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Tous deux arrivèrent à la Grève sans avoir prononcé une seule parole.

Pendant ce temps, le gendarme Gilbert était sorti et s’était emparé du panier de provisions destiné à la reine. Il contenait des fruits, un poulet froid, une bouteille de vin blanc, une carafe d’eau et la moitié d’un pain de deux livres.

Gilbert leva la serviette et reconnut la disposition ordinaire des objets placés dans le panier par la citoyenne Richard. Puis, dérangeant le paravent:

– Citoyenne, dit-il tout haut, voici le souper.

Marie-Antoinette rompit le pain; mais à peine ses doigts s’y étaient-ils imprimés, qu’elle sentit le froid contact de l’argent, et qu’elle comprit que ce pain renfermait quelque chose d’extraordinaire.

Alors elle regarda autour d’elle, mais le gendarme s’était déjà retiré. La reine resta un instant immobile; elle calculait son éloignement progressif.

Quand elle crut être certaine qu’il était allé s’asseoir près de son camarade, elle tira l’étui du pain. L’étui contenait un billet. Elle le déplia et lut ce qui suit:

Madame, tenez-vous prête demain à l’heure où vous recevrez ce billet; car demain, à cette heure, une femme sera introduite dans le cachot de Votre Majesté. Cette femme prendra vos habits et vous donnera les siens; puis vous sortirez de la Conciergerie au bras d’un de vos plus dévoués serviteurs.

Ne vous inquiétez pas du bruit qui se fera dans la première pièce; ne vous arrêtez ni aux cris ni aux gémissements; ne vous occupez que de passer promptement la robe et le mantelet de la femme qui doit prendre la place de Votre Majesté.

– Un dévouement! murmura la reine; merci, mon Dieu! je ne suis donc pas, comme on le disait, un objet d’exécration pour tous.

Elle relut le billet. Alors le second paragraphe la frappa.

– «Ne vous arrêtez ni aux cris ni aux gémissements», murmura-t-elle. Oh! cela veut dire que l’on frappera mes deux gardiens, pauvres gens! qui m’ont montré tant de pitié; oh! jamais, jamais!

Elle déchira encore la seconde moitié du billet, qui était blanche, et, comme elle n’avait ni crayon ni plume pour répondre à l’ami inconnu qui s’occupait d’elle, elle prit l’épingle de son fichu et piqua dans le papier des lettres qui composèrent les mots suivants:

Je ne puis ni ne dois accepter le sacrifice de la vie de personne en échange de la mienne. M.-A.

Puis elle replaça le papier dans l’étui, qu’elle enfouit dans la seconde partie du pain brisé.

Cette opération était achevée à peine, dix heures sonnaient, et la reine, tenant le morceau de pain à la main, comptait tristement les heures qui vibraient lentes et espacées, quand elle entendit à une des fenêtres, donnant sur la cour que l’on appelait la cour des femmes, un bruit strident pareil à celui que produirait un diamant grinçant sur le verre. Ce bruit fut suivi d’un choc léger à la vitre, choc plusieurs fois répété et que couvrait avec intention la toux d’un homme. Puis, à l’angle de la vitre, apparut un petit papier roulé qui glissa lentement et tomba au pied de la muraille. Puis la reine entendit le bruit du trousseau de clefs sautillant les unes sur les autres et des pas qui s’éloignaient en retentissant sur le pavé.

Elle reconnut que la vitre venait d’être trouée à son angle, et que, par cet angle, l’homme qui s’éloignait avait glissé un papier, qui sans doute était un billet. Ce billet était à terre. La reine le couva des yeux, tout en écoutant si l’un de ses gardiens ne se rapprochait pas d’elle; mais elle les entendit qui parlaient à voix basse comme ils faisaient d’habitude, et par une espèce de convention tacite pour ne pas l’importuner. Alors elle se leva doucement, retenant son haleine, et alla ramasser le papier.

Un objet mince et dur en glissa comme d’un fourreau, et, en tombant sur la brique, résonna métalliquement. C’était une lime de la plus grande finesse, un bijou plutôt qu’un outil, un de ces ressorts d’acier avec lesquels une main, si faible et si inhabile qu’elle soit, peut couper en un quart d’heure le fer du plus épais barreau.

Madame, disait le papier, demain à neuf heures et demie, un homme viendra causer avec les gendarmes qui vous gardent, par la fenêtre de la cour des femmes. Pendant ce temps, Votre Majesté sciera le troisième barreau de sa fenêtre, en allant de gauche à droite… Coupez en biaisant, un quart d’heure doit suffire à Votre Majesté; puis tenez-vous prête à passer par la fenêtre… L’avis vous vient d’un de vos plus dévoués et de vos plus fidèles sujets, lequel a consacré sa vie au service de Votre Majesté, et sera heureux de la sacrifier pour elle.

– Oh! murmura la reine, est-ce un piège? Mais non, il me semble que je connais cette écriture; c’est la même qu’au Temple; c’est celle du chevalier de Maison-Rouge. Allons! Dieu veut peut-être que j’échappe.

Et la reine tomba à genoux et se réfugia dans la prière, ce baume souverain des prisonniers.

XLIII Les préparatifs de Dixmer

Ce lendemain, préparé par une nuit d’insomnie, vint enfin, terrible, et, l’on peut dire sans exagération, couleur de sang.

Chaque jour, en effet, à cette époque et dans cette année, le plus beau soleil avait ses taches livides.

La reine dormit à peine et d’un sommeil sans repos; à peine avait-elle les yeux fermés, qu’il lui semblait voir du sang, qu’il lui semblait entendre pousser des cris.

Elle s’était endormie, sa lime dans sa main.

Une partie de la journée fut donnée par elle à la prière. Ses gardiens la voyaient prier si souvent, qu’ils ne prirent aucune inquiétude de ce surcroît de dévotion.

De temps en temps, la prisonnière tirait de son sein la lime qui lui avait été transmise par un de ses sauveurs, et elle comparait la faiblesse de l’instrument à la force des barreaux.

Heureusement, ces barreaux n’étaient scellés dans le mur que d’un côté, c’est-à-dire par en bas.

La partie supérieure s’emboîtait dans un barreau transversal; la partie inférieure sciée, on n’avait donc qu’à tirer le barreau, et le barreau venait.

Mais ce n’étaient pas les difficultés physiques qui arrêtaient la reine: elle comprenait parfaitement que la chose était possible, et c’est cette possibilité même qui faisait de l’espérance une flamme sanglante qui éblouissait ses yeux.

Elle sentait que, pour arriver à elle, il faudrait que ses amis tuassent les hommes qui la gardaient, et elle n’eût consenti leur mort à aucun prix; ces hommes étaient les seuls qui depuis longtemps lui eussent montré quelque pitié.

D’un autre côté, au delà de ces barreaux qu’on lui disait de scier, de l’autre côté du corps de ces deux hommes qui devaient succomber en empêchant ses sauveurs d’arriver jusqu’à elle, étaient la vie, la liberté, et peut-être la vengeance, trois choses si douces, pour une femme surtout, qu’elle demandait à Dieu pardon de les désirer si ardemment.

Elle crut, au reste, remarquer que nul soupçon n’agitait ses gardiens et qu’ils n’avaient pas même la conscience du piège où l’on voulait faire tomber leur prisonnière, en supposant que le complot fût un piège.

Ces hommes simples se fussent trahis à des yeux aussi exercés que l’étaient ceux d’une femme habituée à deviner le mal à force de l’avoir souffert.