Bien fol est qui s’y fie.
Maurice poussa un soupir, et les deux amis reprirent le chemin de la vieille rue Saint-Jacques.
À mesure que les deux amis approchaient, ils distinguaient un grand bruit, ils voyaient s’augmenter la lumière, ils entendaient ces chants patriotiques, qui, au grand jour, en plein soleil, dans l’atmosphère du combat, semblaient des hymnes héroïques, mais qui, la nuit, à la lueur de l’incendie, prenaient l’accent lugubre d’une ivresse de cannibale.
– Oh! mon Dieu! mon Dieu! disait Maurice oubliant que Dieu était aboli.
Et il allait toujours, la sueur au front.
Lorin le regardait aller, et murmurait entre ses dents:
Amour, amour, quand tu nous tiens:
On peut bien dire adieu prudence.
Tout Paris semblait se porter vers le théâtre des événements que nous venons de raconter. Maurice fut obligé de traverser une haie de grenadiers, les rangs des sectionnaires, puis les bandes pressées de cette populace toujours furieuse, toujours éveillée, qui, à cette époque, courait en hurlant de spectacle en spectacle.
À mesure qu’il approchait, Maurice, dans son impatience furieuse, hâtait le pas. Lorin le suivait avec peine, mais il l’aimait trop pour le laisser seul en pareil moment.
Tout était presque fini: le feu s’était communiqué du hangar, où le soldat avait jeté sa torche enflammée, aux ateliers construits en planches assemblées de façon à laisser de grands jours pour la circulation de l’air; les marchandises avaient brûlé; la maison commençait à brûler elle-même.
– Oh! mon Dieu! se dit Maurice, si elle était revenue, si elle se trouvait dans quelque chambre enveloppée par le cercle de flammes, m’attendant, m’appelant…
Et Maurice, à demi insensé de douleur, aimant mieux croire à la folie de celle qu’il aimait qu’à sa trahison, Maurice donna tête baissée au milieu de la porte qu’il entrevoyait dans la fumée.
Lorin le suivait toujours: il l’eût suivi en enfer.
Le toit brûlait, le feu commençait à se communiquer à l’escalier.
Maurice, haletant, visita tout le premier, le salon, la chambre de Geneviève, la chambre du chevalier de Maison-Rouge, les corridors, appelant d’une voix étranglée:
– Geneviève! Geneviève!
Personne ne répondit.
En revenant dans la première pièce, les deux amis virent des bouffées de flammes qui commençaient à entrer par la porte. Malgré les cris de Lorin, qui lui montrait la fenêtre, Maurice passa au milieu de la flamme.
Puis il courut à la maison, traversa sans s’arrêter à rien la cour jonchée de meubles brisés, retrouva la salle à manger, le salon de Dixmer, le cabinet du chimiste Morand; tout cela plein de fumée, de débris, de vitres cassées; le feu venait d’atteindre aussi cette partie de la maison, et commençait à la dévorer.
Maurice fit comme il venait de faire du pavillon. Il ne laissa pas une chambre sans l’avoir visitée, un corridor sans l’avoir parcouru. Il descendit jusqu’aux caves. Peut-être Geneviève, pour fuir l’incendie, s’était-elle réfugiée là.
Personne.
– Morbleu! dit Lorin, tu vois bien que personne ne tiendrait ici, à l’exception des salamandres, et ce n’est point cet animal fabuleux que tu cherches. Allons, viens; nous demanderons, nous nous informerons aux assistants; quelqu’un peut-être l’a-t-il vue.
Il eût fallu bien des forces réunies pour conduire Maurice hors de la maison; l’Espérance l’entraîna par un de ses cheveux.
Alors commencèrent les investigations; ils visitèrent les environs, arrêtant les femmes qui passaient, fouillant les allées, mais sans résultat. Il était une heure du matin; Maurice, malgré sa vigueur athlétique, était brisé de fatigue: il renonça enfin à ses courses, à ses ascensions, à ses conflits perpétuels avec la foule.
Un fiacre passait; Lorin l’arrêta.
– Mon cher, dit-il à Maurice, nous avons fait tout ce qu’il était humainement possible de faire pour retrouver ta Geneviève; nous nous sommes éreintés; nous nous sommes roussis; nous nous sommes gourmés pour elle. Cupidon, si exigeant qu’il soit, ne peut exiger davantage d’un homme qui est amoureux, et surtout d’un homme qui ne l’est pas; montons en fiacre, et rentrons chacun chez nous.
Maurice ne répondit point et se laissa faire. On arriva à la porte de Maurice sans que les deux amis eussent échangé une seule parole.
Au moment où Maurice descendait, on entendit une fenêtre de l’appartement de Maurice se refermer.
– Ah! bon! dit Lorin, on t’attendait, me voilà plus tranquille. Frappe maintenant.
Maurice frappa, la porte s’ouvrit.
– Bonsoir! dit Lorin, demain matin attends-moi pour sortir.
– Bonsoir! dit machinalement Maurice.
Et la porte se referma derrière lui.
Sur les premières marches de l’escalier il rencontra son officieux.
– Oh! citoyen Lindey, s’écria celui-ci, quelle inquiétude vous nous avez donnée!
Le mot nous frappa Maurice.
– À vous? dit-il.
– Oui, à moi et à la petite dame qui vous attend.
– La petite dame! répéta Maurice, trouvant le moment mal choisi pour correspondre au souvenir que lui donnait sans doute quelqu’une de ses anciennes amies; tu fais bien de me dire cela, je vais coucher chez Lorin.
– Oh! impossible; elle était à la fenêtre, elle vous a vu descendre, et s’est écriée: «Le voilà!»
– Eh! que m’importe qu’elle sache que c’est moi; je n’ai pas le cœur à l’amour. Remonte, et dis à cette femme qu’elle s’est trompée.
L’officieux fit un mouvement pour obéir, mais il s’arrêta.
– Ah! citoyen, dit-il, vous avez tort: la petite dame était déjà bien triste, ma réponse va la mettre au désespoir.
– Mais enfin, dit Maurice, quelle est cette femme?
– Citoyen, je n’ai pas vu son visage; elle est enveloppée d’une mante, et elle pleure; voilà ce que je sais.
– Elle pleure! dit Maurice.
– Oui, mais bien doucement, en étouffant ses sanglots.
– Elle pleure, répéta Maurice. Il y a donc quelqu’un au monde qui m’aime assez pour s’inquiéter à ce point de mon absence?
Et il monta lentement derrière l’officieux.
– Le voici, citoyenne, le voici! cria celui-ci en se précipitant dans la chambre.
Maurice entra derrière lui.
Il vit alors dans le coin du salon une forme palpitante qui se cachait le visage sous des coussins, une femme qu’on eût cru morte sans le gémissement convulsif qui la faisait tressaillir.
Il fit signe à l’officieux de sortir.
Celui-ci obéit et referma la porte.
Alors Maurice courut à la jeune femme, qui releva la tête.
– Geneviève! s’écria le jeune homme, Geneviève chez moi! suis-je donc fou, mon Dieu?
– Non, vous avez toute votre raison, mon ami, répondit la jeune femme. Je vous ai promis d’être à vous si vous sauviez le chevalier de Maison-Rouge. Vous l’avez sauvé, me voici! Je vous attendais.
Maurice se méprit au sens de ces paroles; il recula d’un pas et, regardant tristement la jeune femme: