute donc de rien?
– De rien absolument.
– Quelle est la disposition du terrain? demanda Lorin.
– Nous en avons un plan parfaitement exact, dit l’homme gris: un pavillon situé à l’angle du jardin, le voilà; on monte quatre marches, les voyez-vous d’ici? on se trouve sur un palier; à droite, la porte de l’appartement de la citoyenne Dixmer: c’est sans doute celui dont nous voyons la fenêtre. En face de la fenêtre, au fond, une porte donnant sur le corridor, et, dans ce corridor, la porte de la chambre du traître.