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– À quoi?

– À être riche un jour.

– Dieu vous entende!

– Tu crois donc en Dieu?

– Quelquefois, par-ci par-là. Aujourd’hui, par exemple…

– Eh bien?

– J’y croirais volontiers.

– Crois-y donc, dit le citoyen Théodore en mettant dix louis dans la main du guichetier.

– Diable! dit celui-ci en regardant l’or à la lueur de sa lanterne. C’est donc sérieux?

– On ne peut plus sérieux.

– Que faut-il faire?

– Trouve-toi demain au Puits-de-Noé, je te dirai ce que je veux de toi. Comment t’appelles-tu?

– Gracchus.

– Eh bien, citoyen Gracchus, d’ici à demain, fais-toi chasser par le concierge Richard.

– Chasser! Et ma place?

– Comptes-tu rester guichetier avec cinquante mille francs à toi?

– Non; mais, étant guichetier et pauvre, je suis sûr de ne pas être guillotiné.

– Sûr?

– Ou à peu près; tandis qu’étant libre et riche…

– Tu cacheras ton argent et tu feras la cour à une tricoteuse, au lieu de la faire à la maîtresse du Puits-de-Noé.

– Eh bien, c’est dit.

– Demain, au cabaret.

– À quelle heure?

– À six heures du soir.

– Envolez-vous vite, les voilà… Je dis envolez-vous, parce que je présume que vous êtes descendu à travers les voûtes.

– À demain, répéta Théodore en s’enfuyant.

En effet, il était temps; le bruit des pas et des voix se rapprochait. On voyait déjà dans le souterrain obscur briller la lueur des lumières qui s’approchaient.

Théodore courut à la porte que lui avait montrée l’écrivain dont il avait pris la cahute; il en fit sauter la serrure avec sa pince, gagna la fenêtre indiquée, l’ouvrit, se laissa glisser dans la rue, et se retrouva sur le pavé de la République.

Mais, avant d’avoir quitté la salle des Pas-Perdus, il put encore entendre le citoyen Gracchus interroger Richard, et celui-ci lui répondre:

– Le citoyen architecte avait parfaitement raison: le souterrain passe sous la chambre de la veuve Capet; c’était dangereux.

– Je le crois bien! dit Gracchus, lequel avait la conscience de dire une haute vérité.

Santerre reparut à l’orifice de l’escalier.

– Et tes ouvriers, citoyen architecte? demanda-t-il à Giraud.

– Avant le jour, ils seront ici, et, séance tenante, la grille sera posée, répondit une voix qui semblait sortir des profondeurs de la terre.

– Et tu auras sauvé la patrie! dit Santerre, moitié railleur, moitié sérieux.

– Tu ne crois pas dire si juste, citoyen général, murmura Gracchus.

XXXVIII L’enfant royal

Cependant le procès de la reine avait commencé à s’instruire, comme on a pu le voir dans le chapitre précédent.

Déjà on laissait entrevoir que, par le sacrifice de cette tête illustre, la haine populaire, grondante depuis si longtemps, serait enfin assouvie.

Les moyens ne manquaient pas pour faire tomber cette tête, et cependant Fouquier-Tinville, l’accusateur mortel, avait résolu de ne pas négliger les nouveaux moyens d’accusation que Simon avait promis de mettre à sa disposition.

Le lendemain du jour où Simon et lui s’étaient rencontrés dans la salle des Pas-Perdus, le bruit des armes vint encore faire tressaillir, dans le Temple, les prisonniers qui avaient continué de l’habiter.

Ces prisonniers étaient Madame Élisabeth, madame Royale, et l’enfant qui, après avoir été appelé Majesté au berceau, n’était plus appelé que le petit Louis Capet.

Le général Hanriot, avec son panache tricolore, son gros cheval et son grand sabre, entra, suivi de plusieurs gardes nationaux, dans le donjon où languissait l’enfant royal.

À côté du général marchait un greffier de mauvaise mine, chargé d’une écritoire, d’un rouleau de papier, et s’escrimant avec une plume démesurément longue.

Derrière le scribe venait l’accusateur public. Nous avons vu, nous connaissons et nous retrouverons encore plus tard cet homme sec, jaune et froid, dont l’œil sanglant faisait frissonner le farouche Santerre lui-même dans son harnois de guerre.

Quelques gardes nationaux et un lieutenant les suivaient.

Simon, souriant d’un air faux et tenant d’une main son bonnet d’ourson et de l’autre son tire-pied, monta devant pour indiquer le chemin à la commission.

Ils arrivèrent à une chambre assez noire, spacieuse et nue, au fond de laquelle, assis sur son lit, se tenait le jeune Louis, dans un état d’immobilité parfaite.

Quand nous avons vu le pauvre enfant fuyant devant la brutale colère de Simon, il y avait encore en lui une espèce de vitalité réagissant contre les indignes traitements du cordonnier du Temple: il fuyait, il criait, il pleurait; donc, il avait peur; donc, il souffrait; donc, il espérait.

Aujourd’hui, crainte et espoir avaient disparu; sans doute la souffrance existait encore; mais, si elle existait, l’enfant martyr à qui l’on faisait, d’une façon si cruelle, payer les fautes de ses parents, l’enfant martyr la cachait au plus profond de son cœur et la voilait sous les apparences d’une complète insensibilité.

Il ne leva pas même la tête lorsque les commissaires marchèrent à lui.

Eux, sans autre préambule, prirent des sièges et s’installèrent. L’accusateur public au chevet du lit, Simon au pied, le greffier près de la fenêtre, les gardes nationaux et leur lieutenant sur le côté et un peu dans l’ombre.

Ceux d’entre les assistants qui regardaient le petit prisonnier avec quelque intérêt ou même quelque curiosité, remarquèrent la pâleur de l’enfant, son embonpoint singulier, qui n’était que de la bouffissure, et le fléchissement de ses jambes, dont les articulations commençaient à se tuméfier.

– Cet enfant est bien malade, dit le lieutenant avec une assurance qui fit retourner Fouquier-Tinville, déjà assis et prêt à interroger.

Le petit Capet leva les yeux et chercha dans la pénombre celui qui avait prononcé ces paroles, et il reconnut le même jeune homme qui, une fois déjà, avait, dans la cour du Temple, empêché Simon de le battre. Un rayonnement doux et intelligent circula dans ses prunelles d’un bleu foncé, mais ce fut tout.

– Ah! ah! c’est toi, citoyen Lorin, dit Simon appelant ainsi l’attention de Fouquier-Tinville sur l’ami de Maurice.

– Moi-même, citoyen Simon, répliqua Lorin avec son imperturbable aplomb.

Et, comme Lorin, quoique toujours prêt à faire face au danger, n’était point homme à le chercher inutilement, il profita de la circonstance pour saluer Fouquier-Tinville, qui lui rendit poliment son salut.

– Tu fais observer, je crois, citoyen, dit alors l’accusateur public, que l’enfant est malade; es-tu médecin?

– J’ai étudié la médecine, au moins, si je ne suis pas docteur.

– Eh bien, que lui trouves-tu?

– Comme symptôme de maladie? demanda Lorin.

– Oui.

– Je lui trouve les joues et les yeux bouffis, les mains pâles et maigres, les genoux tuméfiés; et, si je lui tâtais le pouls, je constaterais, j’en suis sûr, un mouvement de quatre-vingt-cinq à quatre-vingt-dix pulsations à la minute.