– Je le ferai ainsi que vous le dites, monsieur.
– Il me reste maintenant à vous pardonner et à vous remercier, madame, dit Dixmer. Geneviève secoua la tête avec un froid sourire.
– Je n’ai pas besoin de votre pardon, ni de votre merci, monsieur, dit-elle en étendant la main; ce que je fais, ou plutôt ce que je vais faire, effacerait un crime, et je n’ai commis qu’une faiblesse; et encore cette faiblesse, rappelez-vous votre conduite, monsieur, vous m’avez presque forcée à la commettre. Je m’éloignais de lui, et vous me repoussiez dans ses bras; de sorte que vous êtes l’instigateur, le juge et le vengeur. C’est donc à moi de vous pardonner ma mort, et je vous la pardonne. C’est donc à moi de vous remercier, monsieur, de m’ôter la vie, puisque la vie m’eût été insupportable séparée de l’homme que j’aime uniquement, depuis cette heure surtout où vous avez brisé par votre féroce vengeance tous les liens qui m’attachaient à lui.
Dixmer s’enfonçait les ongles dans la poitrine; il voulut répondre, la voix lui manqua.
Il fit quelques pas dans le greffe.
– L’heure passerait, dit-il enfin; toute seconde a son utilité. Allons, madame, êtes-vous prête?
– Je vous l’ai dit, monsieur, répondit Geneviève avec le calme des martyrs, j’attends!
Dixmer rassembla tous ses papiers, alla voir si les portes étaient bien closes, si personne ne pouvait entrer dans le greffe; puis il voulut réitérer ses instructions à sa femme.
– Inutile, monsieur, dit Geneviève, je sais parfaitement ce que j’ai à faire.
– Alors, adieu!
Et Dixmer lui tendit la main, comme si, à ce moment suprême, toute récrimination devait s’effacer devant la grandeur de la situation et la sublimité du sacrifice.
Geneviève, en frémissant, toucha du bout des doigts la main de son mari.
– Placez-vous près de moi, madame, dit Dixmer, et, aussitôt que j’aurai frappé Gilbert, passez.
– Je suis prête.
Alors, Dixmer serra dans sa main droite son large poignard, et, de la gauche, il heurta à la porte.
XLIV Les préparatifs du chevalier de Maison-Rouge
Pendant que la scène décrite dans le chapitre précédent se passait à la porte du greffe donnant dans la prison de la reine, ou plutôt dans la première chambre occupée par les deux gendarmes, d’autres préparatifs se faisaient au côté opposé, c’est-à-dire dans la cour des femmes.
Un homme apparaissait tout à coup comme une statue de pierre qui se serait détachée de la muraille. Cet homme était suivi de deux chiens, et, tout en fredonnant le Ça ira, chanson fort à la mode à cette époque, il avait, d’un coup de trousseau de clefs qu’il tenait à la main, raclé les cinq barreaux qui fermaient la fenêtre de la reine.
La reine avait tressailli d’abord; mais, reconnaissant la chose pour un signal, elle avait aussitôt ouvert doucement sa fenêtre et s’était mise à la besogne d’une main plus expérimentée qu’on n’aurait pu le croire, car plus d’une fois, dans l’atelier de serrurerie où son royal époux s’amusait autrefois à passer une partie de ses journées, elle avait de ses doigts délicats touché des instruments pareils à celui sur lequel, à cette heure, reposaient toutes ses chances de salut.
Dès que l’homme au trousseau de clefs entendit la fenêtre de la reine s’ouvrir, il alla frapper à celle des gendarmes.
– Ah! ah! dit Gilbert en regardant à travers les carreaux, c’est le citoyen Mardoche.
– Lui-même, répondit le guichetier. Eh bien, mais, il paraît que nous faisons bonne garde?
– Comme d’habitude, citoyen porte-clefs. Il me semble que vous ne nous trouvez pas souvent en défaut.
– Ah! dit Mardoche, c’est que cette nuit la vigilance est plus nécessaire que jamais.
– Bah! dit Duchesne, qui s’était approché.
– Certainement.
– Qu’y a-t-il donc?
– Ouvrez la fenêtre, et je vous conterai cela.
– Ouvre, dit Duchesne.
Gilbert ouvrit et échangea une poignée de main avec le porte-clefs, qui s’était déjà fait l’ami des deux gendarmes.
– Qu’y a-t-il donc, citoyen Mardoche? répéta Gilbert.
– Il y a que la séance de la Convention a été un peu chaude. L’avez-vous lue?
– Non. Que s’est-il donc passé?
– Ah! il s’est passé d’abord que le citoyen Hébert a découvert une chose.
– Laquelle?
– C’est que les conspirateurs que l’on croyait morts sont vivants et très vivants.
– Ah! oui, dit Gilbert: Delessart et Thierry; j’ai entendu parler de cela; ils sont en Angleterre, les gueux.
– Et le chevalier de Maison-Rouge? dit le porte-clefs en haussant la voix de manière à ce que la reine l’entendît.
– Comment! il est en Angleterre aussi, celui-là?
– Pas du tout, il est en France, continua Mardoche en soutenant sa voix au même diapason.
– Il est donc revenu?
– Il ne l’a pas quittée.
– En voilà un qui a du front! dit Duchesne.
– C’est comme cela qu’il est.
– Eh bien, on va tâcher de l’arrêter.
– Certainement, qu’on va tâcher de l’arrêter; mais ce n’est pas chose facile, à ce qu’il paraît aussi.
En ce moment, comme la lime de la reine grinçait si fortement sur les barreaux, que le porte-clefs craignait qu’on ne l’entendît, malgré les efforts qu’il faisait pour la couvrir, il appuya le talon sur la patte d’un de ses chiens, qui poussa un hurlement de douleur.
– Ah! pauvre bête! dit Gilbert.
– Bah! dit le porte-clefs, il n’avait qu’à mettre des sabots. Veux-tu te taire, Girondin, veux-tu te taire!
– Il s’appelle Girondin, ton chien, citoyen Mardoche?
– Oui, c’est un nom que je lui ai donné comme cela.
– Et tu disais donc, reprit Duchesne, qui, prisonnier lui-même, prenait aux nouvelles tout l’intérêt qu’y prennent les prisonniers, tu disais donc?
– Ah! c’est vrai, je disais qu’alors le citoyen Hébert, en voilà un patriote! je disais que le citoyen Hébert avait fait la motion de ramener l’Autrichienne au Temple.
– Et pourquoi cela?
– Dame! parce qu’il prétend qu’on ne l’a tirée du Temple que pour la soustraire à l’inspection immédiate de la Commune de Paris.
– Oh! et puis un peu aux tentatives de ce damné Maison-Rouge, dit Gilbert; il me semble que le souterrain existe.
– C’est aussi ce que lui a répondu le citoyen Santerre; mais Hébert a dit que, du moment où l’on était prévenu, il n’y avait plus de danger; qu’on pouvait, au Temple, garder Marie-Antoinette avec la moitié des précautions qu’il faut pour la garder ici, et, de fait, c’est que le Temple est une maison autrement ferme que la Conciergerie.
– Ma foi, dit Gilbert, moi, je voudrais qu’on la reconduisît au Temple.
– Je comprends, cela t’ennuie de la garder.
– Non, cela m’attriste.
Maison-Rouge toussa fortement; la lime faisait d’autant plus de bruit qu’elle mordait plus profondément le barreau de fer.