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Ils s’appelaient Duchesne et Gilbert.

La Commune avait désigné ces deux hommes, qu’elle connaissait pour bons patriotes, et ils devaient rester à poste fixe dans leur cellule jusqu’au jugement de Marie-Antoinette: on espérait éviter par ce moyen les irrégularités presque inévitables d’un service qui change plusieurs fois le jour, et l’on conférait une responsabilité terrible aux gardiens.

La reine fut, dès ce jour même, par la conversation de ces deux hommes, dont toutes les paroles arrivaient jusqu’à elles, lorsque aucun motif ne les forçait à baisser la voix, la reine, disons-nous, fut instruite de cette mesure; elle en ressentit à la fois de la joie et de l’inquiétude; car, si, d’un côté, elle se disait que ces hommes devaient être bien sûrs, puisqu’on les avait choisis entre tant d’hommes, d’un autre côté, elle réfléchissait que ses amis trouveraient bien plus d’occasions de corrompre deux gardiens connus et à poste fixe que cent inconnus désignés par le hasard et passant auprès d’elle à l’improviste et pour un seul jour.

La première nuit, avant de se coucher, un des deux gendarmes avait fumé selon son habitude; la vapeur du tabac glissa par les ouvertures de la cloison et vint assiéger la malheureuse reine, dont l’infortune avait irrité toutes les délicatesses au lieu de les émousser.

Bientôt elle se sentit prise de vapeurs et de nausées: sa tête s’embarrassa des pesanteurs de l’asphyxie; mais, fidèle à son système d’indomptable fierté, elle ne se plaignit point.

Tandis qu’elle veillait de cette veille douloureuse et que rien ne troublait le silence de la nuit, elle crut entendre comme un gémissement qui venait du dehors; ce gémissement était lugubre et prolongé, c’était quelque chose de sinistre et de perçant comme les bruits du vent dans les corridors déserts, quand la tempête emprunte une voix humaine pour donner la vie aux passions des éléments.

Bientôt elle reconnut que ce bruit qui l’avait fait tressaillir d’abord, que ce cri douloureux et persévérant était la plainte lugubre d’un chien hurlant sur le quai. Elle pensa aussitôt à son pauvre Black, auquel elle n’avait pas songé au moment où elle avait été enlevée du Temple, et dont elle crut reconnaître la voix. En effet, le pauvre animal, qui, par trop de vigilance, avait perdu sa maîtresse, était descendu invisible derrière elle, avait suivi sa voiture jusqu’aux grilles de la Conciergerie, et ne s’en était éloigné que parce qu’il avait failli être coupé en deux par la double lame de fer qui s’était refermée derrière elle.

Mais bientôt le pauvre animal était revenu, et, comprenant que sa maîtresse était renfermée dans ce grand tombeau de pierre, il l’appelait en hurlant, et attendait, à dix pas de la sentinelle, la caresse d’une réponse.

La reine répondit par un soupir qui fit dresser l’oreille à ses gardiens.

Mais, comme ce soupir fut le seul, et qu’aucun bruit ne lui succéda dans la chambre de Marie-Antoinette, ses gardiens se rassurèrent bientôt et retombèrent dans leur assoupissement.

Le lendemain, au point du jour, la reine était levée et habillée. Assise près de la fenêtre grillée, dont le jour, tamisé par les barreaux, descendait bleuâtre sur ses mains amaigries, elle lisait en apparence, mais sa pensée était bien loin du livre.

Le gendarme Gilbert entr’ouvrit le paravent et la regarda en silence. Marie-Antoinette entendit le cri du meuble qui se repliait sur lui-même en frôlant le parquet, mais elle ne leva point la tête.

Elle était placée de manière à ce que les gendarmes pussent voir sa tête entièrement baignée de cette lumière matinale.

Le gendarme Gilbert fit signe à son camarade de venir regarder avec lui par l’ouverture.

Duchesne se rapprocha.

– Vois donc, dit Gilbert à voix basse, comme elle est pâle; c’est effrayant! Ses yeux bordés de rouge annoncent qu’elle souffre; on dirait qu’elle a pleuré.

– Tu sais bien, dit Duchesne, que la veuve Capet ne pleure jamais; elle est trop fière pour cela.

– Alors, c’est qu’elle est malade, dit Gilbert.

Puis, haussant la voix:

– Dis donc, citoyenne Capet, demanda-t-il, est-ce que tu es malade?

La reine leva lentement les yeux, et son regard se fixa clair et interrogateur sur ces deux hommes.

– Est-ce que c’est à moi que vous parlez, messieurs? demanda-t-elle d’une voix pleine de douceur, car elle avait cru remarquer une nuance d’intérêt dans l’accent de celui qui lui avait adressé la parole.

– Oui, citoyenne, c’est à toi, reprit Gilbert, et nous te demandons si tu es malade.

– Pourquoi cela?

– Parce que tu as les yeux bien rouges.

– Et que tu es bien pâle en même temps, ajouta Duchesne.

– Merci, messieurs. Non, je ne suis point malade; seulement, j’ai beaucoup souffert cette nuit.

– Ah! oui, tes chagrins.

– Non, messieurs, mes chagrins étant toujours les mêmes, et la religion m’ayant appris à les mettre aux pieds de la croix, mes chagrins ne me rendent pas plus souffrante un jour que l’autre; non, je suis malade parce que je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit.

– Ah! la nouveauté du logement, le changement de lit, dit Duchesne.

– Et puis le logement n’est pas beau, ajouta Gilbert.

– Ce n’est pas non plus cela, messieurs, dit la reine en secouant la tête. Laide ou belle, ma demeure m’est indifférente.

– Qu’est-ce donc, alors?

– Ce que c’est?

– Oui.

– Je vous demande pardon de vous le dire; mais j’ai été fort incommodée de cette odeur de tabac que monsieur exhale encore en ce moment.

En effet, Gilbert fumait, ce qui, au reste, était sa plus habituelle occupation.

– Ah! mon Dieu! s’écria-t-il tout troublé de la douceur avec laquelle la reine lui parlait. C’est cela! que ne le disais-tu, citoyenne?

– Parce que je ne me suis pas cru le droit de vous gêner dans vos habitudes, monsieur.

– Ah bien, tu ne seras plus incommodée, par moi du moins, dit Gilbert en jetant sa pipe, qui alla se briser sur le carreau; car je ne fumerai plus.

Et il se retourna, emmenant son compagnon, et refermant le paravent.

– Possible qu’on lui coupe la tête, c’est l’affaire de la nation, cela; mais à quoi bon la faire souffrir, cette femme?

Nous sommes des soldats et non pas des bourreaux comme Simon.

– C’est un peu aristocrate, ce que tu fais là, compagnon, dit Duchesne en secouant la tête.

– Qu’appelles-tu aristocrate? Voyons, explique-moi un peu cela.

– J’appelle aristocrate tout ce qui vexe la nation et qui fait plaisir à ses ennemis.

– Ainsi, selon toi, dit Gilbert, je vexe la nation parce que je ne continue pas d’enfumer la veuve Capet? Allons donc! vois-tu, moi, continua le brave homme, je me rappelle mon serment à la patrie et la consigne de mon brigadier, voilà tout. Or, ma consigne, je la sais par cœur: «Ne pas laisser évader la prisonnière, ne laisser pénétrer personne auprès d’elle, écarter toute correspondance qu’elle voudrait nouer ou entretenir et mourir à mon poste.» Voilà ce que j’ai promis et je le tiendrai. Vive la nation!