– Eh bien, dit Lorin, ouvre donc!
– Mais, dit Maurice, si la citoyenne Dixmer est couchée?
– Nous regarderons dans son lit, sous son lit, dans sa cheminée et dans ses armoires, dit Lorin; après quoi, s’il n’y a personne qu’elle, nous lui souhaiterons une bonne nuit.
– Non pas, dit l’homme de la police, nous l’arrêterons; la citoyenne Geneviève Dixmer était une aristocrate qui a été reconnue complice de la fille Tison et du chevalier de Maison-Rouge.
– Ouvre alors, dit Maurice en lâchant la clef, je n’arrête pas les femmes.
L’homme de la police regarda Maurice de travers, et les grenadiers murmurèrent entre eux.
– Oh! oh! dit Lorin, vous murmurez? Murmurez donc pour deux pendant que vous y êtes, je suis de l’avis de Maurice.
Et il fit un pas en arrière.
L’homme gris saisit la clef, tourna vivement, la porte céda; les soldats se précipitèrent dans la chambre.
Deux bougies brûlaient sur une petite table, mais la chambre de Geneviève, comme celle du chevalier de Maison-Rouge, était inhabitée.
– Vide! s’écria l’homme de la police.
– Vide! répéta Maurice en pâlissant; où est-elle donc?
Lorin regarda Maurice avec étonnement.
– Cherchons, dit l’homme de la police.
Et, suivi des miliciens, il se mit à fouiller la maison depuis les caves jusqu’aux ateliers.
À peine eurent-ils le dos tourné, que Maurice, qui les avait suivis impatiemment des yeux, s’élança à son tour dans la chambre, ouvrant les armoires qu’il avait déjà ouvertes, et appelant d’une voix pleine d’anxiété:
– Geneviève! Geneviève!
Mais Geneviève ne répondit point, la chambre était bien réellement vide.
Alors Maurice, à son tour, se mit à fouiller la maison avec une espèce de frénésie. Serres, hangars, dépendances, il visita tout, mais inutilement.
Soudain l’on entendit un grand bruit; une troupe d’hommes armés se présenta à la porte, échangea le mot de passe avec la sentinelle, envahit le jardin et se répandit dans la maison. À la tête de ce renfort brillait le panache enfumé de Santerre.
– Eh bien! dit-il à Lorin, où est le conspirateur?
– Comment! où est le conspirateur?
– Oui. Je vous demande ce que vous en avez fait?
– Je vous le demanderai à vous-même: votre détachement, s’il a bien gardé les issues, doit l’avoir arrêté, puisqu’il n’était plus dans la maison quand nous y sommes entrés.
– Que dites-vous là? s’écria le général furieux, vous l’avez donc laissé échapper?
– Nous n’avons pu le laisser échapper, puisque nous ne l’avons jamais tenu.
– Alors, je n’y comprends plus rien, dit Santerre.
– À quoi?
– À ce que vous m’avez fait dire par votre envoyé.
– Nous vous avons envoyé quelqu’un, nous?
– Sans doute. Cet homme à habit brun, à cheveux noirs, à lunettes vertes, qui est venu nous prévenir de votre part que vous étiez sur le point de vous emparer de Maison-Rouge, mais qu’il se défendait comme un lion; sur quoi, je suis accouru.
– Un homme à habit brun, à cheveux noirs, à lunettes vertes? répéta Lorin.
– Sans doute, tenant une femme au bras.
– Jeune, jolie? s’écria Maurice en s’élançant vers le général.
– Oui, jeune et jolie.
– C’était lui et la citoyenne Dixmer.
– Qui lui?
– Maison-Rouge… Oh! misérable que je suis de ne pas les avoir tués tous les deux!
– Allons, allons, citoyen Lindey, dit Santerre, on les rattrapera.
– Mais comment diable les avez-vous laissés passer? demanda Lorin.
– Pardieu! dit Santerre, je les ai laissés passer parce qu’ils avaient le mot de passe.
– Ils avaient le mot de passe! s’écria Lorin; mais il y a donc un traître parmi nous?
– Non, non, citoyen Lorin, dit Santerre, on vous connaît, et l’on sait bien qu’il n’y a pas de traîtres parmi vous.
Lorin regarda tout autour de lui, comme pour chercher ce traître dont il venait de proclamer la présence.
Il rencontra le front sombre et l’œil vacillant de Maurice.
– Oh! murmura-t-il, que veut dire ceci?
– Cet homme ne peut être bien loin, dit Santerre; fouillons les environs; peut-être sera-t-il tombé dans quelque patrouille qui aura été plus habile que nous et qui ne s’y sera point laissé prendre.
– Oui, oui, cherchons, dit Lorin.
Et il saisit Maurice par le bras; et, sous prétexte de chercher, il l’entraîna hors du jardin.
– Oui, cherchons, dirent les soldats; mais, avant de chercher…
Et l’un d’eux jeta sa torche sous un hangar tout bourré de fagots et de plantes sèches.
– Viens, dit Lorin, viens.
Maurice n’opposa aucune résistance. Il suivit Lorin comme un enfant; tous deux coururent jusqu’au pont sans se parler davantage; là, ils s’arrêtèrent, Maurice se retourna.
Le ciel était rouge à l’horizon du faubourg, et l’on voyait monter au-dessus des maisons de nombreuses étincelles.
XXXII La foi jurée
Maurice frissonna, il étendit la main vers la rue Saint-Jacques.
– Le feu! dit-il, le feu!
– Eh bien! oui, dit Lorin, le feu; après?
– Oh! mon Dieu! mon Dieu! si elle était revenue?
– Qui cela?
– Geneviève.
– Geneviève, c’est madame Dixmer, n’est-ce pas?
– Oui, c’est elle.
– Il n’y a point de danger qu’elle soit revenue, elle n’était point partie pour cela.
– Lorin, il faut que je la retrouve, il faut que je me venge.
– Oh! oh! dit Lorin.
– Tu m’aideras à la retrouver, n’est-ce pas, Lorin?
– Pardieu! ce ne sera pas difficile.
– Et comment?
– Sans doute, si tu t’intéresses, autant que je puis le croire, au sort de la citoyenne Dixmer; tu dois la connaître, et la connaissant, tu dois savoir quels sont ses amis les plus familiers; elle n’aura pas quitté Paris, ils ont tous la rage d’y rester; elle s’est réfugiée chez quelque confidente, et demain matin tu recevras par quelque Rose ou quelque Marton un petit billet à peu près conçu en ces termes:
Amour, tyran des dieux et des mortels,
Ce n’est plus de l’encens qu’il faut sur tes autels.
Si Mars veut revoir Cythérée,
Qu’il emprunte à la Nuit son écharpe azurée.
» Et qu’il se présente chez le concierge, telle rue, tel numéro, en demandant madame Trois-Étoiles; voilà.
Maurice haussa les épaules; il savait bien que Geneviève n’avait personne chez qui se réfugier.
– Nous ne la retrouverons pas, murmura-t-il.
– Permets-moi de te dire une chose, Maurice, dit Lorin.
– Laquelle?