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– C’est que ce ne serait peut-être pas un si grand malheur que nous ne la retrouvassions pas.

– Si nous ne la retrouvons pas, Lorin, dit Maurice, j’en mourrai.

– Ah diable! dit le jeune homme, c’est donc de cet amour là que tu as failli mourir?

– Oui, répondit Maurice.

Lorin réfléchit un instant.

– Maurice, dit-il, il est quelque chose comme onze heures, le quartier est désert, voici là un banc de pierre qui semble placé exprès pour recevoir deux amis. Accorde-moi la faveur d’un entretien particulier, comme on disait sous l’ancien régime. Je te donne ma parole que je ne parlerai qu’en prose.

Maurice regarda autour de lui et alla s’asseoir auprès de son ami.

– Parle, dit Maurice, en laissant tomber dans sa main son front alourdi.

– Écoute, cher ami, sans exorde, sans périphrase, sans commentaire, je te dirai une chose, c’est que nous nous perdons, ou plutôt que tu nous perds.

– Comment cela? demanda Maurice.

– Il y a, tendre ami, reprit Lorin, certain arrêté du comité de Salut public qui déclare traître à la patrie quiconque entretient des relations avec les ennemis de ladite patrie. Hein! connais-tu cet arrêté?

– Sans doute, répondit Maurice.

– Tu le connais?

– Oui.

– Eh bien! il me semble que tu n’es pas mal traître à la patrie. Qu’en dis-tu? comme dit Manlius.

– Lorin!

– Sans doute; à moins que tu ne regardes toutefois comme idolâtrant la patrie ceux qui donnent le logement, la table et le lit à M. le chevalier de Maison-Rouge, lequel n’est pas un exalté républicain, à ce que je suppose, et n’est point accusé pour le moment d’avoir fait les journées de Septembre.

– Ah! Lorin! fit Maurice en poussant un soupir.

– Ce qui fait, continua le moraliste, que tu me parais avoir été ou être encore un peu trop ami de l’ennemi de la patrie. Allons, allons, ne te révolte pas, cher ami; tu es comme feu Encelades, et tu remuerais une montagne quand tu te retournes. Je te le répète donc, ne te révolte pas, et avoue tout bonnement que tu n’es plus un zélé.

Lorin avait prononcé ces mots avec toute la douceur dont il était capable, et en glissant dessus avec un artifice tout à fait cicéronien.

Maurice se contenta de protester par un geste.

Mais le geste fut déclaré comme non avenu, et Lorin continua:

– Oh! si nous vivions dans une de ces températures de serre chaude, température honnête, où, selon les règles de la botanique, le baromètre marque invariablement seize degrés, je te dirais, mon cher Maurice, c’est élégant, c’est comme il faut; soyons un peu aristocrates, de temps en temps, cela fait bien et cela sent bon; mais nous cuisons aujourd’hui dans trente-cinq à quarante degrés de chaleur! la nappe brûle, de sorte que l’on n’est que tiède; par cette chaleur-là on semble froid; lorsqu’on est froid on est suspect; tu sais cela, Maurice; et quand on est suspect, tu as trop d’intelligence, mon cher Maurice, pour ne pas savoir ce qu’on est bientôt, ou plutôt ce qu’on n’est plus.

– Eh bien! donc, alors qu’on me tue et que cela finisse, s’écria Maurice; aussi bien je suis las de la vie.

– Depuis un quart d’heure, dit Lorin; en vérité, il n’y a pas encore assez longtemps pour que je te laisse faire sur ce point-là à ta volonté; et puis, lorsqu’on meurt aujourd’hui, tu comprends, il faut mourir républicain, tandis que toi tu mourrais aristocrate.

– Oh! oh! s’écria Maurice dont le sang commençait à s’enflammer par l’impatiente douleur qui résultait de la conscience de sa culpabilité; oh! oh! tu vas trop loin, mon ami.

– J’irai plus loin encore, car je te préviens que si tu te fais aristocrate…

– Tu me dénonceras?

– Fi donc! non, je t’enfermerai dans une cave, et je te ferai chercher au son du tambour comme un objet égaré; puis je proclamerai que les aristocrates, sachant ce que tu leur réservais, t’ont séquestré, martyrisé, affamé; de sorte que, comme le prévôt Élie de Beaumont, M. Latude et autres, lorsqu’on te retrouvera tu seras couronné publiquement de fleurs par les dames de la Halle et les chiffonniers de la section Victor. Dépêche-toi donc de redevenir un Aristide, ou ton affaire est claire.

– Lorin, Lorin, je sens que tu as raison, mais je suis entraîné, je glisse sur la pente. M’en veux-tu donc parce que la fatalité m’entraîne?

– Je ne t’en veux pas, mais je te querelle. Rappelle-toi un peu les scènes que Pylade faisait journellement à Oreste, scènes qui prouvent victorieusement que l’amitié n’est qu’un paradoxe, puisque ces modèles des amis se disputaient du matin au soir.

– Abandonne-moi, Lorin, tu feras mieux.

– Jamais!

– Alors, laisse-moi aimer, être fou à mon aise, être criminel peut-être, car, si je la revois, je sens que je la tuerai.

– Ou que tu tomberas à ses genoux. Ah! Maurice! Maurice amoureux d’une aristocrate, jamais je n’eusse cru cela. Te voilà comme ce pauvre Osselin avec la marquise de Charny.

– Assez, Lorin, je t’en supplie!

– Maurice, je te guérirai, ou le diable m’emporte. Je ne veux pas que tu gagnes à la loterie de sainte guillotine, moi, comme dit l’épicier de la rue des Lombards. Prends garde, Maurice, tu vas m’exaspérer. Maurice, tu vas faire de moi un buveur de sang. Maurice, j’éprouve le besoin de mettre le feu à l’île Saint-Louis; une torche, un brandon!

Mais non, ma peine est inutile.

À quoi bon demander une torche, un flambeau?

Ton feu, Maurice, est assez beau

Pour embraser ton âme, et ces lieux, et la ville.

Maurice sourit malgré lui.

– Tu sais qu’il était convenu que nous ne parlerions qu’en prose? dit-il.

– Mais c’est qu’aussi tu m’exaspères avec ta folie, dit Lorin; c’est qu’aussi… Tiens, viens boire, Maurice; devenons ivrognes, faisons des motions, étudions l’économie politique; mais, pour l’amour de Jupiter, ne soyons pas amoureux, n’aimons que la liberté.

– Ou la Raison.

– Ah! c’est vrai, la déesse te dit bien des choses, et te trouve un charmant mortel.

– Et tu n’es pas jaloux?

– Maurice, pour sauver un ami, je me sens capable de tous les sacrifices.

– Merci, mon pauvre Lorin, et j’apprécie ton dévouement; mais le meilleur moyen de me consoler, vois-tu, c’est de me saturer de ma douleur. Adieu, Lorin; va voir Arthémise.

– Et toi, où vas-tu?

– Je rentre chez moi. Et Maurice fit quelques pas vers le pont.

– Tu demeures donc du côté de la rue vieille Saint-Jacques, maintenant?

– Non, mais il me plaît de prendre par là.

– Pour revoir encore une fois le lieu qu’habitait ton inhumaine?

– Pour voir si elle n’est pas revenue où elle sait que je l’attends. Ô Geneviève! Geneviève! je ne t’aurais pas crue capable d’une pareille trahison!

– Maurice, un tyran qui connaissait bien le beau sexe, puisqu’il est mort pour l’avoir trop aimé, disait:

Souvent femme varie,