Выбрать главу

Maurice n’avait qu’à incliner légèrement la tête pour appuyer ses lèvres sur les lèvres entr’ouvertes de sa maîtresse.

Il inclina la tête; Geneviève pâlit, et ses yeux se fermèrent comme les pétales de la fleur qui cache son calice aux rayons de la lumière.

Ils demeuraient ainsi endormis dans cette félicité inaccoutumée, quand le bruit aigu de la sonnette les fit tressaillir.

Ils se détachèrent l’un de l’autre.

L’officieux entra et referma mystérieusement la porte.

– C’est le citoyen Lorin, dit-il.

– Ah! ce cher Lorin, dit Maurice; je vais aller le congédier. Pardon, Geneviève.

Geneviève l’arrêta.

– Congédier votre ami, Maurice! dit-elle; un ami, un ami qui vous a consolé, aidé, soutenu? Non, je ne veux pas plus chasser un tel ami de votre maison que de votre cœur; qu’il entre, Maurice, qu’il entre.

– Comment, vous permettez?… dit Maurice.

– Je le veux, dit Geneviève.

– Oh! mais vous trouvez donc que je ne vous aime pas assez, s’écria Maurice ravi de cette délicatesse, et c’est de l’idolâtrie qu’il vous faut?

Geneviève tendit son front rougissant au jeune homme; Maurice ouvrit la porte, et Lorin entra, beau comme le jour dans son costume de demi-muscadin. En apercevant Geneviève, il manifesta une surprise à laquelle succéda aussitôt un respectueux salut.

– Viens, Lorin, viens, dit Maurice, et regarde madame. Tu es détrôné, Lorin; il y a maintenant quelqu’un que je te préfère. J’eusse donné ma vie pour toi; pour elle, je ne t’apprends rien de nouveau, Lorin, pour elle, j’ai donné mon honneur.

– Madame, dit Lorin avec un sérieux qui accusait en lui une émotion bien profonde, je tâcherai d’aimer plus que vous Maurice, pour que lui ne cesse pas de m’aimer tout à fait.

– Asseyez-vous, monsieur, dit en souriant Geneviève.

– Oui, assieds-toi, dit Maurice, qui, ayant serré à droite la main de son ami, à gauche celle de sa maîtresse, venait de s’emplir le cœur de toute la félicité qu’un homme peut ambitionner sur la terre.

– Alors tu ne veux donc plus mourir? tu ne veux donc plus te faire tuer?

– Comment cela? demanda Geneviève.

– Oh! mon Dieu, dit Lorin, que l’homme est un animal versatile, et que les philosophes ont bien raison de mépriser sa légèreté! En voilà un, croiriez-vous cela, madame? qui voulait, hier au soir, se jeter à l’eau, qui déclarait qu’il n’y avait plus de félicité possible pour lui en ce monde; et voilà que je le retrouve ce matin gai, joyeux, le sourire sur les lèvres, le bonheur sur le front, la vie dans le cœur, en face d’une table bien servie; il est vrai qu’il ne mange pas, mais cela ne prouve pas qu’il en soit plus malheureux.

– Comment, dit Geneviève, il voulait faire tout cela?

– Tout cela, et bien d’autres choses encore; je vous le raconterai plus tard; mais pour le moment j’ai très faim; c’est la faute de Maurice, qui m’a fait courir tout le quartier Saint-Jacques hier au soir. Permettez que j’entame votre déjeuner, auquel vous n’avez touché ni l’un ni l’autre.

– Tiens, il a raison! s’écria Maurice avec une joie d’enfant; déjeunons. Je n’ai pas mangé, ni vous non plus, Geneviève.

Il guettait l’œil de Lorin à ce nom; mais Lorin ne sourcilla point.

– Ah çà! mais tu avais donc deviné que c’était elle! lui demanda Maurice.

– Parbleu! répondit Lorin en se coupant une large tranche de jambon blanc et rose.

– J’ai faim aussi, dit Geneviève en tendant son assiette.

– Lorin, dit Maurice, j’étais malade hier au soir.

– Tu étais plus que malade, tu étais fou.

– Eh bien! je crois que c’est toi qui es souffrant, ce matin.

– Comment cela?

– Tu n’as pas encore fait de vers.

– J’y songeais à l’instant même, dit Lorin.

Lorsqu’il siège au milieu des Grâces,

Phébus tient sa lyre à la main;

Mais de Vénus s’il suit des traces,

Phébus perd sa lyre en chemin.

– Bon! voilà toujours un quatrain, dit Maurice en riant.

– Et il faudra que tu t’en contentes, vu que nous allons causer de choses moins gaies.

– Qu’y a-t-il encore? demanda Maurice avec inquiétude.

– Il y a que je suis prochainement de garde à la Conciergerie.

– À la Conciergerie! dit Geneviève; près de la reine?

– Près de la reine… je crois que oui, madame.

Geneviève pâlit; Maurice fronça le sourcil et fit un signe à Lorin.

Celui-ci se coupa une nouvelle tranche de jambon, double de la première.

La reine avait, en effet, été conduite à la conciergerie, où nous allons la suivre.

XXXIV La conciergerie

À l’angle du pont au Change et du quai aux Fleurs s’élèvent les restes du vieux palais de saint Louis, qui s’appelait, par excellence, le Palais, comme Rome s’appelait la Ville, et qui continue à garder ce nom souverain depuis que les seuls rois qui l’habitent sont les greffiers, les juges et les plaideurs.

C’est une grande et sombre maison que celle de la justice, et qui fait plus craindre qu’aimer la rude déesse. On y voit tout l’attirail et toutes les attributions de la vengeance humaine réunis en un étroit espace. Ici, les salles où l’on garde les prévenus; plus loin, celles où on les juge; plus bas, les cachots où on les enferme quand ils sont condamnés; à la porte, la petite place où on les marque du fer rouge et infamant; à cent cinquante pas de la première, l’autre place, plus grande, où on les tue, c’est-à-dire la Grève, où on achève ce qui a été ébauché au Palais.

La justice, comme on le voit, a tout sous la main.

Toute cette partie d’édifices, accolés les uns aux autres, mornes, gris, percés de petites fenêtres grillées, où les voûtes béantes ressemblent à des antres grillés qui longent le quai des Lunettes, c’est la Conciergerie.

Cette prison a des cachots que l’eau de la Seine vient humecter de son noir limon; elle a des issues mystérieuses qui conduisaient autrefois au fleuve les victimes qu’on avait intérêt à faire disparaître.

Vue en 1793, la Conciergerie, pourvoyeuse infatigable de l’échafaud, la Conciergerie, disons-nous, regorgeait de prisonniers dont on faisait en une heure des condamnés. À cette époque, la vieille prison de saint Louis était bien réellement l’hôtellerie de la mort. Sous les voûtes des portes, se balançait, la nuit, une lanterne au feu rouge, sinistre enseigne de ce lieu de douleurs.

La veille de ce jour où Maurice, Lorin et Geneviève déjeunaient ensemble, un sourd roulement avait ébranlé le pavé du quai et les vitres de la prison; puis le roulement avait cessé en face de la porte ogive; des gendarmes avaient frappé à cette porte avec la poignée de leur sabre, cette porte s’était ouverte, la voiture était entrée dans la cour, et, quand les gonds avaient tourné derrière elle, quand les verrous avaient grincé, une femme en était descendue.

Aussitôt le guichet béant devant elle l’engloutit. Trois ou quatre têtes curieuses, qui s’étaient avancées à la lueur des flambeaux pour considérer la prisonnière, et qui étaient apparues dans la demi-teinte, se plongèrent dans l’obscurité; puis on entendit quelques rires vulgaires et quelques adieux grossiers échangés entre les hommes qui s’éloignaient et qu’on entendait sans les voir.