– Le jour où vous étiez si triste, qui vous a emmené et qu’ensuite vous êtes revenu si gai…
Scévola avait remarqué toutes ces choses.
Maurice le regarda d’un air effaré; un frisson courut par tous ses membres; puis, après un long silence:
– Dixmer? s’écria-t-il.
– Ma foi, oui, je crois que c’est cela, citoyen, dit l’officieux.
Maurice chancela et alla tomber à reculons sur un fauteuil
Ses yeux se voilèrent.
– Oh! mon Dieu! murmura-t-il.
Puis, en se rouvrant, ses yeux se portèrent sur le bouquet de violettes oublié, ou plutôt laissé par Geneviève.
Il se précipita dessus, le prit, le baisa; puis, remarquant l’endroit où il était déposé:
– Plus de doute, dit-il; ces violettes… c’est son dernier adieu!
Alors Maurice se retourna; et seulement alors il remarqua que la malle était à moitié pleine, que le reste du linge était à terre ou dans l’armoire entr’ouverte.
Sans doute le linge qui était à terre était tombé des mains de Geneviève à l’apparition de Dixmer.
De ce moment il s’expliqua tout. La scène surgit vivante et terrible à ses yeux, entre ces quatre murs témoins naguère de tant de bonheur.
Jusque-là, Maurice était resté abattu, écrasé. Le réveil fut affreux, la colère du jeune homme effrayante.
Il se leva, ferma la fenêtre restée entr’ouverte, prit sur le haut de son secrétaire deux pistolets tout chargés pour le voyage, en examina l’amorce, et, voyant que l’amorce était en bon état, il mit les pistolets dans sa poche.
Puis il glissa dans sa bourse deux rouleaux de louis, que, malgré son patriotisme, il avait jugé prudent de garder au fond d’un tiroir, et, prenant à la main son sabre dans le fourreau:
– Scévola, dit-il, tu m’es attaché, je crois; tu as servi mon père et moi depuis quinze ans.
– Oui, citoyen, reprit l’officieux saisi d’effroi à l’aspect de cette pâleur marbrée et de ce tremblement nerveux que jamais il n’avait remarqué dans son maître, qui passait à bon droit pour le plus intrépide et le plus vigoureux des hommes; oui, que m’ordonnez-vous?
– Écoute! si cette dame qui demeurait ici…
Il s’interrompit; sa voix tremblait si fort en prononçant ces mots, qu’il ne put continuer.
– Si elle revient, reprit-il au bout d’un instant, reçois-la; ferme la porte derrière elle; prends cette carabine, place-toi sur l’escalier, et, sur ta tête, sur ta vie, sur ton âme, ne laisse entrer personne; si l’on veut forcer la porte, défends-la; frappe! tue! tue! et ne crains rien, Scévola, je prends tout sur moi.
L’accent du jeune homme, sa véhémente confiance électrisèrent Scévola.
– Non seulement je tuerai, dit-il, mais encore je me ferai tuer pour la citoyenne Geneviève.
– Merci… Maintenant, écoute. Cet appartement m’est odieux, et je ne veux pas remonter ici que je ne l’aie retrouvée. Si elle a pu s’échapper, si elle est revenue, place sur ta fenêtre le grand vase du Japon avec les reines-marguerites qu’elle aimait tant. Voilà pour le jour. La nuit, mets une lanterne. Chaque fois que je passerai au bout de la rue, je serai informé; tant que je ne verrai ni lanterne ni vase, je continuerai mes recherches.
– Oh! monsieur, soyez prudent! soyez prudent! s’écria Scévola.
Maurice ne répondit même pas; il s’élança hors de la chambre, descendit l’escalier comme s’il eût eu des ailes, et courut chez Lorin.
Il serait difficile d’exprimer la stupéfaction, la colère, la rage du digne poète lorsqu’il apprit cette nouvelle; autant vaudrait recommencer les touchantes élégies que devait inspirer Oreste à Pylade.
– Ainsi tu ne sais où elle est? ne cessait-il de répéter.
– Perdue, disparue! hurlait Maurice dans un paroxysme de désespoir; il l’a tuée, Lorin, il l’a tuée!
– Eh! non, mon cher ami; non, mon bon Maurice, il ne l’a pas tuée; non, ce n’est pas après tant de jours de réflexion qu’on assassine une femme comme Geneviève; non, s’il l’avait tuée, il l’eût tuée sur la place, et il eût, en signe de sa vengeance, laissé le corps chez toi. Non, vois-tu, il s’est enfui avec elle, trop heureux d’avoir retrouvé son trésor.
– Tu ne le connais pas, Lorin, tu ne le connais pas, disait Maurice; cet homme avait quelque chose de funeste dans le regard.
– Mais non, tu te trompes; il m’a toujours fait l’effet d’un brave homme, à moi. Il l’a prise pour la sacrifier. Il se fera arrêter avec elle; on les tuera ensemble. Ah! voilà où est le danger, disait Lorin.
Et ces paroles redoublaient le délire de Maurice.
– Je la retrouverai! je la retrouverai, ou je mourrai! s’écriait-il.
– Oh! quant à cela, il est certain que nous la retrouverons, dit Lorin; seulement, calme-toi. Voyons, Maurice, mon bon Maurice, crois-moi, on cherche mal quand on ne réfléchit pas; on réfléchit mal quand on s’agite comme tu fais.
– Adieu, Lorin, adieu!
– Que fais-tu donc?
– Je m’en vais.
– Tu me quittes? pourquoi cela?
– Parce que cela ne regarde que moi seul; parce que moi seul dois risquer ma vie pour sauver celle de Geneviève.
– Tu veux mourir?
– J’affronterai tout: je veux aller trouver le président du comité de surveillance, je veux parler à Hébert, à Danton, à Robespierre; j’avouerai tout, mais il faut qu’on me la rende.
– C’est bien, dit Lorin.
Et, sans ajouter un mot, il se leva, ajusta son ceinturon, se coiffa du chapeau d’uniforme, et, comme avait fait Maurice, il prit deux pistolets chargés qu’il mit dans ses poches.
– Partons, ajouta-t-il simplement.
– Mais tu te compromets! s’écria Maurice.
– Eh bien, après?
Il faut, mon cher, quand la pièce est finie,
S’en retourner en bonne compagnie.
– Où allons-nous chercher d’abord? dit Maurice.
– Cherchons d’abord dans l’ancien quartier, tu sais? vieille rue Saint-Jacques; puis guettons le Maison-Rouge; où il sera, sera sans doute Dixmer; puis rapprochons-nous des maisons de la Vieille-Corderie. Tu sais que l’on parle de transférer Antoinette au Temple! Crois-moi, des hommes comme ceux-là ne perdront qu’au dernier moment l’espoir de la sauver.
– Oui, répéta Maurice, en effet, tu as raison… Maison-Rouge, crois-tu donc qu’il soit à Paris?
– Dixmer y est bien.
– C’est vrai, c’est vrai; ils se sont réunis, dit Maurice, à qui de vagues lueurs venaient de rendre un peu de raison.
Alors, et à partir de ce moment, les deux amis se mirent à chercher; mais ce fut en vain. Paris est grand, et son ombre est épaisse. Jamais gouffre n’a su receler plus obscurément le secret que le crime ou le malheur lui confie.
Cent fois Lorin et Maurice passèrent sur la place de Grève, cent fois ils effleurèrent la petite maison dans laquelle vivait Geneviève, surveillée sans relâche par Dixmer, comme les prêtres d’autrefois surveillaient la victime destinée au sacrifice.
De son côté, se voyant destinée à périr, Geneviève, comme toutes les âmes généreuses, accepta le sacrifice et voulut mourir sans bruit; d’ailleurs, elle redoutait moins encore pour Dixmer que pour la cause de la reine une publicité que Maurice n’eût pas manqué de donner à sa vengeance.