Il se retourna, et vit la jeune femme les bras étendus vers lui.
– Au revoir! au revoir! dit-il, mon amour, et bon courage! dans une demi-heure je suis de retour ici.
Geneviève demeura seule chargée, comme nous l’avons dit, des préparatifs du départ.
Ces préparatifs, elle les accomplissait avec une espèce de fièvre. Tant qu’elle resterait à Paris, elle se faisait à elle-même l’effet d’être doublement coupable. Une fois hors de France, une fois à l’étranger, il lui semblait que son crime, crime qui était plutôt celui de la fatalité que le sien, il lui semblait que son crime lui pèserait moins.
Elle allait même jusqu’à espérer que, dans la solitude et l’isolement, elle finirait par oublier qu’il existât d’autre homme que Maurice.
Ils devaient fuir en Angleterre, c’était une chose convenue. Ils auraient là une petite maison, un petit cottage bien seul, bien isolé, bien fermé à tous les yeux; ils changeraient de nom, et, de leurs deux noms, ils en feraient un seul.
Là, ils prendraient deux serviteurs qui ignoreraient complètement leur passé. Le hasard voulait que Maurice et Geneviève parlassent tous deux anglais.
Ni l’un ni l’autre ne laissait rien en France qu’il eût à regretter, si ce n’est cette mère que l’on regrette toujours, fût-elle une marâtre, et qu’on appelle la patrie.
Geneviève commença donc à disposer les objets qui étaient indispensables à leur voyage ou plutôt à leur fuite.
Elle éprouvait un plaisir indicible à distinguer des autres, parmi ces objets, ceux qui avaient la prédilection de Maurice: l’habit qui lui prenait le mieux la taille, la cravate qui seyait le mieux à son teint, les livres qu’il avait feuilletés le plus souvent.
Elle avait déjà fait son choix; déjà, dans l’attente des coffres qui devaient les renfermer, habits, linge, volumes couvraient les chaises, les canapés, le piano.
Soudain elle entendit la clef grincer dans la serrure.
– Bon! dit-elle, c’est Scévola qui rentre. Maurice ne l’aurait-il pas rencontré?
Elle continua sa besogne.
Les portes du salon étaient ouvertes; elle entendit l’officieux remuer dans l’antichambre.
Justement elle tenait un rouleau de musique et cherchait un lien pour l’assujettir.
– Scévola! ajouta-t-elle.
Un pas, qui allait se rapprochant, retentit dans la pièce voisine.
– Scévola! répéta Geneviève, venez, je vous prie.
– Me voici! dit une voix.
À l’accent de cette voix, Geneviève se retourna brusquement et poussa un cri terrible.
– Mon mari! s’écria-t-elle.
– Moi-même, dit avec calme Dixmer.
Geneviève était sur une chaise, élevant les bras pour chercher dans une armoire un lien quelconque; elle sentit que la tête lui tournait, elle étendit les bras et se laissa aller à la renverse, souhaitant de trouver un abîme au-dessous d’elle pour s’y précipiter.
Dixmer la retint dans ses bras, et la porta sur un canapé où il l’assit.
– Eh bien, qu’avez-vous donc, ma chère? et qu’y a-t-il? demanda Dixmer; ma présence produit-elle donc sur vous un si désagréable effet?
– Je me meurs! balbutia Geneviève en se renversant en arrière et en appuyant ses deux mains sur ses yeux, pour ne pas voir la terrible apparition.
– Bon! dit Dixmer, me croyiez-vous déjà trépassé, ma chère? et vous fais-je l’effet d’un fantôme?
Geneviève regarda autour d’elle d’un air égaré, et, apercevant le portrait de Maurice, elle se laissa glisser du canapé, tomba à genoux comme pour demander assistance à cette impuissante et insensible image qui continuait de sourire.
La pauvre femme comprenait tout ce que Dixmer cachait de menaces sous le calme qu’il affectait.
– Oui, ma chère enfant, continua le tanneur, c’est bien moi; peut-être me croyiez-vous bien loin de Paris; mais non, j’y suis resté. Le lendemain du jour où j’avais quitté la maison, j’y suis retourné et j’ai vu à sa place un fort beau tas de cendres. Je me suis informé de vous, personne ne vous avait vue. Je me suis mis à votre recherche et j’ai eu beaucoup de peine à vous trouver. J’avoue que je ne vous croyais pas ici; cependant, j’en eus soupçon, puisque, comme vous le voyez, je suis venu. Mais le principal est que me voici et que vous voilà. Comment se porte Maurice? En vérité, je suis sûr que vous avez beaucoup souffert, vous si bonne royaliste, d’avoir été forcée de vivre sous le même toit qu’un républicain si fanatique.
– Mon Dieu! murmura Geneviève, mon Dieu! ayez pitié de moi!
– Après cela, continua Dixmer en regardant autour de lui, ce qui me console, ma chère, c’est que vous êtes très bien logée ici et que vous ne me paraissez pas avoir beaucoup souffert de la proscription. Moi, depuis l’incendie de notre maison et la ruine de notre fortune, j’ai erré assez à l’aventure, habitant le fond des caves, la cale des bateaux, quelquefois même les cloaques qui aboutissent à la Seine.
– Monsieur! fit Geneviève.
– Vous avez là de forts beaux fruits; moi, j’ai dû souvent me passer de dessert, étant forcé de me passer de dîner.
Geneviève cacha en sanglotant sa tête dans ses mains.
– Non pas, continua Dixmer, que je manquasse d’argent; j’ai, Dieu merci, emporté sur moi une trentaine de mille francs en or, ce qui vaut aujourd’hui cinq cent mille francs; mais le moyen qu’un charbonnier, un pêcheur, ou un chiffonnier tire des louis de sa poche pour acheter un morceau de fromage ou un saucisson! Eh! mon Dieu, oui, madame; j’ai successivement adopté ces trois costumes. Aujourd’hui, pour mieux me déguiser, je suis en patriote, en exagéré, en Marseillais. Je grasseye et je jure. Dame! un proscrit ne circule pas dans Paris aussi facilement qu’une jeune et jolie femme, et je n’avais pas le bonheur de connaître une républicaine ardente qui pût me cacher à tous les yeux.
– Monsieur, monsieur, s’écria Geneviève, ayez pitié de moi! vous voyez bien que je meurs!
– D’inquiétude, je comprends cela; vous avez été fort inquiète de moi; mais, consolez-vous, me voilà; je reviens et nous ne nous quitterons plus, madame.
– Oh! vous allez me tuer! s’écria Geneviève.
Dixmer la regarda avec un sourire effrayant.
– Tuer une femme innocente! Oh! madame, que dites-vous donc là? Il faut que le chagrin que vous a inspiré mon absence vous ait fait perdre l’esprit.
– Monsieur, s’écria Geneviève, monsieur, je vous demande à mains jointes de me tuer plutôt que de me torturer par de si cruelles railleries. Non, je ne suis pas innocente; oui, je suis criminelle; oui, je mérite la mort. Tuez-moi, monsieur, tuez-moi!…
– Alors, vous avouez que vous méritez la mort?
– Oui, oui.
– Et que, pour expier je ne sais quel crime dont vous vous accusez, vous subirez cette mort sans vous plaindre?
– Frappez, monsieur, je ne pousserai pas un cri; et, au lieu de la maudire, je bénirai la main qui me frappera.
– Non, madame, je ne veux pas vous frapper; cependant vous mourrez, c’est probable. Seulement, votre mort, au lieu d’être ignominieuse, comme vous pourriez le craindre, sera glorieuse à l’égal des plus belles morts. Remerciez-moi, madame, je vous punirai en vous immortalisant.